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Grand cours: LE DROIT (13 de 16)

Publié le 22/02/2012

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droit

B) LE DROIT DE PUNIR

- Si l’idée de droit équivaut à un désaveu de la violence, la violence est présente à la source même du droit, dans son exercice et notamment dans les sanctions prévues contre ceux qui violent le droit. Ainsi le droit pénal ne punit-il la violence des citoyens qu’en exerçant la violence à son tour. Mais le droit transforme la violence en force par un processus de rationalisation, de légalisation et de légitimation. On ne confondra donc pas sanction et vengeance, de même que la peine de mort ne saurait être assimilée à un seul assassinat de la part de l’Etat.  Certes, plus les lois sont justes et moins la contrainte est nécessaire. Mais le droit doit avoir force de loi s’il ne veut pas rester lettre morte et se réduire à une belle intention. La sanction semble alors justifiée par la possibilité permanente, inscrite dans la notion de loi elle-même, de la transgression, de la désobéissance, qui renvoient à l’égoïsme ou à la méchanceté de l’homme. Le problème est alors posé du droit de punir, de la violence pénale, de la sanction juste : pourquoi punir et de quelle manière ?

1)     La notion de peine

- « Le droit pénal englobe l’ensemble des sanctions pénales attachées à des attitudes ou manières déviantes précisément définies, comme le Droit est l’ensemble des sanctions civiles ou pénales attachées à des attitudes réprouvées par le groupe… « (F.J. Pansier, La peine et le droit, p.8). Selon Durkheim, la peine est « une réaction personnelle, d'intensité graduée, que la société exerce par l'intermédiaire d'un corps constitué sur ceux de ses membres qui ont violé certaines règles de conduite «. On parle ainsi de « déviance « pour qualifier toute attitude non conforme à la convention sociale.

- La peine ne prévient pas seulement des atteintes injustes à l’ordre social, elle est aussi censée protéger des punitions injustes. On peut penser la peine soit comme le fait d’affliger et de  punir (il ait sévir parce qu’une faute a été commise), soit comme la juste rétribution par la société d’une attitude déviante, en fonction du besoin de sécurité de l’ordre public. La doctrine de la rétribution se divise en rétribution morale et rétribution juridique. La rétribution morale désigne une exigence profonde que le mal soit rétribué par le mal, comme le bien doit être récompensé d'un bienfait. La doctrine de la rétribution juridique (Kant, Hegel) considère le délit comme rébellion de l’individu à la volonté de la loi, et de ce fait exige une réponse qui sera une réaffirmation de l’autorité étatique.

- Nous avons vu que la justice corrective, au sens aristotélicien, est la justice qui rétablit l’égalité violée par l’acte délictueux, c’est-à-dire contraire au droit. Or, cette définition apparaît insuffisante, dans la mesure où elle limite l’action du droit à la simple réparation des torts (le voleur doit rendre ce qu’il a volé ; si j’ai causé un tort, je dois indemniser la victime…) et tombe ainsi dans la loi du talion (le meurtrier doit être tué, le voleur doit avoir la main coupée, etc.)

- D’où la notion moderne de proportionnalité de la peine. Il s’agit d’établir une relation entre une série d’attitudes déviantes et les peines. Cette idée remonte sans doute à Platon qui, dans le Gorgias (523 a-524 a), décrit les hommes, à l’heure de la sentence finale, qui sont jugés et sanctionnés sur leur vie, leurs actes, leurs mérites, avec un strict respect du principe de la proportionnalité et de la personnalisation de la peine : non à tous la même peine, mais à chacun selon sa faute. Ce principe de proportionnalité a aujourd’hui valeur de principe constitutionnel ayant vocation à régir l’ensemble du droit pénal.

- Cette proportionnalité de la peine est elle-même fondée sur une hiérarchie des infractions selon le principe du degré de gravité. Ainsi le code pénal français distingue-t-il trois catégories d’infractions qui sont jugées par différentes juridictions compétentes  (du tribunal de police pour les infractions les moins graves – les contraventions – jusqu’à la cour d’assises pour les infractions les plus graves – les crimes) : contraventions, délits, crimes.

