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Grand cours: LE DROIT (16 de 16)

Publié le 22/02/2012

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2.3 – La révolte garante du droit

- S’il doit y avoir des limites au droit, le droit lui-même se doit de préciser quelles sont ces limites. Un droit qui se voudrait illimité serait le signe d'un pouvoir tyrannique et totalitaire. La question d'un possible droit de révolte doit donc se comprendre comme une interrogation sur les limites du droit, mais aussi de l'Etat et de l'autorité. Le droit de révolte, c'est d'abord le droit de s'opposer au droit. Quelles formes légales peut prendre cette opposition?

- La première limite au droit est le droit de partir de son pays. La première manière de manifester son désaccord avec les lois d'un pays, c'est de partir de ce pays. L'exil est la première forme de contestation d'un Etat de droit. A cet égard, il est significatif que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 ne mentionne pas de droit de révolte, mais en contre-partie prend grand soin de définir un droit de circuler librement (article 13.1), un droit de quitter tout pays (article 13.2), ainsi qu'un droit d'asile (article 14.). Cette possibilité de s'exiler et de s'éloigner d'un régime que l'on considère injuste est une première forme de contestation du pouvoir. Et on peut tout à fait concevoir qu'un tel droit fasse partie du droit positif.

- Toutefois, ce droit de révolte, compris comme droit d'exil, reste peu efficace. Toute révolte aspire au changement. Or, ce n'est pas en s'éloignant de l'injustice qu'on la fait disparaître. Il nous faut donc penser un autre droit de révolte qui soit non violent mais pourtant qui soit de quelque efficacité pour changer un état de fait.

- On peut voir dans la liberté d'opinion et d'expression un tel droit. Par cette liberté d'opinion l'homme peut faire part de son désaccord avec une décision de justice. Il peut s'opposer non pas physiquement mais verbalement au pouvoir. La liberté d'opinion est une forme d'opposition qui ne prend pas la forme de la violence aveugle. De fait, elle est présente dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 : "Article 19. Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit."

- Pour autant, ce droit ne doit pas être compris comme un droit de dire n'importe quoi sous prétexte unique que c'est une opinion (la loi définit des limites à la liberté d'opinion, lorsque l'honneur, la dignité d'autrui sont menacés : exemples de la diffamation, du racisme). Cette liberté d'expression consiste à intervenir de manière éclairée et informée dans le débat publique, non pas pour dire ce que l'on pense mais pour critiquer.

- Le droit de révolte est fondamentalement un droit de critique éclairée. Il en résulte que ce droit de révolte est d'abord le droit des intellectuels. C'est le rôle des intellectuels d'intervenir dans le débat publique pour critiquer le pouvoir en faisant usage de leur savoir. C'est ce que montre Kant dans son opuscule Qu'est-ce que les Lumières ? Les Lumières sont précisément la sortie de l'état de dépendance dans lequel se trouve le peuple lorsqu'il se sert de sa raison pour éclairer et donc critiquer le pouvoir qui le gouverne. Ce travail est l'oeuvre exclusive des intellectuels.

- Mais si le droit à la révolte est avant tout le droit des intellectuels, n'est-ce pas faire de ce droit à la révolte un droit élitiste, voire un privilège ? Or, par définition, un privilège, avantage réservé à certains, est le contraire d'un droit, ouvert à tous. N'y a-t-il pas une autre forme de droit à la révolte qui soit moins élitiste qu'un droit à la critique ?

2.4 – La désobéissance civile

- La désobéissance civile peut être définie comme un refus délibéré, public, d'obéissance à une loi jugée inique, dans le but d'amener le pouvoir politique à agir en vue de son abrogation. C'est un acte public, qui se distingue de la délinquance ordinaire en ce que l'acte illicite est revendiqué comme tel. En cela, la désobéissance civile ne relève pas précisément d'une stratégie de rupture : l'acteur de cette forme de résistance ne cherche pas à se soustraire à la sanction, qu'il va jusqu'à réclamer, en un acte d'allégeance aux fondements de la démocratie.

