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Cours: TEMPS & MEMOIRE (7 de 9)

Publié le 22/02/2012

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temps

3) Le christianisme

-        Le christianisme va renforcer cette idée d’une dualité entre temps et éternité, en renforçant l’idée de la chute et de la séparation entre l’esprit (Dieu et l’âme humaine, le premier parfait, la seconde imparfaite) et la matière (celle du monde créé, celle du corps dans lequel l’âme est incarnée et emprisonnée), entre le monde d’ici-bas et celui de l’au-delà. Dieu seul possède à la fois l’éternité et la vérité.

-        Chez Saint-Augustin, c’est par le mouvement que nous percevons le temps (“S’il n’y avait pas de choses qui passent…”), le temps est la forme et la mesure du mouvement, mais le temps n’existe pas : le passé n’existe plus, le futur n’existe pas encore, et le présent ne peut être qu’en cessant d’être, il n’est qu’un instant qui n’a point d’étendue et qui fuit. Le temps n’existe donc que dans notre esprit, sous la forme du souvenir et de l’attente.

-        Le temps appartient certes à cette vie et à l’esprit, mais cette vie a une réalité inférieure, elle n’est que dissipation. C’est l’éternité divine qui est la vraie réalité qui va donner un sens à cette vie. De même, selon Saint Augustin, l’histoire est éparpillement, les empires se succèdent et se succéderont, mais seule est vraie la “cité de Dieu” qui existe déjà sur cette terre dans les coeurs de ceux qui ont la lumière divine, et qui existera dans l’éternité après le Jugement dernier, après la fin des temps.

-        Ainsi, chez Saint-Augustin, le temps n’existe-t-il pas à proprement parler. Il possède avant tout une essence subjective et n’existe que pour et par l’âme. Qu’est, en effet, le temps, sinon une « distorsion de l'âme « ? Le passé n’est plus, le futur n’est pas encore. Seul est ce qui demeure présent. Pourtant, l’instant présent n’est déjà plus. Seule est l’éternité. Or, le passé est, dans la mesure où il est présent par le souvenir que j’en garde ; le futur est, dans la mesure où il est présent par l’attente que j’en ai ; le présent lui-même est présent par mon attention. Il n’y a donc bien que le présent qui soit. Le passé et le futur ne sont qu’en tant qu’ils sont présents à l’âme. Le temps est une distension, une détente de l’âme. L’éternel présent est comme ramassé, tendu, en un point unique et immuable (Dieu). L’écoulement du temps, qui va du futur au passé, vécu par l’âme, semble comme un relâchement, une dilatation, une détente de l’âme, éloignée par le péché de la présence divine.

4) Le temps : condition a priori de possibilité de l’expérience (Kant)

-        Avec Kant, le temps n’est pas quelque chose d’objectif et de réel au sens matériel. Ce ne sont pas les choses qui sont dans le temps, mais les phénomènes ; le temps n’est pas un phénomène mais la condition de possibilité des phénomènes. C’est, comme on va le voir, par l’idée de temps que l’on peut se représenter si les choses qui tombent sous les sens sont simultanées ou successives, et non l’inverse ; loin de naître des sens, l’idée de temps est supposée par eux.

-        La représentation de l’espace et du temps n’est pas dérivée de l’expérience mais en constitue plutôt la condition. Ainsi, par exemple, la différence entre la droite et la gauche n’est pas l’objet d’une construction conceptuelle mais s’impose à moi. Je ne peux rien me représenter, en moi ou hors de moi, que je ne situe dans l’espace et dans le temps. L’espace et le temps sont des formes, des cadres nécessaires de toute représentation. J’observe ce qui se passe hors de moi, nécessairement dans l’espace et le temps (par exemple une éclipse de lune, à tel endroit du ciel et de tel endroit de la Terre, et à telle heure) ; ou j’observe ce qui se passe en moi, nécessairement dans le temps (à tel moment du jour ou de la nuit…).

-        A travers nos formes a priori, nous n’appréhendons le monde que sous forme de “phénomènes”, et les choses telles qu’elles sont en dehors de nous (“les choses en soi”), indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir, nous sont définitivement inaccessibles. Nous ne pouvons qu’en poser l’existence, condition de notre perception, mais nous ne pouvons pas en connaître la nature. Les phénomènes désignent tout objet d’expérience possible, ce que sont les choses pour nous, relativement à notre mode de connaissance, par opposition au noumène, la chose en soi, que l’esprit peut penser, non point connaître. Dieu, par exemple, est un noumène, une réalité possible, mais que nous ne pouvons atteindre.

-        Temps, espace et catégories concernent le mode d’appréhension des objets. Sans eux, aucune connaissance ne serait possible.

-        En clair, on ne peut parler des choses que telles qu’elles m’apparaissent et non telles qu’elles sont en elles-mêmes. Je ne peux donc saisir que ce qui s’offre à mon champ perceptif dans le cadre des formes pures de la sensibilité, l’espace et le temps, et dans le cadre des catégories.

