Devoir de Philosophie

Notes de cours: LA PERSONNE (2/2)

Publié le 22/02/2012

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E) Les devoirs envers l'homme.

            L'idée de devoirs envers l'homme individuel, et considéré indépendamment de son groupe social, est d'origine récente. L'homme primitif n'a de devoirs qu'envers son groupe. Ce n'est que peu à peu que les devoirs se sont individualisés et universalisés. Mais, l'homme moderne se sent des devoirs envers tous ses semblables.

            1) Nous avons d'abord des devoirs envers le corps, la santé, la vie des hommes. La vie humaine doit être respectée, et le précepte: "Tu ne tueras point" est profondément gravé en notre conscience. Pourtant, les devoirs envers la vie d'autrui peuvent se heurter à d'autres devoirs,  soit devoirs envers nous-mêmes, soit devoirs envers les groupes sociaux auxquels nous appartenons. Ainsi se posent les problèmes de la légitime défense, de la guerre.

            2) Nous avons des devoirs envers la dignité et la réputation des hommes. Nous devons nous abstenir  des injures, des outrages, et surtout de la médisance et de la calomnie. Il importe donc de réfléchir aux conséquences des propos que l'on tient.

            3) Nous avons des devoirs envers l'activité des autres hommes: nous devons la laisser s'exercer librement, et éviter d'exercer sur nos semblables toute contrainte. Ici se placent les devoirs de tolérance, et du respect des opinions d'autrui.

C'est bien à tort que certains partisans du darwinisme moral ont condamné de tels sentiments, prétendant qu'ils  s'opposaient  à la sélection naturelle: rien ne prouve que le faible d'aujourd'hui ne sera pas demain de la plus grande utilité pour l'évolution humaine.

            4) Nous avons enfin des devoirs envers la pensée et l'esprit d'autrui. Nous devons aux hommes la vérité: celle sur nous-mêmes (ce qui exclut l'hypocrisie), celle sur les faits et les événements (ce qui exclut le mensonge). En fait, il y a là problème lorsque le devoir de véracité s'oppose, par exemple, au devoir de bonté: on peut se demander si certains mensonges ne sont pas permis (ainsi ce que l'on appelle les mensonges de politesse, ou, plus encore, les mensonges de charité).

              Pour Kant, le mensonge doit toujours être condamnée. Mais si, la notion fondamentale de la morale est celle de Bien, et non celle de devoir formel, on ne saurait souscrire à une telle intransigeance. Il n'est pas, selon nous, de règles absolues. En chaque cas concret, nous devons faire effort pour sauvegarder le Bien le plus grand. Et, nous croyons, sans doute, que ce bien est presque toujours la vérité. Point toujours cependant, ce pourquoi nous pensons qu'en certains cas le mensonge peut être accepté. On voit par cet exemple la nécessité d'une expérience morale renouvelée sans cesse. Car on ne peut indiquer d'avance les cas où le mensonge serait acceptable, ce qui reviendrait encore à poser une règle universelle là où nous prétendons qu'il n'y en peut avoir. On ne peut dire, par exemple, qu'il est toujours permis de mentir pour sauver une vie humaine: cela dépend des cas et, transformée en règle, cette affirmation autoriserait le faux témoignage au bénéfice d'un accusé menacé de la peine de mort. En fait, tout dépend de la vérité qu'on trahit, et de la vie qu'on sauve, et nul ne saurait condamner le martyr qui préfère à la vie la vérité de sa foi, ou le médecin qui préfère la santé de son malade à la révélation qui la mettrait en péril. C'est dans le concret de la vie que se posent et se résolvent les problèmes moraux: il faut seulement se souvenir, en tout choix, qu'il n'est rien au monde de supérieur à l'homme, et qu'il n'est rien en l'homme de supérieur à l'esprit.

 

Les devoirs envers nous-mêmes.

            Si l'homme a une valeur, nous devons aussi la reconnaître en l'homme que nous sommes. Nous avons donc des devoirs envers nous-mêmes.

A vrai dire, la notion de "devoirs envers soi-même" soulève des difficultés d'ordre logique: puis-je être à la fois mon créancier et mon débiteur? Si c'est à moi que je dois, puis-je annuler cette dette?

            Mais, on peut remarquer tout d'abord que chacune de nos actions ne dépend que d'une tendance partielle, d'un désir ou d'une résolution momentané, alors qu'elle met en jeu la totalité de notre moi. Le moi partiel et instantané qui agit doit tenir compte du moi total: il a des devoirs envers lui. Nous devons penser aux conséquences de nos actes, tenir compte de notre état futur, ect...

