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Cours: TEMPS & MEMOIRE (6 de 9)

Publié le 22/02/2012

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temps

 

II) NATURE ET REALITE DU TEMPS

-        L’examen du temps vécu amène à se poser le problème de la nature et de la réalité du temps. Le temps n’est pas une chose, il est immatériel, pourtant nous constatons et nous ressentons ses effets : changement, passage, etc. Pour la conscience commune, le temps existe, sans aucun doute possible. La conscience est spontanément réaliste. Notre impossibilité d’agir sur le temps, de le ralentir, de l’accélérer, de l’arrêter, de le parcourir dans tous les sens, nous montre qu’il existe en dehors de nous, qu’il fait partie du monde qu’il nous entoure, au même titre que les objets étendus.

-        En même temps, nous constatons que le passé n’est plus, que l’avenir n’est pas encore, que le présent lui-même a déjà fini d’être dès qu’il est  sur le point de commencer. Comment, dès lors, le temps pourrait-il avoir une existence s’il n’est composé que d’inexistences ? Aussi pouvons-nous nous demander si le temps n’est pas tout entier une élaboration de notre esprit. Le temps est-il une réalité extérieure à nous ou n’existe-t-il que pour un esprit ?

A) L’IRREALITE DU TEMPS

-        Dès le début de la philosophie se présentent les deux positions extrêmes vis-à-vis du temps : Héraclite, par exemple, affirme l’existence du temps, alors que Parménide en nie totalement la réalité. A partir de là, toute la philosophie va osciller de l’affirmation plus ou moins explicite de la réalité du temps à sa négation plus ou moins totale. Pendant longtemps, c’est essentiellement une négation plus ou moins totale du temps qui va prédominer, liée à une conception du temps comme destructeur et à sa confrontation avec l’éternité.

1) Parménide et Platon

-        Pour Parménide, en effet, ni le temps, ni le mouvement ne peuvent exister. Le non-être n’est pas, l’être ne peut être que compact, plein, éternel, fermé sur lui-même. Le temps, qui permet ou cause le mouvement, ne peut avoir aucune réalité. Il est essentiellement illusoire. Parménide rejette le sensible (le monde accessible à nos sens) et le devenir du côté du non-être, des apparences, des erreurs. L’être est stable, immuable, immobile et indivisible. Tout ce qui est de l’ordre du multiple, de la fragmentation, du morcellement est conçu comme un manque à être et comme la marque d’une moindre réalité.

-        Après Parménide, ce refus du temps se tempère et se nuance : le temps va se voir accorder un certain degré de réalité, mais une réalité inférieure : ni tout à fait réel, ni tout à fait une illusion. Ainsi, Platon, dans Timée, définit le temps comme “ l’image mobile de l’éternité ”, c’est-à-dire image illusoire de l’être éternel, représentation illusoire que se fait la conscience de l’ordre immuable des choses. Le vrai monde, celui qui possède la vraie réalité, c’est le monde des Idées, des essences. En créant le monde que nous connaissons, le monde matériel, sensible, le Démiurge n’a fait que des copies matérielles de ces Idées, copies imparfaites, multiples, qui chacune ressemblent à l’Idée qui en est le modèle, mais de façon dégradée et éphémère. Le temps lui-même n’est qu’une de ces copies. Ces copies ne sont pas totalement des illusions : dans le mythe de la caverne, les ombres qui se meuvent au fond de la caverne sont projetées par les vrais objets, elles ont donc une réalité. Le temps existe mais il n’est qu’une ombre, qu’un reflet de la vraie réalité.