-        Nous ne pouvons donc pas savoir ce qui, en dehors de nous, correspond au temps. Notre esprit, notre raison, ont une forme temporelle et perçoivent tout à travers cette temporalité. L’éternité, si elle existe, ne nous est pas connaissable, et nous ne pouvons que la supposer comme possible.

-        Le temps est donc réel en ce qu’il est une forme de notre esprit que nous ne pouvons nier, il est un cadre mental qui nous permet de penser le monde et qui est universel pour tout être humain, mais il n’a peut-être pas de réalité hors de nous. De même, l’enchaînement des causes et des effets n’existe que pour notre esprit, les choses en soi s’enchaînent-elles ainsi, nous ne pouvons pas le savoir. Dès que nous essayons de dépasser les conditions de l’expérience possible, nous tombons dans des antinomies, contradictions, impasses logiques auxquelles nous conduit notre conception intuitive du temps.

-        En somme, avec Kant et sa conception du temps, la connaissance devient une soumission de l’objet au sujet. L’esprit construit lui-même grâce à ses principes a priori l’ordre de l’univers. Notre faculté de connaître est législatrice : elle est ordonnatrice et structurante.

Conclusion :

-        Qu’il appartienne à la matière ou à l’esprit, le temps est vu, dans ces philosophies, comme étant sans réalité ou comme ayant un degré inférieur de réalité, en opposition avec l’éternité. Il est destiné à finir, à se dissoudre dans l’éternité. Aussi bien pour l’âme individuelle qui finira par échapper au temps pour accéder à l’éternité, que pour le monde lui-même qui un jour n’existera plus (“ fin des temps”).

-        De même, le temps a quelque chose de négatif : il est la dimension de la destruction, du vieillissement, du déclin, de l’usure, de l’éparpillement. Dans la perspective chrétienne, la dispersion est la négligence morale et l’état qui favorise le péché; le temps est aussi la variété, le désordre. L’éternité, au contraire, est le lieu de la vérité, des lois stables et universelles, tant naturelles que morales. Elle est le lieu où l’esprit échappe aux désordres des passions, aux errements de l’ignorance, puisqu’elle est le lieu de la connaissance absolue.

B) LA REALITE DU TEMPS

-        En même temps que le côté illusoire, subjectif, destructeur du temps, on a toujours montré aussi que le temps était une réalité objective, ce qui permettait la maturation des situations, des êtres vivants, des idées. Les théories du temps créateur s’opposent aux précédentes en ce qu’elles présentent le temps comme essentiellement ouvert et créateur.

1) Héraclite

-        Au contraire de Parménide, Héraclite considère le temps comme constitutif de l’être. Non seulement il existe, mais c’est par lui que toutes les choses sont, et qu’à travers la diversité des choses, se retrouve l’Unité, par la lutte et l’union des contraires : “ C’est même chose que vie et mort, veille et sommeil, jeunesse et vieillesse : ce sont mutuelles métamorphoses “, “ Ni l’ombre ni la lumière, ni le mal ni le bien ne diffèrent : leur nature est une et identique “.

-        Les contraires se succèdent, s’engendrent l’un l’autre dans le temps, mais quand on les a parcourus, on en voit l’unité. C’est par la lutte que les contraires s’engendrent ou se composent : “ Le monde est une harmonie de tensions tour à tour tendues et détendues, comme celles de la lyre et de l’arc “. Les contraires s’accordent, la discordance crée l’harmonie. L’opposition des contraires est donc, à la fois, condition du devenir des choses et, en même temps, principe et loi. Héraclite fait l’apologie du devenir. Le temps est une réalité agissante.

2) Hegel

-        Chez Hegel, à la suite d’Héraclite, le temps est posé comme réel, et non plus référé à une éternité transcendante qui serait plus réelle que lui. La réalité se développe d’elle-même, et le temps est ce qui réalise la réalité en formation. Ce développement est la réalisation d’une fin, qui est la réalisation de la Raison : que le monde devienne totalement rationnel, transparent à la raison. Le temps est la manière dont l’Etre se réalise en Raison, l’Etre étant par essence mobilité.

-        La philosophie de Hegel a commencé à s’élaborer contre celle de Kant : pour ce dernier, l’absolu dépasse l’entendement, le divin est l’objet d’une foi, mais jamais d’une connaissance puisque nous ne connaissons jamais que des phénomènes. L’entendement, par conséquent, ne peut connaître que le fini.

-        Hegel, au contraire, refuse toute philosophie qui coupe de la réalité et enferme l’esprit dans ses structures et ses productions.

