Grand cours: CONSCIENCE & INCONSCIENT (c de j)
Publié le 22/02/2012
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B) LA CONSCIENCE ET LE MONDE
- A la question de savoir ce qu'est " être normal ", Freud avait répondu : " Aimer et travailler". Aimer renvoie au rapport entre les consciences, travailler, au rapport entre la conscience et la réalité. Le fou, en effet, n'est plus capable ni de l'un ni de l'autre. Toute conscience est à la fois conscience de quelque chose, comme le dit Husserl, mais aussi conscience pour quelque chose et pour quelqu'un.
1. L'intentionnalité
- Selon Husserl (1859-1938), le père de la phénoménologie, l'intentionnalité est le caractère essentiel de la conscience. Par intentionnalité, il faut entendre l'acte par lequel la conscience se rapporte à l'objet qu'elle vise : " la conscience est conscience de quelque chose ". Elle n'est pas un sujet qui se réfléchit lui-même en dehors du monde, à côté des choses. La conscience n'est pas, comme le prétend Descartes, une "chose pensante", mais une visée : on ne peut pas saisir la conscience comme telle, c’est-à-dire isolément, comme une chose ou un objet.
- La conscience ne se rencontre qu’en train d’avoir conscience d’un objet, que prenant conscience d’un objet et cela de diverses manières. Tout ce que l’on peut saisir d’elle, ce n’est pas un quelque chose, mais différents actes de conscience en rapport avec différents objets : perception, jugement, représentation, etc.
- Lorsque nous pensons, nous pensons toujours à quelque chose : je perçois tel arbre, j’en ai conscience parce que je le perçois; je me souviens de telle chose passée, j’ai conscience de cette chose en tant que je fais l’effort de m’en souvenir; je crois en telle chose, j’ai conscience de cette chose en tant que j’y crois…
- Mais la conscience pourrait-elle n’être conscience de rien du tout et rester une conscience ?
- Au premier abord, il semble que oui : ne dit-on pas quelquefois que l’on ne pense à rien, voulant dire par là que notre conscience est vide, qu’elle n’a aucun objet, aucun contenu ? Mais cela est-il exact ? Lorsqu’on dit qu’on ne pense à rien, pensons-nous vraiment à rien? En réalité, nous avons encore des pensées, quelque chose à l’esprit, mais ces pensées ne font que nous traverser l’esprit sans qu’on fixe sur elle notre attention. Un flux de pensées confuses nous passe par la tête et notre attention est flottante. Lorsqu’on dit qu’on ne pense à rien, on pense encore à quelque chose! Husserl en conclut qu'il 'existe pas de pure pensée qui serait pensée de rien.
- Husserl montre donc que la structure même de la conscience est d’être ouverte sur le monde et d’inclure en elle le sens de chacun des objets auxquels elle a affaire. Que le monde existe ou qu’il n’existe pas, qu’il existe tel que je le pense ou non, la conscience ne se réduit jamais à une conscience pure de tout contenu, elle est toujours conscience de quelque chose, visée de quelque chose qui se distingue d’elle, d’un objet.
- Dès lors, de même qu'il ne saurait y avoir de conscience purement intérieure, il n'y a pas non plus de monde purement extérieur. Même des états de conscience qui passent pour purement intérieurs représentent à leur manière une certaine relation au monde extérieur. La conscience n'est pas un récipient, un monde intérieur qu'on pourrait opposer au monde extérieur : " la conscience s'éclate vers l'objet; si elle essaie de se reprendre, de coïncider enfin avec elle-même, tout au chaud, volet clos, elle s'anéantit…" (Sartre, Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : l'intentionnalité"). Je sais certes qu'il existe au monde autre chose que moi, mais ce monde, qui apparemment est sans moi, c'est moi qui, par mon regard sur lui, le fait être. Je ne peux pas prendre conscience du monde sans prendre en même temps conscience de moi.
