Notes de cours: LA PERSONNE (1/2)
Publié le 22/02/2012
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1) Valeur de l'individu.
LALANDE distingue trois acceptions à la notion de personne:
" A. Personne morale. Etre individuel, en tant qu'il possède les caractères qui lui permettent de participer à la société intellectuelle et morale des esprits: conscience de soi, raison, c'est-à-dire capacité de distinguer le vrai et le faux, le bien et le mal; capacité de se déterminer par des motifs dont il puisse justifier devant d'autres êtres raisonnables.
B. Personne physique se dit du corps d'un homme, en tant que ce corps est considéré comme manifestation, comme "phénomène" de sa personne morale, en tant qu'il en exprime le caractère et qu'il doit être traité en conséquence [...].
C. Personne juridique. Etre qui possède des droits ou des devoirs déterminés par la loi [...]".
L'individu moral a-t-il une valeur propre, et peut-il être objet de devoirs?
A) Les thèses sociologiques.
Pour les sociologues, l'individu n'a pas de valeur propre et il n'y a pas de devoirs envers l'individu.
a) Pour Comte: l'individu est une abstraction. Il a des devoirs, non des droits. De même, pour Durkheim: tous nos devoirs sont des devoirs envers la société. C'est pour elle que l'individu doit se conserver, se développer. Elle est l'unique source des valeurs.
b) La sociologie établit en effet que, chez les peuples primitifs, la valeur de l'individu n'est pas reconnue. Seul le groupe est objet de devoirs. Ce n'est que peu à peu que le sentiment de la valeur de l'individu s'est développé, et que sont apparus les devoirs envers l'individu. Les sociologues en concluent que la valeur de l'individu est elle-même une création sociale. Elle provient:
1) De ce que l'homme moderne et civilisé, appartenant à des groupes sociaux divers et parfois opposés, arrive à se penser indépendamment de ces groupes. Il est de fait, par exemple, que la multiplicité des groupes auxquels nous appartenons peut faire naître en nous des conflits de devoirs: la famille peut n'être pas d'accord avec l'état, avec l'église. C'est au moi individuel qu'il appartient alors de se prononcer.
2) De ce que la société elle-même a besoin d'individus originaux et différenciés (mais simplement dans la mesure où ils s'intègrent à elle). La complexité de la vie moderne exige le développement "d'individualités" créatrices.
c) Mais, l'individu est une réalité: il a donc, comme tel, une valeur. Le fait que cette valeur a été jadis méconnue ne prouve pas qu'elle soit illusoire. En admettant la valeur de l'individu, la conscience moderne ne se borne pas à traduire une nouvelle exigence sociale: elle découvre une vérité. L'individu n'est pas une abstraction. Il se saisit comme tel, par sa conscience. Il a des tendances propres; il est raisonnable; il est source d'initiative. Il existe donc des devoirs envers l'individu.
B) Les thèses individualistes.
a) La plupart des philosophes admettent qu'il y a des droits de l'homme individuel. Certains estiment même que la société est une abstraction, et qu'il n'y a de devoirs qu'envers les individus.
De nombreux systèmes de morale accordent en ce sens une place prépondérante à l'individu et aux devoirs envers soi-même:
1) Le but des morales antiques est la perfection de l'individu: leur idéal est celui du "sage".
2) Certains modernes estiment que les devoirs envers nous-mêmes sont les premiers de nos devoirs: il faut avant tout être "soi-même".
3) Certains auteurs sont allés jusqu'à soutenir que l'individu devait ne se soucier que de lui-même, et s'affirmer sans tenir compte des autres et de la société: les Cyniques, dans l'antiquité, adoptaient ce point de vue; Nietzsche et Stirner exaltent le "sur-homme" ou individualité libre de toutes les contingences; les Anarchistes s'élèvent contre tout ce qui limite l'expansion individuelle.
b) Mais, s'il est inexact de ne voir dans l'individu qu'une création sociale, il est illégitime de refuser à la société toute valeur. L'individu dépend de la société, quant à sa vie matérielle et spirituelle. Nous devons beaucoup aux autres hommes, organisés en société. L'individu ne doit donc pas s'opposer à la société, mais vivre en elle, et en grande partie pour elle.