2)     La vengeance (texte de Hegel)

- La punition, envisagée comme sanction légale, voire légitime, est à distinguer de la vengeance, violence privée et illégale, en vertu du principe que la loi transforme la violence en force et que « nul n’a le droit de se faire justice soi-même «. Sur quoi cette distinction se fonde-t-elle ? C’est à cette question que le texte suivant de Hegel répond.

Texte de Hegel

« La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l’oeuvre d'un juge. C’est pourquoi il faut que la réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle et le droit se trouve ainsi troublé. De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l'arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constitue à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l'infini, de nouvelles vengeances. «

1. La thèse de Hegel

- En tant qu’acte de droit, la punition s’oppose rigoureusement à la logique purement passionnelle de la vengeance. Ce texte justifie l’opposition de la vengeance et de la punition qui ne sont pas de même nature et qui renvoient à deux logiques différentes. La punition, comme acte de droit et réparation légale, n’a rien à voir avec la vengeance, fondée sur la logique passionnelle et rattachée à l’arbitraire.

2. Expressions

- « Un acte de la partie lésée « : une réaction de la victime qui, ayant subi un préjudice, veut obtenir réparation elle-même.

- « Le droit se trouve ainsi troublé « : le droit, défini comme ensemble de règles qui rend possible la cohésion et la concorde d’un groupe, ne peut s’affirmer que dans le silence des passions. Le droit est la détermination rationnelle des normes de la vie commune et requiert l’avènement, en chaque individu, de la raison.

- « Un mobile subjectif « : le mobile, c’est ce qui pousse à agir, à mettre en mouvement. Le mobile peut relever soit de l’affectivité, de la subjectivité, soit d’un examen réfléchi et rationnel. Est subjectif un mobile qui relève de la subjectivité, c’est-à-dire de l’affectivité propre à chaque homme, considéré dans la particularité de son existence et de ses réactions.

3. Commentaire

- Le précepte du droit est que « nul n’a le droit de se faire justice soi-même «. S’il peut sembler paradoxal d’interdire à la victime de l’agression toute riposte qui ne relève pas de la légitime défense, la fondation d’un Etat de droit est incompatible avec l’acceptation de la possibilité d’une telle riposte, qui conduirait à transformer l’ensemble de la société en un champ clos de luttes incessantes, de  « vendetta « (la vengeance entraîne des vengeances en chaîne et à l’infini). Pour que la punition soit normée par la seule loi, il faut qu’elle soit affranchie de toute passion.

- Pour conjurer la violence paroxystique et échapper à la loi du plus fort, il faut placer les rapports entre les hommes sous la juridiction d’un Etat de droit, où doit prévaloir la norme de ce qui doit être, conformément à une exigence de justice. Toute infraction, après avoir été dûment établie et caractérisée, doit être sanctionnée conformément à la loi , et non selon l’appréciation personnelle ou le désir de vengeance de la victime. Placer ainsi toute punition sur le plan de la loi, c’est lui assurer sa force et sa légitimité : nul n’en peut contester le principe ou l’application (sauf sur le plan et par les moyens du droit) dès lors qu’elle s’impose à tous de la même façon. Cette rationalisation de la violence par le droit aboutit historiquement à une rationalisation progressive des sociétés qui tendent à devenir de moins en moins violentes et à régler leurs différends par les dispositions rationnelles du droit.