En outre, il y a en nous hiérarchie des facultés, et l'on peut reconnaître en l'homme bien des dualités (du corps et de l'esprit, des passions et de la raison, de notre être individuel et de notre être social). On peut donc admettre que nous avons des devoirs envers l'être social que nous sommes, ou envers la raison présente en nous.

A. Devoirs envers notre corps et notre vie.

            a)  L'homme ne doit pas mépriser son corps, ni le négliger. Notre corps est la base non seulement de notre vie organique, mais de notre vie psychique, intellectuelle et morale.

Nous avons le devoir de conserver notre santé; donc éviter l'ivrognerie, la gourmandise, l'abus de stupéfiants, la débauche sexuelle. De tels devoirs débordent du reste le cadre des devoirs envers le corps: les dangers de l'alcoolisme, par exemple, sont non seulement physiques, mais intellectuels et moraux.

            b) Nous avons le devoir de conserver notre vie. La plupart du temps, la conservation de la vie répond à un instinct profond, et il est inutile d'en faire l'objet d'une obligation morale. L'homme est pourtant, de tous les êtres vivants, le seul qui se suicide. Le suicide, du reste, peut revêtir bien des formes: il peut être altruiste (tel le hara-kiri japonais) ou égoïste, il peut reposer sur l'honneur ou le désespoir.

            On connaît les études de Durkheim sur le suicide: il varie selon la religion, les liens familiaux, la culture, la profession, ect.

Certains stoïciens, dont Marc-Aurèle ont tenu le suicide pour légitime.  Car, l'homme est le maître de sa destinée. Mais, la conscience moderne condamne le suicide. Il  est contraire à nos devoirs envers nous-mêmes, envers notre famille, envers la société, envers la vie et la Nature, et, selon les croyants, envers Dieu. En condamnant le suicide, la conscience sent, plus ou moins explicitement, que l'homme individuel est dépassé par sa propre vie, et qu'il ne lui appartient pas de régler son destin.

Pour Albert Camus, le suicide est considéré comme "le seul problème philosophique" vraiment sérieux à partir du moment où l'individu a pris conscience du caractère dérisoire de son existence, c'est-à-dire à partir du moment où la découverte de l'absence de toute raison profonde de vivre, du caractère insensé de toute l'agitation quotidienne et de toute souffrance a installé en lui le sentiment de l'absurde. L'unique question qui se pose alors est de savoir si ce sentiment débouche nécessairement sur le suicide.

Camus nous propose une solution véritable, celle de la révolte qui pousse continuellement la raison humaine à lutter contre l'inhumanité de l'absurde. Seule la révolte est capable de donner à l'humanité sa véritable dimension, car elle ne fait dépendre notre condition que d'une lutte sans cesse renouvelée. L'absurde n'est pas supprimé mais perpétuellement repoussé et notre vie grandit à chacun de ses reculs.

 

B. Devoirs envers notre sensibilité et notre activité.

            a) Doit-on rechercher le plaisir? L'ascétisme le condamne, l'hédonisme déclare qu'il faut toujours le suivre.

            En principe, le plaisir est supérieur à la douleur. Il est le signe de la satisfaction de nos tendances. Mais, un plaisir est toujours partiel. L'acte auquel il est lié peut léser tout le reste du "moi". Il peut léser d'autres hommes, et l'on connaît les conséquences funestes de certains plaisirs.

Il faut donc tenir compte de la solidarité des moments de la vie humaine, de la solidarité des hommes entre eux, éviter les plaisirs qui entraînent des douleurs (soit pour nous, soit pour les autres), accepter les douleurs utiles. La sensibilité doit être sous le contrôle de la réflexion, sous la domination de la pensée. Introduire en soi, l'ordre, la mesure, régner sur ses désirs, être son maître, c'est pratiquer la tempérance, vertu humaine chère aux moralistes anciens.

            Du reste, la recherche réfléchie du plaisir a quelque chose de mesquin, de médiocre. Elle ne satisfait pas l'homme. Le plaisir est le signe que la tendance est satisfaite, il n'est pas son but. Sa recherche crée donc une fausse finalité. Et ne pas rechercher le plaisir est souvent le meilleur moyen de l'atteindre. Du point de vue même du plaisir, la générosité est supérieure à l'égoïsme calculateur. On sait l'impasse du libertinage...

