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Le gouvernement veut lutter contre la fraude fiscale en Corse

Publié le 17/01/2022

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6 février 1998 - Lionel Jospin a demandé à tous les membres de son gouvernement de veiller à ce que leurs administrations fonctionnent en Corse comme sur le continent. Il veut, comme il l'a dit à l'Assemblée nationale, une action "dans la durée". Avant même l'assassinat de Claude Erignac, le ministre de l'économie et des finances et le secrétaire d'Etat au budget avaient donné des instructions en ce sens. Ils disposaient déjà de rapports fort précis sur les particularismes de l'île en la matière : d'abord celui d'un inspecteur général des finances détaillant les mécanismes de fraude fiscale et soulignant les atouts dont bénéficierait l'économie corse si elle n'était pas perturbée par les attentats des nationalistes; ensuite deux documents du préfet assassiné qui examinaient l'importance et les conditions d'utilisation des crédits nationaux et européens. Lionel Jospin ne veut pas se précipiter. Il n'entend pas mettre au point un énième plan pour la Corse, en réaction à l'assassinat du représentant de l'Etat à Ajaccio. Cela ne veut pas dire que le gouvernement veut rester inactif. Les ministres, chacun dans son domaine de compétence, vont faire le nécessaire pour que les administrations insulaires fonctionnent comme celles du continent. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, et Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, ont déjà commencé avant même le meurtre de Claude Erignac. Il est vrai qu'en matière financière et fiscale, les particularismes de l'île sont bien connus et depuis longtemps. Les rapports ne manquent pas. Ils sont d'une clarté aveuglante. Le plus brutal émane d'un inspecteur général des finances, Claude Cailleteau. Le 16 juin 1997, il avait rédigé un document, de sa propre autorité mais fruit, comme il le dit lui-même, de son expérience, puisque à l'époque, il était "chargé depuis un an de la division territoriale Corse". Il est vrai que, depuis octobre 1996, il est, aussi, co-président de l'instance de coordination de la lutte anti-fraude. Le moins que l'on puisse dire est que son rapport n'a pas l'onctuosité coutumière à ce genre d'études. Mais son auteur n'est pas un homme du sérail. Ancien saint-cyrien, M. Cailleteau a commencé sa carrière dans les troupes de la marine. Passé au contrôle général des armées l'équivalent militaire de l'inspection des finances où il est entré en 1994, il a longtemps fréquenté les cabinets ministériels, de celui du général Bigeard à celui de Charles Hernu dont il fut le directeur adjoint. Son rapport, dont des extraits furent publiés par Le Point en août 1997 puis intégralement dans le Journal de la Corse du 5 septembre 1997, a été ressenti comme une insulte par les habitants de l'île. Il ne mâche effectivement pas ses mots. Il assure notamment que contrairement à une histoire "réécrite", la Corse a largement bénéficié de son intégration à la France, que "la nation n'a donc aucune dette particulière envers la Corse", que l'île "ne vit pas mal", que sa "population dispose d'un revenu honorable" correspondant à 90 % du revenu métropolitain moyen. Surtout, il détaille tous les mécanismes de fraude fiscale utilisés, décrivant les difficultés multiples de recouvrement rencontrées par les agents du fisc. Des exemples chiffrés de ce rapport avaient été confirmés par le syndicat des impôts région Corse du SNAVGI-CGT qui, le 26 août 1997, évaluait la fraude au plan régional à plus de 700 millions de francs. Le syndicat mettait en parallèle "la violence et toutes ces dérives mafieuses avec l'aggravation de la fraude et de l'incivisme fiscal". Le préfet assassiné avait été beaucoup plus mesuré dans l'expression, mais tout aussi net dans la présentation des particularités de l'île. Le 12 janvier 1996, Jean-Louis Debré, alors ministre de l'intérieur, lui avait demandé de faire le point sur l'utilisation des crédits publics. A la fin du mois d'avril, Claude Erignac avait fait parvenir à Paris un rapport de 150 pages, dont il avait extrait une note de synthèse de 22 pages dont la diffusion avait été fort restreinte. Ce document, Le Monde se l'est procuré. Il détaille le montant et les conditions d'utilisation des sommes consacrées par l'Etat et par l'Union européenne à la Corse en 1994 et en 1995. Les services préfectoraux ont, par la suite, actualisé cette étude pour les crédits de 1996. Dans ces rapport, le préfet de région confirme que l'Etat est le premier acteur public en Corse par le poids des dépenses qu'il effectue pour son propre compte et par des crédits qu'il attribue aux différentes collectivités locales et acteurs économiques privés. Le montant des dépenses de l'Etat, hors prestations sociales, s'élève à 8,8 milliards de francs en 1996. La Corse recevait en 1995 la plus forte dotation de l'Etat par habitant (2 782 francs contre 1 182 francs en moyenne nationale) mais 75 % des dépenses de l'Etat concernaient les salaires, les retraites et les pensions des 14 000 fonctionnaires de l'île. En 1996, les crédits alloués aux collectivités locales se sont élevés à 3 milliards de francs. Mais tout cet argent est dépensé fort lentement. Le rapport commandé par M. Debré assure que "le rythme d'engagement du contrat de plan [passé par l'Etat avec la Corse comme avec toutes les autres régions] est désormais entré (...) dans un rythme de croisière". Il reconnaît, toutefois, que la collectivité territoriale est en général plus rapide que l'Etat. Il explique cela par les lourdeurs administratives de certains ministères, mais aussi le manque de moyens techniques des communes pour préparer les dossiers. Ces études abordent peu les conditions d'utilisation de tous ces crédits que la collectivité nationale consacre à la Corse. Toutefois, Claude Erignac écrivait à propos de l'Agence de développement économique de la Corse : "Son fonctionnement s'est accompagné, au cours des premières années, d'un énorme retard et d'un manque de rigueur dans l'instruction des aides de la collectivité territoriale aux entreprises. Une insuffisance de suivi interne des engagements dans les paiements et des frais de fonctionnement élevés nuisent également à son efficacité." De même, il constatait que l'Office d'équipement hydraulique était dans une situation financière "alarmante" malgré une manne supplémentaire de 100 millions de francs sur deux ans et cela, du fait du trop fort taux de non-recouvrement des factures d'eau dues par les collectivités bénéficiaires des fournitures. Tout cela a permis au préfet assassiné d'écrire, avec la prudence coutumière à ce genre de production administrative, qu'il fallait redéfinir la mission de tous ces offices créés dans l'île par le statut Joxe et " qu'une meilleure utilisation des crédits est possible et doit être recherchée avec les grands élus de la Corse." MICHEL CODACCIONI et DOMINIQUE LE GUILLEDOUX Le Monde du 12 février 1998

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