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Grand cours: LE DROIT (15 de 15)

Publié le 22/02/2012

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droit

C) LA VIOLENCE LEGITIME : LA DESOBEISSANCE CIVILE

- Faut-il parfois désobéir aux lois, au nom notamment des droits de l’homme ? A-t-on le droit de contester le droit en utilisant la violence pour rétablir le droit ?  Cette question de la désobéissance relance la problématique du rapport entre le droit naturel et le droit positif, et revient à formuler d’une autre façon la question des droits de l’homme. Le mot « parfois « a ici toute son importance, dans la mesure où, comme nous allons le voir, il ne s’agit pas, loin s’en faut, de désobéir toujours ou systématiquement à la loi, faute de quoi celle-ci serait niée dans on principe même et, avec elle, la justice tout entière. Il va s’agir de montrer le caractère exceptionnel de la désobéissance, en soulignant le caractère nécessaire et respectable des lois.

- Si, comme le prétend Rousseau, la véritable liberté est l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite (l’autonomie), n’est - il pas des situations dans lesquelles ma liberté, et ma conscience,  m’appellent à la désobéissance, et m’en fasse même un devoir ? Deux cas justifieraient alors cette désobéissance, entendue non plus comme une simple insoumission rebelle ou marginale, mais comme une véritable vertu civique : lorsque les circonstances rendent la loi impossible à respecter ou lorsque la respectabilité de la loi est elle-même contestée. Cette réflexion sur la désobéissance va nous permettre de montrer qu’il existe une violence féconde qui  fonde ou forge le droit, une violence pour le droit à l’origine de la plupart des lois, des droits et des constitutions, - violence féconde et créatrice par opposition  à la violence stérile, gratuite et destructrice. Le droit ne peut progresser et s’effectuer que par des moyens qui le nient.

1)     Le devoir d’obéissance à la loi

- Comme nous l’avons vu au tout début de ce cours, l’homme juste est d‘abord celui qui obéit à la loi . La loi est par définition universelle, de sorte que tout individu a pour obligation de la respecter et de lui obéir. La loi politique ou juridique impose à tous la même conduite : si je prétends y échapper, je m’accorde alors une supériorité sur les autres, synonyme à nouveau d’inégalité. De même, en ce qui concerne la loi morale, Kant a montré qu’une action n’est morale que si elle est universalisable ; mon devoir m’ordonne de respecter la personne d’autrui parce que l’attitude contraire ne serait pas universalisable et serait immorale : j’entendrais ne pas respecter autrui, mais j’attendrais qu’il continue à me respecter. J’instaurerais ainsi une inégalité, une non-réciprocité.

- L’universalité de la loi, qu’elle soit morale ou juridique, instaure une égalité entre les hommes. Puisqu’il y a réciprocité des droits et des devoirs, tout devoir ressenti comme une contrainte est équilibré par un devoir systématique d’autrui à mon égard. L’obéissance à la loi paraît donc obligatoire. Le contraire serait synonyme d’inégalité et d’arbitraire : si n’importe quel citoyen ou homme d’Etat pouvait déroger à cette obéissance, ce serait le règne de l’injustice, voire de la violence. Or, la définition même de l’Etat de droit instaure une égalité de tous (y compris le gouvernant) devant la loi, autorise le citoyen à faire valoir son droit contre l’Etat ou l’administration, et à poursuivre devant les tribunaux compétents le ministre ou le chef d’Etat qui violerait le droit commun ou la constitution.

-        Texte de Kant n° 9 p 465 (manuel de philo de terminale).

- Kant conteste la légitimité d’un droit de résister à l’oppression : Kant doute que la conscience individuelle soit capable d’apprécier de quel côté se trouve le droit.

* thème : la résistance au pouvoir

* problème : Peut-on opposer la violence à la violence de l’Etat ? A - t - on le droit de contester - violemment ou non - le droit ? Y a-t-il un usage légitime de la violence au service du droit ou de la justice ? Jusqu’à quel point le droit de contester le droit peut-il être reconnu et par quelle instance ?

* thèse : “tout droit prétendu de faire infraction au droit ne peut-être qu’un non-sens”. On ne peut légitimement opposer la violence à la violence.

* plan du texte :

* ligne 1 à 4 : La révolte contre l’Etat est condamnable en ce qu’elle menace le fondement même de l’Etat.

 

* ligne 4 à 10 : Cette interdiction est valable en tout temps et en toute circonstance ; elle ne souffre aucune restriction, même lorsque le chef d’Etat est un tyran. L’opposition de la violence à la violence est illégitime.

* ligne 10 à 24 : Justification de cette affirmation. Plusieurs arguments : on ne peut remettre en question une constitution ; personne ne pourrait décider si c’est le peuple qui a raison ou le chef de l’Etat, chacun étant à la fois juge et partie ; le droit d’enfreindre le droit est un non-sens, une contradiction dans les termes ; personne ne peut, en réalité, apporter des réponses raisonnables à ce problème de la légitimité du droit à l’insurrection.