- Sartre, dans le prolongement de la phénoménologie husserlienne, en conclut qu'exister, pour la conscience, c'est être hors de soi, se projeter en avant vers les choses, vers l'avenir, sous la forme de projets. Le corrélat de la conscience est alors la liberté : exister, pour la conscience humaine, c'est orienter par son projet le sens de l'avenir. C'est ainsi que Sartre distingue l'en soi et le pour soi : l'en soi est le mode d'être des choses qui sont ce qu'elles sont, dans une parfaite coïncidence avec elles-mêmes; le pour soi est le mode d'être de l'existant humain qui, toujours à distance de lui-même, n'est jamais tout à fait soi.
- Sartre reprend la notion husserlienne d'intentionnalité de la conscience et lui adjoint celle de négativité. Si la conscience n'existe que dans son rapport à autre chose qu'elle-même, si elle est condamnée à sortir de soi et qu'elle ne possède pas d'intériorité, la conscience est alors fuite, échappement permanent à soi, refus d'être substance. La négativité désigne la capacité qu'a la conscience de mettre à distance, d'annuler. Exemple de l'imagination : pouvoir de s'arracher au monde et de le nier, de le poser comme absent ou irréel.
- Conséquence : je suis moi et en même temps toujours plus et autre que ce que je suis; je puis, à tout moment, dépasser mes déterminations, échapper à toutes les définitions. Par la négativité, l'homme se saisit comme liberté entendue comme pouvoir de s'arracher au monde, de se soustraire aux déterminations. Certes la liberté est toujours en situation et le sujet ne choisit pas la situation dans laquelle surgit la liberté. Mais il choisit le sens qu'il lui donne, le rapport que la liberté entretient avec une situation est toujours un choix : je décrète impossible ce que je refuse de rendre possible, je juge intolérable la situation que je décide de ne plus tolérer. Or, on peut toujours reculer les limites de l'intolérable…
- Selon Rousseau, c'est précisément la liberté qui distingue l'homme de l'animal ou, plus précisément, la conscience de la liberté, entendue comme faculté de s'écarter de soi en même temps que du monde ou des contextes particuliers dans lesquels on est englué. Capacité également d'acquérir progressivement de nouvelles qualités et perfections que Rousseau nomme la perfectibilité, laquelle rend possible l'éducation, l'histoire, c'est-à-dire finalement le changement, voire le progrès. L'homme est si peu programmé par la nature qu'il peut commettre des excès (boire, fumer, etc.), jusqu'à en mourir. La preuve en est qu'il peut prendre le mal en tant que tel comme projet (la méchanceté). Exemple de la torture.
2) La négation (Texte de Hegel, in Esthétique, page 18 du manuel Hatier TL. Exercice de méthodologie sur l'explication de texte : analyse du texte à partir d'un tableau)
- " Avoir conscience de ", ce n'est pas seulement représenter le réel, le réfléchir en quelque sorte; c'est aussi présenter l'irréel, nier la réalité présente, de sorte que la conscience ne photographie pas la réalité, elle dessine ou peint la sienne. La conscience réplique au monde, elle n'est pas une réplique du monde.
- Cette négation revêt de multiples formes : imaginaire (l'art, par exemple, qui donne à l'artiste le moyen d'exprimer ce qu'il n'est pas, une oeuvre d'art étant un puissant moyen pour donner une forme concrète ), psychologique (la psychose, la déception où la conscience éprouve la chute que le réel lui inflige et réagit à la brutalité massive des êtres et des choses), religieux ou spirituel (détachement à l'égard du monde dans l'extase mystique, la transe chamanique, la méditation du bouddhiste zen…), etc.
- Analyse du texte de Hegel à partir du tableau.
- Commentaire :
- Par la conscience, ici la pensée, l'homme accède à une double existence, c'est-à-dire à une double manière d'exister. En tant qu'être conscient, il est d'abord cet être, cette chose (un corps, quelque chose de matériel ), mais il est aussi un être pour soi par sa conscience ou comme le dit aussi Hegel, une conscience de soi. Etre doué de conscience, c’est vouloir prendre conscience de soi, c’est-à-dire vouloir se saisir, se représenter, se connaître. Un être doué de conscience ne se contente pas de savoir qu’il existe et qu’il est au monde; il ne peut que partir à la découverte de lui-même et du monde, attitude présente aussi bien chez l’enfant, dans sa curiosité à l’égard de lui-même et du monde, que dans l’espèce humaine qui ne cesse en effet de s’interroger sur elle-même et sur le monde qui l’entoure.