Du reste, en de tels problèmes, il faudrait avant tout préciser ce que l'on entend par individu. L'être humain est multiple. Et, s'il est dans l'individu des forces qui l'opposent presque nécessairement au social, il en est qui lui font prendre conscience de la nécessité, de l'utilité de la société. Ainsi, la raison nous met en général d'accord avec la société, comme avec le monde, et Spinoza est allé, en ce sens, jusqu'à déclarer que "l'homme qui est conduit par la raison est plus libre dans la cité, où il vit sous la loi commune, que dans la solitude, où il n'obéit qu'à lui-même".
C) Le personnalisme:
Pour Mounier (1905-1950), la caractéristique de la personne est d'être irréductible au monde des objets et d'être la seule réalité que nous puissions connaître par le dedans, avec le regard intérieur. Aussi, ne la peut-on réduire à une définition rigide et claire: on l'éprouve plus qu'on ne la conçoit, ressource inépuisable, que seul l'amour pourra régler.
La réalité personnelle n'est pas exempte des déterminismes physiques, économiques et historiques -comme le pensent les matérialistes. Mais, elle a le pouvoir de les intérioriser, de transformer la détermination en liberté. Cette transcendance humaine ne saurait être solipsiste; bien plus elle indique la communion comme le fait primitif de son existence: le "tu" et le "nous" précèdent le "je"; et la personne, dit Mounier, est essentiellement une "présence dirigée vers le monde". La vie sociale est ainsi justifiée: elle ne pourra cependant asservir la particularité profonde de chaque personne. Dans sa perfection, elle sera une rencontre libre, un échange constant, fondés non sur la contrainte, mais dans l'amour et le don réciproque.
Cette générosité de la personne vers le monde des personnes rend légitime un "personnalisme chrétien", où chaque personne sort d'elle-même pour répondre à l'appel unique de la Personne suprême. Pour Mounier, Dieu n'est pas reconnu comme Acte pur, mais comme Autre vivant, présent essentiellement à nous, mais présent selon notre mode propre d'exister et de connaître.
Le personnalisme "soulignera seulement la structure personnelle, confiance ou intimité suprême et obscure de la personne à une Personne transcendante, et l'incompétence, à son sujet, de toute démonstration ou régulation qui resterait purement objective".
Ce qui limite cette théorie, c'est ce déchirement entre l'affirmation de la liberté personnelle comme de la plus haute réalité créée, et d'autre part, la nécessité de soumettre la personne à une régulation politique et religieuse.
D) La dignité individuelle et la personne.
Le sentiment de la dignité individuelle traduit la conscience qu'a l'individu d'avoir une valeur propre. Mais, il importe de ne pas confondre la dignité individuelle avec des sentiments par lesquels s'affirme également la valeur de l'individu:
* Le sentiment de la dignité individuelle se distingue des sentiments de vanité et d'orgueil: ceux-ci reposent sur l'estimation de qualités corporelles ou intellectuelles, de supériorités de fortune ou de naissance. Ils se fondent sur l'inégalité des hommes. Au contraire, la valeur que, par le sentiment de dignité individuelle, se reconnaît l'homme, est toute morale.
* Le sentiment de la dignité individuelle se distingue du sentiment de l'honneur. Celui-ci est étroitement lié à des règles sociales, évolue avec elles et peut conduire à des actes non-moraux.
* Le sentiment de la dignité individuelle repose sur le respect de notre personne raisonnable et morale. Il est le sentiment des droits de notre esprit, de l'inviolabilité de notre raison.
La nécessité de sauvegarder l'unité de l'homme malgré les abus d'une analyse psychologique qui se veut trop souvent semblable à l'analyse physicienne, le souci de défendre les droits de l'homme contre les atteintes des politiques totalitaires, ont fort contribué à développer, de nos jours, des philosophes personnalistes. Ces derniers semblent lutter sur un double front. Elles s'opposent aux conceptions qui font de l'être humain une chose: par là, elles distinguent la personne de l'individu, matériellement ou biologiquement défini. Mais, elles ne veulent pas non plus, comme le faisait Kant, réduire la personnalité à ce qui, en nous, est raison et loi morale: en cette voie aussi, la personne risquerait de se perdre, de se confondre avec le pur universel. La personne donc, si elle dépasse l'individualité, la suppose. Elle est l'individu en tant qu'il reconnaît des valeurs personnelles ou universelles et en tant qu'il se reconnaît à lui-même ces valeurs. La personne est donc bien l'individu humain, mais ce n'est pas l'individu considéré dans son existence de fait, semblable à celle d'un corps physique; c'est l'individu conscient et raisonnable, libre et connaissant les valeurs; c'est l'unité même de l'homme, qui est indissolublement corps et esprit.
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