- Indépendamment de ses motivations, la désobéissance civile peut être considérée comme une provocation éthique. Le discours qui la sous-tend consiste à remettre en question la validité éthique d'une législation jugée " scélérate " et à articuler sa désobéissance sur une objection de conscience : on fait appel, selon les cas, à un dilemme de conscience, à un impératif catégorique ou l'on relève les contradictions entre la législation enfreinte et une législation supérieure : constitution, droits de l'homme, droit international etc.

- Il serait erroné de ne voir en la désobéissance civile qu'une manifestation d'anarchisme ou une stratégie de subversion concertée. Elle peut être menée aussi bien dans une perspective conservatrice (voire réactionnaire) que dans le cadre d'un mouvement émancipateur ou révolutionnaire. Le caractère provocateur et déstabilisant provient essentiellement du fait que l'action est ouvertement revendiquée comme illégale : le pouvoir judiciaire est mis en demeure d'agir à l'encontre de citoyens qui, en temps normal, ne peuvent être suspectés d'activités criminelles. Par ce biais et par l'entremise de l'opinion publique, le pouvoir exécutif subit une pression d'autant plus importante que l'action est médiatisée.

- Exemple du mouvement pacifiste et antinucléaire des années quatre-vingts : résistance non-violente tels que l'occupation de terrains militaires (Le camp militaire du Larzac, par exemple), le refus de payer une part des impôts, l'objection de conscience ou la désertion politique.

- La désobéissance civile, par delà la légitimité de ses motivations, questionne le politique en obligeant à repenser la relation entre l'Etat (et plus généralement entre le pouvoir institutionnalisé) et le peuple qu'il prétend servir. La question posée est celle de la légitimité morale d'une appropriation, par le citoyen, d'un pouvoir, celui de se soustraire à la loi, qui s'exercerait en dehors des procédures électorales classiques. L'argument essentiel de l'Etat étant que celui-ci ne peut garantir la sécurité et la liberté pour tous que s'il détient le monopole de la contrainte et peut seul, dans le cadre constitutionnel, définir la frontière entre le licite et l'illicite. Le citoyen a le droit et le pouvoir de désigner, par voie électorale, ses représentants, mais, en dehors de ce mécanisme représentatif, l'autorité de l'Etat est, dans les limites constitutionnelles, discrétionnaire.

- Alors que le délinquant cherche à s'extraire du champ légal en échappant aux conséquences juridiques de l'infraction, la désobéissance civile réclame, au contraire, le châtiment dans un geste paradoxal  de reconnaissance de la légitimité du pouvoir. Nous sommes ici loin des rebellions individuelles : la revendication publique de l'acte, la mise à disposition des autorités sont des composantes essentielles du caractère "civil" de cette désobéissance. Il y a donc un terrain commun, la reconnaissance commune de la légitimité du pouvoir, qui rend possible le maintien d'un dialogue entre le citoyen critique et l'Etat qui, tout en étant contraint de sévir (sous peine de perdre son autorité légitime), se voit amené à réexaminer les fondements de la législation critiquée.

- L'acte de désobéissance qui plus est, comme la plupart des actions non-violentes, est une théâtralisation médiatique du conflit qui prend à partie l'opinion publique. C'est en raison de cette médiatisation que la position sociale des intervenants prend son importance : de la part de " personnalités honorables " reconnues comme faisant partie d'une élite sociale, intellectuelle et morale, l'infraction prend un sens critique qui serait indécelable si elle n'était que le fait des véritables préjudiciés de la loi contestée.