- C’est ce que montre l’historien Jean-Claude Chesnais, dans Histoire de la violence : contrairement à ce que prétend la rumeur ambiante, nos sociétés ne sont pas menacées par une irrésistible ascension de la violence. L’idée d’une poussée continue de la grande criminalité est fausse : seules la petite et la moyenne délinquance ont augmenté. Le recul séculaire de la violence s’explique par l’émergence de la rationalité : érosion des institutions médiévales, mise en place de l’Etat moderne avec son appareil répressif (police, justice) et ses moules sociaux (l’école et l’armée); la lente disparition de la rareté (c’est la misère qui explique en partie la barbarie de certains crimes, comme le suggèrent les chroniques médiévales abondant en récits de famines qui dégénèrent en carnages anthropophagiques), la révolution démographique (diminution de la mortalité qui a abouti à une valorisation de la vie humaine). Les sociétés villageoises anciennes pratiquent la violence sanglante : elles ne connaissent d’autres formes d’expression que la vengeance privée.

- De même, Norbert Elias, dans La civilisation des moeurs, met-il lui aussi en évidence le déclin historique de la violence, dû, selon lui, à une tendance séculaire à la maîtrise des pulsions , qu’il nomme “civilisation des moeurs”, et à la monopolisation par l’Etat de la “violence légitime”. L’agressivité est, au fil des siècles, lentement maîtrisée, elle a été “affinée”, “civilisée”, comme toutes les autres pulsions sources de plaisir. C’est à peu près au XVe siècle que les moeurs commencent lentement à perdre de leur caractère pulsionnel.

- Dès lors, la punition légale ne peut plus relever d’une logique de la vengeance, quand bien même, comme l’a montré Michel Foucault (in Surveiller et punir), les dispositifs de sanction renverraient à des dispositifs de pouvoir, de contrôle, de quadrillage des individus et du corps social. Même si la réalité peut démentir cette distinction entre la punition et la vengeance (voir le film de Tavernier, Le juge et l’assassin), il convient de ne pas confondre le fait et le droit.

- Pour que la punition ne doive rien à la vengeance, deux conditions sont requises : il convient que les attentes légitimes de toute victime à l’égard de la loi soient prises en charge par celle-ci ; mais il faut aussi que la victime admette la nécessité d’un « traitement « juridique de la faute commise. La punition légale doit répondre à une exigence impersonnelle en son principe, dépourvue de toute dimension subjective ou particulière ; elle fait dépendre la réparation accordée à la victime non d’un ressentiment enclin naturellement à une réaction disproportionnée (que ne ferait-on pas à l’assassin pour venger la victime ? la vengeance a l’esprit fécond lorsqu’il s’agit d’imaginer maints raffinements pour faire souffrir l’assassin et le châtier !), mais d’un principe d’évaluation des dommages aussi objectif que possible.

- Certes, une telle conception se heurte à l’approche passionnelle et à l’opinion commune, ce qui rend la peine capitale tellement populaire. Le désir de vengeance, en effet, reflète la souffrance et la difficulté, pour la victime, de prendre ses distances. C’est pourquoi d’ailleurs la punition légale n’est souvent perçue que comme vengeance. Mais ce qui est compréhensible (comment ne pas partager la souffrance des parents dont on a tué l’enfant et comprendre leur volonté bien humaine de vengeance qui exprime, à sa façon, l’exigence de justice, c’est-à-dire ici de réparation ), sans être acceptable, lorsqu’il s‘agit de victimes sous l’emprise de la souffrance et de la passion immédiate, ne peut l’être de personnes qui sont en mesure de prendre leurs distances et de faire droit aux exigences de la raison. Il est ainsi abusif et illégitime d’étendre la clause, très précise et rigoureusement délimitée, de la légitime défense (Code pénal, articles 122-5 et 122-6), à un prétendu droit de se faire justice soi-même.

- Où l’on voit, en conclusion, que la punition ne saurait rien devoir à la vengeance, même lorsque la sanction pénale ressemble comme deux gouttes d’eau à la violence privée ou à une forme édulcorée et impersonnelle de vengeance, comme cela semble être le cas avec la peine capitale que d’aucuns pourraient qualifier d’assassinat légal et étatique. Avant d’examiner cette question de la peine capitale, demandons-nous quelles sont les principales fonctions qui sont généralement assignées à la sanction.

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