* ligne 24 à 27 : conséquence. L’insurrection n’est pas un droit. Le chef de l’Etat ou le pouvoir législatif est la seule autorité qui détienne le droit.

- On trouve cette idée déjà exprimée chez Socrate qui se soumet à la loi lorsque celle-ci le condamne injustement au nom du respect de la loi (mieux vaut une loi injuste que pas de loi du tout).

- D'un strict point de vue juridique, il y a donc une impossibilité logique à autoriser la désobéissance et à faire de la révolte un droit. De ce point de vue-là, toute révolte est d'abord révolte contre le droit. La révolte ne peut être un droit car elle se situe toujours en dehors du droit. On peut bien résister mais on ne peut pas désobéir.

- Mais que vaudrait une résistance au droit, aux lois et au pouvoir qui ne soit pas aussi désobéissance ? La révolte n'est plus alors simplement résistance, comme nous l'avions d'abord cru, elle est aussi et surtout désobéissance. Pourtant, il est impossible pour une telle révolte d'être légale, c'est-à-dire autorisée par le droit positif. Pour rester cohérent avec cette logique du droit, il nous faudra trouver une forme de révolte qui soit non seulement acceptable moralement mais même prévue et autorisée par le droit positif.

2) Désobéissance et révolte

- La désobéissance à la loi s’exprime notamment sous la forme de la révolte. La révolte peut-elle être un droit, voire un devoir ? Si la désobéissance à la loi est l’autre nom de la violence, dans quelle mesure cette forme de violence possède-t-elle une légitimité ? La révolte peut-elle être finalement au service du droit et de la justice ?

2.1  – La notion de révolte

- La révolte se définit de prime abord comme une résistance au droit et à l'autorité. Le délinquant maladroit qui vole subrepticement un bien quelconque peut bien voir son geste comme un rejet de la société et de son ordre établi. Et ce vol est sa révolte. Pourtant peut-on croire qu'une telle révolte soit un droit ? S'il y a un droit à la révolte, il ne peut pas s'appliquer à toute forme de résistance à l'autorité. A quelle condition alors une révolte peut-elle être un droit ?

- Pour répondre à cette interrogation il nous faut réfléchir sur la nature du droit. En effet, le droit a pour première fonction de protéger ma personne et mes biens. Le droit est d'abord ce qui retient autrui de me tuer ou de me voler. Dans le Léviathan, Hobbes insiste sur ce fait, que si les hommes acceptent de se soumettre aux contraintes du droit et renoncent à une grande part de leur liberté naturelle, c'est avant tout parce que le droit et le pouvoir garantissent leur sécurité. Le but premier du droit est la sécurité des personnes. Le droit sert d'abord à me protéger.

- Mais quand ce même droit cherche à porter atteinte à ma personne, lorsqu'il met en danger ma vie, je ne suis plus tenu de lui obéir, ou plutôt, en suivant les mots de Hobbes, je garde la liberté de lui désobéir : " Si le souverain ordonne à un homme (même justement condamné) de se tuer, de se blesser, ou de se mutiler ; ou bien de ne pas résister à ceux qui l'attaquent ; ou bien de s'abstenir d'user de la nourriture, de l'air , des médicaments, ou de toute autre chose sans laquelle il ne peut vivre : cet homme a néanmoins la liberté de désobéir." (Léviathan, I, chap. XXI) - Dès que la loi, le droit ou le pouvoir cherchent à me tuer, je peux me révolter, et cette révolte est légitime, car il est naturel de chercher à conserver sa vie. La légitimité de cette révolte tient dans le fait qu'il est dans l'ordre des choses naturelles de chercher à vivre. Tout être vivant a en lui comme un instinct de survie qui lui donne un droit de révolte contre tout pouvoir qui mettrait en danger sa vie.

-Toutefois, cette première idée est encore insuffisante. La résistance d'un seul, même quand elle est légitime, ne fait pas encore une révolte. L'idée de révolte semble sous-entendre un soulèvement massif. De sorte que la révolte est d'abord la révolte du peuple. Or, on n'imagine mal le peuple craindre pour sa vie. Le tyran peut tuer quelques opposants, non tout un peuple. Le peuple n'est jamais menacé dans son existence pour avoir un tel droit naturel de se révolter.

- Alors, à quelle condition un peuple tout entier peut-il se révolter, et se révolter légitimement ?

- Imaginons un peuple opprimé, soumis à la terreur qu'exerce un despote ou un tyran. Devant une telle scène, ce qui nous surprend c'est de le voir obéir. Nous sommes surpris du fait qu'il ne se révolte pas. Dans son Discours de la Servitude Volontaire, La Boétie traduit ainsi son étonnement  devant un tel spectacle : " Mais, ô bon Dieu! Que peut être cela ? comment dirons-nous que cela s'appelle ? quel malheur est celui-là ? quel vice, ou plutôt quel malheureux vice ? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouverné, mais tyrannisés; n'ayant ni bien ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux! Souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d'une armée, non pas d'un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d'un seul, d'un seul homme, et le plus souvent le plus lâche de la nation." (éd. GF, pp. 133 - 134).