- C'est donc moins dans le rapport de force entre les objecteurs et le pouvoir que dans l'espace médiatique et public de discussion que se joue l'issue du conflit. D'avance, le désobéissant se met hors jeu, en acceptant la sanction pénale, et renvoie la balle à l'opinion publique qui se voit contrainte de prendre position. Ce qui était rendu licite dans le cadre institutionnel se voit remis en question dans cet espace public que le politique, en démocratie, ne peut ignorer. Dès lors, les citoyens ne peuvent simplement s'en remettre aux élus et se voient amenés à réévaluer, de manière critique, la législation contestée. Le but des objecteurs est atteint : provoquer le débat public. Le but n'est pas d'échapper à la loi, mais de contraindre le corps social à débattre à nouveau de ce qui avait été décidé trop précipitamment.

- La désobéissance civile est donc avant tout un questionnement de la loi. La désobéissance civile engage l'épreuve de force sur le terrain du discours - sur la place publique en premier lieu (médias, manifestations, pétitions, etc.), au prétoire ensuite, théâtre où s'affronteront nécessairement les thèses adverses, puis dans les lieux de décision politique (assemblées diverses). Parce qu'une distance existe nécessairement entre le licite et le moral, la loi tire sa légitimité de la régularité des procédures mises en oeuvre lors de sa promulgation : une loi démocratique reste, par nature, licite, même si elle ne répond pas aux normes morales de certains citoyens. Pour donner un exemple concret, le divorce est récusé, sur le plan éthique, par la morale catholique; pourtant, il est prévu par le code civil, de sorte qu'une rupture du mariage constatée selon les procédures légales devient licite. Un juge ou un fonctionnaire, par exemple, ne pourrait se prévaloir de sa conscience catholique pour dénier à un couple divorcé le statut légal qui leur est dû.

- Dès lors, la désobéissance civile ne peut reposer uniquement sur la moralité de ses mobiles. Elle doit démontrer de manière argumentée que la loi critiquée enfreint les bases constitutionnelles ou éthiques de l'Etat lui-même et que cette désobéissance n'est, en fait, que l'obéissance à une législation supérieure, ou à une règle éthique que même l'Etat ne peut - sous peine de remettre en cause sa légitimité - enfreindre.

- La démocratie ne se résume pas seulement au droit de choisir ses représentants au sein du législatif et de l'exécutif, elle suppose en effet que soit laissé ouvert un espace autonome de discussion et de critique. D'où une exigence formulée par Habermas et Balibar, à propos de la désobéissance civile : qu'elle puisse être fondée en raison. Cette exigence maintient en fait la possibilité d'une négociation sur une base autre que celle d'un rapport de force, elle permet la discussion, par les acteurs sociaux, de la législation contestée sur une base qui puisse être partagée par l'ensemble des citoyens.

- Cette exigence de rationalité commune semble exclure du bénéfice de la légitimité les objections de conscience pour des motifs irrationnels. Comment pourrait-on fonder en raison un refus qui s’appuierait sur une conviction intime indémontrable et se référerait - pour juger la loi humaine - à un ordre divin qui ne saurait prétendre, de fait, à l'universalité au sein d'une société pluraliste ? L'objection religieuse est-elle condamnée pour autant à rester dans l'illégitimité ?

- Dans la pratique discursive, une loi ne pourra être contestée qu'en raison et qu'aux arguments de conscience intime devra s'ajouter des arguments admissibles, ou du moins pouvant être discutés, par tout un chacun, quelles que soient ses convictions. Mais cette exigence n'empêche nullement une société ouverte de chercher un modus vivendi pratique par une politique de tolérance, qui admettrait qu'existe, dans l'ordre du philosophique, une zone d’indécision dans laquelle la conscience individuelle serait souveraine. La clause de conscience, privée, s'intègre de droit dans la pratique sociale, en particulier en matière de bioéthique : il en est ainsi, pour donner un exemple, dans le cas de l'interruption de grossesse : nul médecin, nul infirmier, et a fortiori nulle femme, n'est contraint, en droit, de recourir à l’I.V.G. ou d'y participer. De même la plupart des états démocratiques admettent l'objection de conscience au service militaire ou à la pratique de la guerre.

