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La fin de l'épouvantail khmer rouge

Publié le 22/02/2012

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16 juin 1993 - " Ils sont cuits ",résume un connaisseur occidental " ils remontreront le bout du nez en septembre, après le départ de l'APRONUC ", estime un autre. Pour l'instant, les Khmers rouges sont étrangement absents de la scène. A l'exception d'un pont, qu'ils ont fait sauter le 15 juin dans la province de Siem-Réap, ils ne se sont guère manifestés ce mois-ci. Il y a quelques semaines, ils donnaient encore le ton en menant une sanglante campagne raciste contre les Vietnamiens du Cambodge. A la veille des élections, tout le monde se demandait de quelle façon ils allaient perturber le déroulement d'un scrutin qu'ils dénonçaient. Or rien, ou si peu, ne s'est produit. L'épouvantail khmer rouge s'est évanoui est-ce provisoirement ? Les autres factions cambodgiennes ont ainsi pu s'offrir une bonne petite crise, avec simulacre de sécession, avant de s'entendre pour gérer leur pays sous le haut patronage de Norodom Sihanouk. Pour beaucoup, Pol Pot et ses acolytes, qui dirigent le mouvement depuis ses débuts, ne devraient jamais se remettre de la rebuffade qu'a constituée la participation massive des Cambodgiens aux élections organisées fin mai par l'ONU. Si, pour sa part, le régime de Phnom-Penh a subi un échec auquel il ne s'attendait pas, il est parvenu à retomber sur ses pieds. Mais les Khmers rouges ont connu un cinglant désaveu. Leur ordre de boycottage n'a pas été suivi alors qu'ils proclamaient bien haut que le scrutin avait pour seul objet de légitimer la présence au pouvoir de ceux qu'ils qualifient de " marionnettes de Hanoï ". Ils avaient même prédit de 70 % à 80 % des voix au gouvernement Hun Sen. Ils se sont trompés : les Cambodgiens ont voté pour Sihanouk, pour la paix et, dans une bonne mesure, contre l'administration néocommuniste en place. Leurs chefs avaient bien donné l'ordre de procéder à des tirs d'artillerie à proximité des centres de vote afin d'effrayer les électeurs. Ici et là, des tirs ont eu lieu, mais sans effet ! les gens sont allés voter ailleurs ou ont attendu le lendemain. Le désarroi des Khmers rouges s'est traduit, sur le moment, par une confusion très sensible. Dans le Nord-Ouest, quelques centaines d'entre eux et leurs familles ont fini par aller voter. Leurs mots d'ordre, retransmis par leur émetteur clandestin, la Voix du Kampuchéa démocratique, avaient perdu toute cohésion. Il leur a fallu plusieurs jours pour rectifier le tir et mettre fin à des déclarations contradictoires. Première conséquence : ils sont redevenus légalistes ! Au prix d'un nouvel échec : ils étaient hostiles à toute cohabitation entre le mouvement royaliste et le régime de Phnom-Penh. Ils sont donc contre le gouvernement provisoire en formation ils demandent à revenir à la proposition faite par Sihanouk le 1 mars d'une coalition quadripartite, avec eux. Une erreur très coûteuse Les Khmers rouges tentent de jouer, à Phnom-Penh, les " bons " contre les " mauvais ", sans succès. Car le prince a vite compris la signification du vote massif de ses compatriotes. Sans attendre la fin du scrutin, il a, le 26 mai, pris ses distances à l'égard des " rouges ", leur signifiant ainsi qu'ils paieraient cher leur erreur de calcul. Cet isolement intérieur aura des répercussions sur le fonctionnement des réseaux dont les Khmers rouges disposent depuis des années en Thaïlande. Peu à peu, leurs bastions du nord-ouest (Païlin) et du nord (Préah-Vihear), adossés à la frontière thaïlandaise, vont perdre les complicités dont ils bénéficient encore dans le royaume voisin. Le gouvernement thaïlandais aura plus de chance d'imposer à ses militaires et hommes d'affaires intéressés sa volonté de respecter les résolutions de l'ONU. L'essentiel du dialogue bilatéral sera l'affaire de Bangkok et de Phnom-Penh. Même si la frontière reste une passoire, les Khmers rouges, déjà privés de leurs appuis chinois, seront menacés de se retrouver complètement isolés sur la scène internationale. Eliminés militairement par les Vietnamiens à deux reprises, en 1979 et en 1985, les Khmers rouges avaient pu se refaire une santé en se réfugiant en Thaïlande et en recevant une aide militaire chinoise tolérée par l'Occident car ils pratiquaient alors une politique d'alliance avec les sihanoukistes et une troisième faction représentée par Son Sann. Les accords de Paris, dont ils ont été l'un des quatre signataires cambodgiens, avaient aussi contribué, en 1991, à les remettre en selle en leur offrant une légitimité. Mais leur politique de front uni, que Pol Pot a jugée indispensable à la progression du mouvement, a volé en éclats dans les urnes. Puisque la population rurale n'a pas suivi leurs mots d'ordre, leurs anciens alliés en ont conclu qu'il valait mieux s'entendre avec l'administration en place à Phnom-Penh. Voici donc les Khmers rouges de nouveau relégués dans leurs forêts avec ce qu'ils peuvent compter d'hommes - de huit à neuf mille combattants, selon de nombreux experts - et de réserves de munitions. Mais la traversée du désert s'annonce rude avec l'entente, qu'ils voulaient éviter à tout prix, entre le prince Sihanouk et Phnom-Penh. A moins d'un dérapage, peu probable, cette cohabitation va permettre aux nouvelles autorités de bénéficier d'un appui international. Les Khmers rouges ont désormais le choix entre la capitulation politique - avec pour seule ambition raisonnable quelques strapontins au pouvoir - et la relance de la guérilla avec les moyens du bord et dans la solitude. Ils choisiront probablement, lorsque les bérets bleus seront partis, la seconde solution, avec l'espoir de provoquer assez de troubles pour que la reconstruction d'un Cambodge privé de cadres traîne en longueur. Mais, cette fois, sans garantie de succès. JEAN-CLAUDE POMONTI Le Monde du 23 juin 1993

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