- Si l'absence de révolte nous surprend, c'est qu'en fin de compte la révolte nous semble normale et légitime. Pourquoi la révolte contre toute forme de despotisme nous semble-t-elle légitime ? Parce que dans un tel régime les droits fondamentaux de l'homme ne sont pas respectés. Les hommes vivent dans la crainte et dans un état d'esclavage. Or, le pouvoir est là pour nous garantir la sécurité et la liberté. Ce sont là deux droits fondamentaux des hommes. Dès que le pouvoir porte atteinte à ces droits, il porte atteinte à la dignité humaine et prive les hommes de ce qui les fait hommes. Le peuple a un droit évident à la révolte. Et on peut dire que aussitôt que le peuple a droit à la liberté et à la sûreté, il a par là même droit à la révolte.

2.2  – La révolte, un droit et un devoir

- C'est en ce sens que la résistance à l'oppression apparaît dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyens du 26 août 1789, au côté des autres droits fondamentaux de l'homme: "Article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression."

- En cela, nous pouvons dire que la révolte est un droit naturel, comme la liberté ou la sûreté. Non plus au sens où ces droits appartiendraient à l'ordre naturel des choses, mais au sens où ces droits appartiennent à la nature humaine, et sont le propre de l'homme. Bien plus, le droit à la révolte, compris comme droit naturel à la résistance à l'oppression, n'est pas un droit comme les autres. Ce droit de révolte est comme le garant de tous les autres droits fondamentaux de l'homme. Il est le droit qui nous assure que nos autres droits seront respectés. A cet égard, ce droit à la révolte a donc une importance capitale. Il est plus qu'un droit auquel nous pourrions avoir recours, il est une véritable obligation. Ce droit est en fait un devoir.

- La nouvelle rédaction des droits de l'homme du 24 juin 1793 porte trace de cette ambiguïté puisque le droit à la révolte n'est plus énoncé en même temps que les autres droits fondamentaux, mais apparaît au dernier article comme un devoir : "Article 35 : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs." (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793)

- Ainsi, non seulement la révolte est un droit, elle est même un devoir. En cela, ce droit est fondamental, il est un droit naturel. C’est ce que montre Rousseau dans Du contrat social (I, IV, texte p.415, livre de TL)

* thème : la résistance à l’oppression

* problématique : l’homme a-t-il le droit de se révolter contre l’oppression ? L’homme peut-il renoncer à sa liberté ?

* thèse : renoncer à sa liberté , c’est renoncer à sa qualité d’homme. La résistance à l’oppression est à la fois un droit et un devoir.

* enjeu du texte : il y a une légitimité de la violence lorsque l’autorité de l’Etat est illégitime, c’est-à-dire opprime et bafoue la liberté. La violence peut et doit être au service du droit lorsque celui-ci est bafoué.

    * plan du texte :

-        Dans le premier paragraphe, Rousseau montre que le despote au pouvoir ne garantit pas même la paix civile. Le despote, par ses agissements, ne peut qu’attirer sur lui guerres et dissensions. La tranquillité n’est pas la liberté ou le bonheur. Rousseau vise ici Hobbes qui voit dans la tranquillité civile le plus grand bien et fonde sur cette convention la délégation de la liberté.

-        De la ligne 6 à 12, Rousseau explique que donner sa liberté sans contrepartie est un acte absurde. Il est inconcevable qu’un peuple se donne gratuitement, se dépouille du droit qu’il a de disposer de lui-même pour se soumettre à la domination d’un prince. Un peuple n’a rien à gagner à se soumettre à une autorité qu’il n’a pas choisie puisqu’il risque de subir l’injustice du monarque et d’être soumis à son bon plaisir.

-        La conséquence (ligne 12 à 16) est que l’homme ne peut renoncer à sa liberté, c’est-à-dire à sa qualité d’homme. La liberté est une qualité fondamentale de l’homme qu’il possède même à l’état de nature (liberté au sens politique d’être l’auteur des lois et au sens métaphysique comme perfectibilité).

* conclusion : on ne peut fonder l’autorité sur une convention d’aliénation. La résistance à l’oppression, dans le cas où l’Etat confisque la liberté, est un droit, mais surtout un devoir, une exigence morale. Un peuple qui subit l’oppression et qui ne se révolte pas est indigne.

- A noter que ce texte de Rousseau a eu une influence sur les différentes déclarations des droits de l’homme. La déclaration du 24 juin 1793, placée en préambule de la constitution de 1793, reconnaît le droit à l’insurrection, dans son article 35 : “quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs”.

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