- La désobéissance civile se différencie donc de l'objection individuelle de conscience, même si elle peut se conjuguer avec une telle attitude. Certes, dans la pratique, le droit légal à l'objection de conscience n'a été acquis qu'au terme d'actions de désobéissance civile, mais cette dernière ne répond pas aux besoins d'apaisement d'une conscience subjective, elle est un acte politique qui interpelle l'ensemble de la communauté. Et cette interpellation n'est possible que si un référent commun peut fonder l'argumentation critique.

- L'argument de la désobéissance civile est, dans la grande majorité des cas, d'ordre éthique. Il importe cependant de dégager le discours éthique de la subjectivité d'une conscience heurtée, animée de ressentiments ou du sentiment d'injustice, afin de lui donner une assise rationnelle : ce qui nous amènera à poser la question de l'universalité d'une injonction morale. Selon Habermas, une norme morale s'universalise à la faveur d'une discussion ouverte, argumentée, entre les acteurs sociaux concernés. Mais une telle discussion exige que l'on fasse abstraction des intérêts particuliers, susceptibles quant à eux, de biaiser l'argumentation.

- A cet égard, la désobéissance civile apparaît comme un instrument tactique permettant de contraindre le pouvoir au débat : en premier lieu, parce qu'elle est un acte public, mis en oeuvre par des personnalités reconnues comme représentatives de l'élite culturelle ou morale par les médias, qui, dans la logique de l'Etat de droit, doit nécessairement déboucher sur la confrontation judiciaire. Dans la mesure où elle est une remise en cause directe de l'exécutif, l'épreuve de force prendra nécessairement un tour politique, relançant - à la mesure de la vivacité de la résistance - le débat au sein des institutions parlementaires. Cependant, l'action ne vise pas seulement à exercer une contrainte morale sur le décideur politique, elle mobilise l'opinion publique et pose efficacement le problème au sein de la société civile. Elle oblige, en cela, à repenser les lois contestées en fonction du référent métajuridique mis en évidence par la désobéissance civile.

- Dans le cadre d'une société démocratique la désobéissance civile acquiert un statut paradoxal : elle se situe nécessairement en dehors du cadre légal, puisqu'elle est une violation délibérée de la loi, mais dans la mesure où elle exige l'application de la sanction pénale, elle reconnaît dans le même mouvement la légitimité du pouvoir judiciaire. Critiquant le législateur, elle se refuse à récuser, dans le même mouvement, l'exécutif - s'abstenant de poser la question de confiance au gouvernement - et le judiciaire. Ainsi la désobéissance civile se situe en marge du fonctionnement démocratique. On pourrait dire qu'elle est un coup de force où le citoyen s'autonomise face au législateur, mais cette insurrection se donne à elle-même des limites étroites, qui sont définies par la détermination de l'objecteur à subir la sanction pénale. Aussi l'intérêt privé, purement subjectif, du contrevenant est relégué au second plan, par rapport à l'exigence éthique, ou à l'intérêt collectif que présente une rectification des erreurs commises par le législatif.

- On distinguera la désobéissance civile des autres formes de résistance illégale qui peuvent survenir dans le cas où le pouvoir perdrait sa légitimité, en violant gravement la constitution, les engagements internationaux, le droit international ou les droits humains. Notre analyse de la désobéissance civile s'inscrit dans le cadre de l'Etat de droit (n’est pas discuté ici le problème de la légitimité d’une révolution – au sens marxiste du terme – qui sort du cadre de la désobéissance civile). Face à une dictature, la question des limites éthiques de l'action civique s'efface devant celle de la possibilité même d'une résistance : le choix éthique se restreint ici entre celui d'une résistance illégale, mais légitime, et celui de la collaboration, fût-elle passive. La désobéissance civile est une forme d'opposition "extra-légale", acceptable dans le cadre d'un Etat de droit, précisément en ce qu'elle se réfère aux fondements métajuridiques du droit - droit naturel, droits humains, raison historique - et qu'elle réaffirme la légitimité de l'Etat de droit, en reconnaissant la légitimité de la sanction.