-        Ainsi, alors que pour Kant la raison structure les phénomènes de l’extérieur, pour Hegel elle doit les pénétrer. Les phénomènes ne sont pas que des réalités saisies de l’extérieur, des objets pour un sujet. La raison ne peut pénétrer les phénomènes que dans la mesure où elle est déjà à l’oeuvre dans les phénomènes. La raison est non plus législatrice mais pénétrante. L’esprit n’organise pas de l’extérieur le réel pour le comprendre, mais saisit la raison à l’oeuvre. Autrement dit, la philosophie de Hegel est une invitation à reconnaître la rationalité du réel.

-        Hegel entend par esprit, à la fois ce qui connaît et ce qui anime rationnellement les phénomènes, pétrit le monde mouvant et vivant : l’esprit est en même temps principe de connaissance des phénomènes et principe d’organisation de ces phénomènes, de cette réalité. Dès lors, l’esprit qui découvre la rationalité des phénomènes se reconnaît lui-même dans le monde. Le réel lui-même est rationnel. L’histoire témoigne, par exemple, de cette rationalité absolue du monde.

-        En effet, Hegel affirme qu’il est possible de découvrir la logique profonde des événements. Le processus historique a sa logique propre, qui est interne, -logique qui est celle de la raison. L’histoire n’est pas le royaume du hasard, mais elle n’est pas non plus celui du mal : l’existence du mal historique (crimes, guerres, etc.) n’apporte en rien la preuve que l’histoire est absurdité ou folie. Le mal est le moyen par lequel l’Histoire s’accomplit, la ruse, le détour de la raison dans l’histoire. Si guerres et souffrances jalonnent l’histoire, c’est que la raison pour se réaliser doit passer par ces épreuves. Celles-ci sont l’occasion pour la raison de progresser. Le mal n’est jamais que l’occasion d’un mieux.

-        Hegel pense l’histoire comme rationalité, c’est-à-dire comme trajet de la raison, en expliquant tout ce qui se produit par la fin visée. Hegel explique chaque moment du déroulement historique par le moment suivant. L’histoire est rationnelle parce qu’elle progresse. Ce qui progresse, c’est la liberté, de sorte qu’on ne peut saisir le sens de l’histoire qu’à condition d’expliquer celle-ci par le progrès de la liberté qui tend à devenir réalisée et consciente d’elle-même.

-        Peu à peu, par des transitions qui sont des bouleversements et des révolutions, la liberté étend son règne. On trouve ainsi au cours de l’histoire du monde des formes successives de la liberté qui seront dépassées les unes par les autres pour arriver à la forme idéale réalisée. L’histoire est la prise de conscience de la liberté dans le monde. Hegel distingue ainsi quatre moments :

·       Le despotisme oriental qui affirme qu’un seul homme est libre (particulier); l’avènement des aristocraties grecque et romaine : reconnaissance que quelques hommes sont libres (particulier);

·       l’avènement du christianisme : reconnaissance que l’homme en tant qu’homme est libre; cette reconnaissance est celle de la liberté purement intérieure; elle n’est pas réalisée car les conditions objectives sont celles de l’esclavage (universel abstrait);

·       la dernière étape doit être celle de la liberté effective, concrète, qui sera réalisée grâce à l’édification de l’Etat moderne (universel concret). La raison se comprend comme liberté effective lorsque coïncident les intérêts du citoyen et les impératifs de l’Etat.

-        Le conflit entre la liberté individuelle et l’Etat doit être surmonté : l’histoire se comprend comme réalisation de cette fin; la raison progresse par dépassement de conflits. La fin de l’histoire est le moment où l’universel est réalisé, où la liberté de tous les hommes devient objective, garantie par les institutions. Les individus n’ont souvent pas conscience de réaliser ce but (César, par exemple, combat pour son profit personnel mais fonde l’Empire romain). Le destin de la raison s’accomplit quelle que soit l’intention avouée des agents historiques eux-mêmes.

-        Au total, selon Hegel, l’Etre ne peut se réaliser que dans le temps. Le temps est une forme de l’être, l’être est mobilité, il doit advenir dans le temps. Le développement historique décrit n’est pas un développement continu, linéaire. Il y a des tâtonnements (erreurs, en ce qui concerne la connaissance, formes imparfaites de réalisation…) dont certains mènent à des impasses, les divers niveaux de développement se chevauchent, se recoupent. La philosophie de Hegel présente un double paradoxe.

-        D’abord, du fait que l’Esprit est le but du développement de l’être, et qu’en même temps il est présent dès le début comme latent, à réaliser, la philosophie de Hegel est autant une philosophie de l’éternité qu’une philosophie du temps. Dès le début, l’Etre absolu, l’Esprit, est présent tout entier dans ses diverses déterminations, comme la plante est tout entière dans son germe, il y a une intemporalité de l’être, en même temps qu’un développement temporel de ses différents moments.

-        Ensuite, l’Esprit devant parvenir à son achèvement, le temps est voué à s’abolir. Que sera cette fin du temps ? Si la notion de fin de l’histoire a été vivement critiquée, Hegel a inauguré l’idée d’un temps ouvert, créateur, sans référence dévalorisante à une éternité transcendante.

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