- Cette conscience de soi est le fruit d’une activité, d’une double conquête : celle, théorique, qui consiste à se connaître et à se représenter à soi-même (pouvoir dire : cela, c’est moi.) et celle, pratique, qui consiste à transformer la réalité extérieure afin de lui imposer son sceau, des déterminations qui portent notre marque et qui rendent donc cette réalité d’abord étrangère familière. Ainsi se trouve réduite ou détruite l’altérité de cette réalité.
- La conscience, telle qu'Hegel nous la décrit dans ce texte, est acte, extériorisation marquant le monde de la forme du sujet. D'essence tout autant théorique que pratique, la conscience est désir, c'est-à-dire mouvement par lequel je tends vers les choses, me les approprie, les transforme, tout en me découvrant et transformant moi-même.
3) La projection
- La conscience est une projection tout autant qu'un écran.
- Ambivalence d'abord de l'écran qui à la fois fait voir (l'écran de projection) et empêche de voir (faire écran). L'idée de séparation domine : écran vient d'un mot francisque qui signifie bouclier; l'écran est originellement un pare-feu. La conscience, comme le cinéma, s'impose contre le feu du réel.
- Nous ne voyons pas le monde tel qu'il est mais tel que nous sommes. C'est sans doute ce qui est à l'origine de l'anthropomorphisme. L'anthropomorphisme est la propension à se représenter toutes les réalités – choses, animaux, univers, Dieu, etc. – sur le modèle de la réalité humaine.
- Notions freudiennes d'investissement et de projection.
- Nous projetons sur la réalité des affects qui ne sont jamais détachés de soi. S'investir, c'est mettre quelque chose de soi-même hors de soi-même. L'investissement se distingue de la réserve, où la distance demeure, et du don de soi, où elle est annulée. Et c'est d'ailleurs lorsque le sujet se perd ou s'oublie lui-même (on ne pense plus à soi quand on est absorbé par son travail), qu'il se gagne : cette sortie hors de soi est une retrouvaille).
- Freud parle également d'un mécanisme de défense puissant à l'oeuvre surtout dans la paranoïa et dans la phobie, la projection : le sujet attribue au monde extérieur des pensées, des désirs, des sentiments qu'il ne peut reconnaître comme siens. Il s'agit d'un processus psychique inconscient par lequel un sujet détache de soi un désir ou un sentiment qu'il éprouve à son insu (souvent un sentiment d'hostilité) et l'attribue à d'autres. Ce mécanisme s'opère aussi dans la superstition.
- D'où la possibilité d'une certaine morale ou sagesse à partir de la prise en considération de ce caractère projectif de la conscience.
- Les philosophies épicuriennes et stoïciennes, par exemple, nous enseignent ainsi que ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses en tant que telles, ce sont plutôt les jugements qu'ils portent sur les choses. Exemples : la peur de la mort, l'outrage.
Conclusion :
- La conscience entretient donc un rapport au monde tout autant théorique que pratique : représentation, intentionnalité, négation ou négativité, projection sont les modes principaux de cette relation complexe que nous nouons avec le monde, les choses, les autres qui nous entourent et nous constituent en même temps. Retenons, par conséquent, le caractère éminemment relationnel, dynamique, ouvert de la conscience. Comment envisager alors la question de l'identité du sujet ou de la personne, si la conscience de soi n'est possible que médiate ou aliénée ? Ne sommes-nous pas condamnés à l'extériorité permanente qui semble en contradiction avec le sentiment, vécu par le sujet, d'une intériorité irréductible, voire d'une clôture du sujet sur lui-même (notion de solitude ontologique) ?
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