- Ainsi on peut résumer les conditions éthiques d'une désobéissance civile acceptable en démocratie :

1.     Les motivations doivent prétendre à l'universalité ou du moins se référer à des valeurs universalisables.

2.     Pour cela, elles doivent être argumentées en raison, et répondre aux critères d'universalité, c'est- à - dire que non seulement la loi critiquée doit être contestable en raison mais que les conséquences de son abolition doivent répondre aux critères d'universalité exigés de toute norme éthique : les conséquences doivent pouvoir être librement supportées par l'ensemble de la communauté.

3.     Le citoyen engagé dans un acte de désobéissance civile doit, dans le cadre d'un Etat de droit, assumer les conséquences judiciaires de son acte.

- Ce dernier point distingue la désobéissance civile de l'infraction ordinaire ou de la rébellion politique caractérisée (et permet d'affirmer qu'en soi la désobéissance civile ne représente pas une menace pour la démocratie. Elle la préserve au contraire des dérives et de l'arbitraire du pouvoir).

- Soulignons, enfin, que la possibilité d'une critique éclairée du pouvoir repose sur l'accès à l'éducation (lire, à ce sujet, l’excellent livre de P.Canivez, Eduquer le citoyen). C'est l'éducation qui a pour but de former l'esprit critique et le discernement (rôle fondamental, à cet égard, de l'enseignement philosophique). C'est là un droit qui peut tout à fait être mis en place dans le droit positif lui-même sans être élitiste. L'éducation est ce qui rendra le peuple vigilant et sensible à l'injustice. Sans éducation, un peuple peut servir un tyran sans même se rendre compte de son sort. Mais sans éducation, un peuple peut tout aussi bien sombrer dans la guerre civile et dans la violence sans même y réfléchir.

- En fait l'éducation est le véritable droit à la révolte en ce qu'elle nous protège de deux excès : la servitude volontaire, dans l'acceptation résignée, et le chaos de la violence, dans la guerre civile (exemple de l’Irlande). Ce n'est donc pas un fait du hasard si l'un des derniers droits que mentionne la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 n'est autre que le droit à l'éducation : "Article 26.1 Toute personne a droit à l'éducation." Lire, pour complément, le corrigé " L'Etat doit-il éduquer les citoyens ? "

3) Conclusion

- Au terme de cette analyse, il apparaît qu' il y a bel et bien un droit à la révolte, sous la forme notamment de la désobéissance civile.  Le droit à la révolte se résout finalement en un droit à la libre critique lorsque l'Etat ou la loi s'avèrent illégitimes. Le droit à la révolte est ainsi constitutif de l'esprit démocratique, il incarne une vertu civique par excellence définissant des garde-fous au pouvoir et obligeant ce dernier à travailler sans arrêt dans l'horizon du droit et de l'universel.

- Ce droit à la révolte participe alors du droit à l'éducation. C'est par l'éducation laïque à la liberté, en effet, que l'homme se rend capable de reconnaître et refuser l'injustice, sans pour autant n'avoir que la violence pour répondre à cette injustice. Le droit à la révolte est un droit naturel de l'homme  puisqu'il apparaît dans la déclaration des droits de l'homme. Mais il peut aussi prendre facilement corps dans le droit positif sans exposer la société aux tourments de la sédition. Une éducation ouverte à tous, laïque et gratuite, donne au droit de révolte une forme positive. De sorte que, en un sens, toute éducation est une éducation à la révolte. Il ne saurait y avoir de démocratie, en somme, sans un droit à la révolte et à l'éducation des citoyens.

- Dans cette perspective, si la désobéissance civile est une forme légitime de révolte, elle reste exceptionnelle, faute de quoi c’est à nouveau le règne de la violence et de l’arbitraire qui prévaut. La désobéissance légitime se justifie toujours par l’espoir d’un retour prochain du droit, de la loi, de la justice, c’est-à-dire d’un ordre incontestable substituant à la violence la force de la raison et de l’universel.