-        Le temps, marque de l’impuissance et de la finitude humaines, est ainsi dévalué par rapport à l’éternité qui seule est réelle : ce qui existe réellement est éternel. Il s’agit d’une éternité rationnelle, d’une éternité posée par la raison. La vérité, par sa nature même, ne peut être qu’unique et éternelle : une vérité qui se modifierait selon les individus, ou les lieux, ou les époques, ne serait plus la vérité. Les vérités mathématiques, par exemple, portent sur des objets conçus par l’esprit et des rapports déduits par l’esprit. La vérité concernant le monde doit donc être sur le modèle des vérités mathématiques. Si nous pouvons y parvenir, c’est que notre âme a déjà, avant notre naissance, contemplé ces Idées, et que, dans ce monde, elle s’en souvient. De même, après la mort, l’âme exercée à vivre dans les Idées accédera à un niveau d’existence supérieure, où elle restera dans la contemplation éternelle des Idées et de la Vérité.

-        Il y a coexistence de l’éternité et du temps qui sont de nature différente : il s’agit là de deux niveaux, de deux degrés de réalité. Nous vivons certes dans le temps, mais pouvons concevoir l’éternité puisque la raison est de même nature que les Idées et que le Vrai; après la mort, l’âme libérée de la matière pourra vivre dans l’éternité du Vrai.

-        En somme, avec Platon, la philosophie entre dans un dualisme matière / esprit : l’esprit est lié à l’éternité, le temps à la matière considérée comme une réalité inférieure et éphémère.

2) Les paradoxes de Zénon

-        Avec Parménide et Platon, le philosophe Zénon d’Elée (né vers 490 av.J.-C.) démontre que l’Etre est immobile et que le temps n’est qu’une illusion dont témoigne l’impossibilité du mouvement. D’où les fameux paradoxes de Zénon (nous n’en évoquerons que deux, les plus connus) :

1.     Le paradoxe du mobile

-        Ce postulat, fondé sur l’idée de la divisibilité du temps et de l’espace à l’infini, consiste à montrer qu’un mobile quelconque ne pourra jamais atteindre son but. Pour aller d’un point A à un point B, il lui faudra d’abord franchir la moitié  du trajet, soit le trajet AM. Pour cela, il lui faudra encore franchir le moitié de AM, soit AM’, et ainsi de suite. Si petit que soit le trajet à parcourir, il aura toujours un milieu qu’il faudra franchir. Le mobile aura donc une infinité de points à franchir, et aura besoin d’une infinité d’instants pour cela.

2.     Le paradoxe d’Achille et la tortue

-        C’est le paradoxe le plus connu. Fondé sur le même postulat, il consiste à montrer qu’Achille-aux-pieds-légers ne pourra jamais rattraper une tortue qui a pris de l’avance sur lui. Supposons qu’Achille court dix fois plus vite que la tortue mais part cent mètres derrière elle. Le temps qu’Achille parcourt ces cent mètres, la tortue aura fait seulement dix mètres. Le temps qu’Achille franchisse ces 10 mètres, la tortue aura fait un mètre, le temps de franchir ce mètre, la tortue fera 10cm…

-        En toute rigueur logique, Achille ne peut jamais dépasser la tortue puisque l’opération peut être reportée à l’infini. Evidemment, dans la réalité, il en va autrement, et l’expérience prouve qu’Achille est capable de dépasser assez vite l’animal. Mais la démonstration de Zénon est la conclusion logique à laquelle on parvient si on admet que le temps est composé en une suite d’instants séparés. Il faut donc rejeter la thèse de la divisibilité du temps en instants infinitésimaux, à moins d’aboutir à un paradoxe.

-        Ces paradoxes, pour spécieux qu’ils paraissent au regard du sens commun, sont néanmoins impossibles à réfuter. Zénon nie le mouvement au niveau de l’Etre lui-même, mais il admet que nous vivons dans un monde d’illusion auquel nous ne pouvons échapper, et dans lequel le mouvement existe (je marche effectivement), ou plutôt dans lequel nous croyons voir ou faire des mouvements. Dans le monde de l’Etre, le mouvement ne peut pas exister, puisqu’il suppose du non-être et que le non-être n’est pas.

-        Ainsi le mouvement est-il impossible, inconcevable, et le temps, qui en est la mesure, l’est lui aussi. La logique le montre et si l’on admet le mouvement, dès qu’on cherche à l’expliquer, on tombe dans des paradoxes dont on ne peut se tirer.

 

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