            Il nous faut enfin choisir ses plaisirs, car il y a des plaisirs qui nous ferment sur nous-mêmes et nous opposent aux autres hommes, il y a des plaisirs qui nous rapprochent des hommes, et que nous voudrions faire partager à tous (ainsi les plaisirs esthétiques). De tels plaisirs nous délivrent de l'égoïsme, car, comme le dit Lavelle, on les fait s'échapper "en faisant le geste de les retenir pour empêcher qu'ils ne s'échappent". Il faut donc développer les tendances qui y conduisent: tendances artistiques, scientifiques et morales. Par la culture de ces tendances, on réalisera une véritable amélioration de soi.

De façon plus générale, on ne doit pas rechercher le plaisir sans tenir compte de la hiérarchie des plaisirs, et sans songer qu'au plaisir est préférable le bonheur, qui ne peut être atteint que si l'on impose à sa sensibilité un ordre conçu par la raison.

            b) Nous devons être libres. Une  volonté libre est la condition de toute vie morale. La conquête de la liberté est chose difficile: il faut faire obstacle aux désirs, aux instincts, à tout ce qui détermine automatiquement la décision, se décider après avoir réfléchi, et selon le moi tout entier. Il faut, une fois la décision prise, savoir l'exécuter, agir selon ce que l'on veut. Rendre sa volonté forte, persévérante, acquérir la maîtrise de soi sont des tâches indispensables à qui veut être moral. Il faut savoir dominer la peur. Le courage n'est pas moral en soi, mais c'est une condition de la moralité. C'est seulement grâce au courage que les valeurs que contient notre conscience peuvent s'extérioriser, s'imposer aux choses. Ici l'être donne la preuve qu'il préfère les Valeurs à son intérêt, à son repos, à sa vie. Mais, le courage, comme le remarque Platon, ne vaut que s'il est au service des vraies valeurs: nos passions généreuses doivent être aux ordres de l'esprit.

C. Devoirs envers notre intelligence.

            a) Nous devons développer et cultiver notre intelligence. L'éducation de l'intelligence doit être à la fois logique et mathématique (et lui faire acquérir des habitudes de rigueur), expérimentale (et lui faire acquérir le sens du fait, la soumission à l'expérience et le pouvoir de l'interpréter), littéraire et esthétique (et lui donner l'esprit de finesse, le sens des nuances, la compréhension psychologique et le sens de la beauté).

 

            b) Nous devons exercer notre intelligence, faire attention, réfléchir, éviter la routine, maintenir toujours notre esprit en éveil. Penser le vrai est une tâche ardue. Bien des causes d'erreur menacent notre pensée: ainsi, la précipitation, ou hâte de l'esprit à juger; la prévention, la partialité. Le mot de Schopenhauer illustre cette idée: "Tous sont aptes à raisonner, mais peu à juger".

            La connaissance vraie est toujours difficile. Déjà, appliqué à la matière, l'esprit scientifique demande de nombreuses qualités morales (amour du travail et de la recherche, probité intellectuelle, patience, désintéressement et objectivité, ect.).

Mais, la recherche de la vérité est encore plus malaisée en ce qui concerne le social et l'humain: elle suppose un effort incessant, une lutte contre toutes les forces qui nous empêchent de nous connaître. Enfin, rien n'est plus difficile que de connaître son moi individuel, d'être sincère envers soi-même, de se faire une juste opinion de sa valeur. Il faut éviter à la fois l'orgueil, la vanité, et une excessive modestie, qui nous rend parfois impropres à notre tâche sociale.

            La sincérité envers soi-même est le plus malaisé des devoirs. Par nature, notre attention se porte plutôt sur le monde extérieur que sur nos états d'âme. En outre, de nombreuses forces (amour-propre, refoulement, faux-semblants, ect) nous empêchent de nous connaître. Il faut donc procéder par examens de conscience fréquents, se considérer du dehors, et ce, peut-être grâce à autrui: autrement dit, il faut parvenir à une connaissance objective de soi-même. Une telle connaissance peut permettre non seulement de modifier notre action morale, mais de transformer nos tendances et notre idiosyncrasie. Comme l'a dit  Socrate, le "connais-toi toi-même" est le principe de toute morale.

            La connaissance du social est, elle aussi, malaisée:  il nous est difficile de juger objectivement les groupes auxquels nous appartenons, de nous délivrer des jugements de valeur qu'ils nous imposent, de faire abstraction de notre situation sociale, de notre intérêt et de la spirale des événements.

 

            Il importe enfin de donner à l'intelligence sa véritable place, de lui laisser jouer son rôle, qui est de diriger notre vie. Il faut assurer en nous la suprématie de l'intelligence, de la réflexion: l'esprit doit régler nos autres facultés, être le juge de nos actions. Nous tendrons ainsi à ce que les anciens tenaient pour la plus haute des vertus: la sagesse.

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