- On peut alors concevoir que c’est dans la protection des droits de l’homme et dans l’établissement d’une véritable démocratie  que le recours à la violence insurrectionnelle est évité, recours qui ne doit être érigé qu’en désespoir de cause, lorsque toutes les solutions juridiques ou politiques ont été épuisées. C’est d’ailleurs ce que proclame la déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’assemblée générale des nations unies le 10 décembre 1948 : « considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression « (préambule).

- On peut aussi penser que même l’Etat démocratique est illégitime puisque la démocratie, selon les anarchistes, est une mystification idéologique destinée à occulter la nature de classe oppressive de tout Etat. Dès lors, la loi ne fait que valoriser des valeurs fausses ou aliénées ; le révolutionnaire doit se situer hors la loi s’il entend renverser l’ordre établi pour faire place à d’autres valeurs. Ce n’est plus alors la simple révolte ou désobéissance civile qui est prônée mais la révolution qui se situe au-delà de la légalité et qui revendique une légitimité d’un autre ordre.

- La désobéissance est alors justifiée au nom de principes transcendants considérés comme étant plus fondamentaux que ceux qui régissent le droit positif. Où l’on retrouve le conflit déjà aperçu entre le droit naturel et le droit positif. A noter que si le devoir authentique de l’individu peut être de désobéir à la loi, soit de manière exceptionnelle, lorsque la loi bafoue la justice, soit de façon permanente, si l’on conteste la légitimité de tout Etat, cette désobéissance est censée préparer un retour à une situation "normale" - antérieure ou radicalement nouvelle -, c’est-à-dire dans laquelle le même citoyen considère que son devoir est d’obéir à nouveau à une loi ou à un ordre politique redevenu respectable.

- Où l’on voit que cette question de la désobéissance, en tant qu’elle permet de penser la dialectique du droit et de la justice, est corrélative de la question politique du pouvoir et de l’Etat.

CONCLUSION GENERALE

- Lorsqu’il s’agit de juger d’après les lois existantes et le droit positif, nous avons affaire à un jugement de type juridique qui départage ce qui est conforme ou non à la légalité. Lorsqu’il s’agit de juger en fonction des droits de l’homme, le jugement porte sur la légitimité du droit positif lui-même en fonction d’une idée morale qui a son fondement, non dans la nature, mais dans la raison et la liberté humaines : celle de l’égalité des hommes en tant qu’être raisonnables. Il ne s’agit plus tant de juger d’après les lois que de juger des lois et des Constituions elles-mêmes. Nous avons affaire à un jugement critique qui fixe des exigences puisque le droit se distingue fondamentalement du fait.

- Ce jugement critique est un jugement formel qui ne permet pas de déduire quel doit être le contenu d’une législation. La critique permet de déterminer ce qui n’est pas conforme à son principe (l’égalité arithmétique et proportionnelle). En clair, les principes du droit naturel, tels qu’on peut en trouver une formulation dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, énoncent les impératifs absolus qu’aucun droit particulier ne peut violer sans tomber dans l’injustice. Ils constituent le critère d’évaluation morale du droit existant et définissent un idéal de justice.

- La justice est donc une valeur et une exigence. Le souhaitable serait évidemment que lois et justice allassent dans le même sens. Lourde responsabilité , dans nos démocraties, pour le pouvoir législatif. Mais Aristote a montré que la justice ne saurait être tout entière contenue dans les dispositions nécessairement générales d’une législation, de sorte que c’est se méprendre que de rêver d ‘une législation absolument juste. La justice est bel et bien l’équité, égalité de droit, malgré les inégalités de fait et même, souvent, malgré celles qui naîtraient d’une trop mécanique et intransigeante application de la loi. S’il faut résister en permanence à l’injustice que chacun porte en soi, le combat pour la justice n’aura pas de fin.

  

 

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