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Notes de cours: LA TECHNIQUE

Publié le 22/02/2012

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technique

 Première définition.

La technique (du grec « technè «, art manuel, habileté, technique) désigne d’abord un savoir-faire grâce auquel on obtient un résultat déterminé, l’ensemble des procédés d’un métier, permettant d’accroître la puissance de l’homme.

En son acception moderne, la technique désigne généralement des procédés découlant d’une connaissance scientifique et conduisant à des applications pratiques.

Problématique fondamentale.

L’homme maîtrise-t-il réellement l’essor de l’humanité par la technique ? telle est la question qui informe ici la problématique :

·         Qu’est-ce que la technique ? Un ensemble de savoir-faire empiriques transmissibles ou bien des procédés découlant de connaissances scientifiques ? Ne faut-il pas unifier les deux origines de la technique ? La technique n’est-elle pas l’instrument privilégié de l’action de l’homme ?

·         Faut-il concevoir l’homme « comme maître & possesseur de la nature « ? Dans cette perspective, la technique ne délivre-t-elle pas l’humanité de la servitude ?

·         Quels sont les effets ultimes de la technique ? Son usage ne connaît-il pas des défaillances et ne déclenche-t-il pas des effets pervers?

·         Dès lors la maîtrise de l’usage de la technique ne s’impose-t-elle pas aujourd’hui ?

La technique, le corps, la main.

 

C’est au XVIII ième que l’adjectif « technique « apparaît et au XIX ième (18486) que le substantif féminin « technique « se présente dans le langage, désignant alors un ensemble de savoir-faire employés pour produire une œuvre. Le terme signifie aussi un ensemble de procédés méthodiques fondés sur des connaissances scientifiques et destinés à la production. La technique, on le voit, représente autant de méthodes utilisées pour parvenir à un certain résultat. Ces méthodes sont mises au point scientifiquement. Expérience et science se trouvent donc à l’origine des pratiques techniques.

On ne saurait toutefois concevoir de manière directe et immédiate la relation de la science et de la technique. Comte souligne justement l’utilité de la théorie pure : l’ensemble de nos connaissances, d’une part, et, d’autre part, les procédés d’action que nous en déduisons forment deux systèmes distincts qui réagissent l’un sur l’autre. La technique, en tant qu’application des connaissances scientifiques, dépend des progrès de la théorie pure ; réciproquement, le développement de cette dernière est fréquemment lié à l’accroissement de la qualité des instruments de mesure, et ce en connexion avec l’amélioration des savoir-faire techniques. Science et technique doivent être rapprochées, mais ne se confondent nullement. D’ailleurs, la technique s’éclaire, sous un angle, à partir du premier objet technique, le corps de l’homme. Nous avons affaire d’abord à des techniques du corps, selon l’expression de Marcel Mauss. Il faut dès lors comprendre dans leur connexion la technique et la main, qui semble bien être non pas un outil, mais plusieurs.

 

                  « Ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils: or, la main semble bien être non  pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main. Aussi, ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre), sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut et quand il le veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance ou épée ou toute arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. « ARIST0TE

La technique et les outils ne permettent-ils pas  à l’homme d’échapper à sa faiblesse originelle ? Tel est bien un des sens du mythe de Protagoras, dans le dialogue de Platon qui porte ce nom.

 

« Il fut jadis un temps où les dieux existaient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps que le destin avait assigné à leur création fut venu, les dieux les façonnèrent dans les entrailles de la terre d’un mélange de terre et de feu et des éléments qui s’allient au feu et à la terre. Quand le moment de les amener à la lumière approcha, ils chargèrent Prométhée et Epiméthée de les pourvoir et d’attribuer à chacun des qualités appropriées. Mais Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser faire seul le partage. « Quand je l’aurai fini, dit-il, tu viendras l’examiner. « Sa demande accordée, il fit le partage, et, en le faisant, il attribua aux uns la force sans la vitesse, aux autres la vitesse sans la force ; il donna des armes à ceux-ci, les refusa à ceux-là, mais il imagina pour eux d’autres moyens de conservation […]. Ces mesures de précaution étaient destinées à prévenir la disparition des races. […]

cependant Epiméthée, qui n’était pas très réfléchi, avait, sans y prendre garde, dépensé pour les animaux toutes les facultés dont il disposait et il lui restait la race humaine à pourvoir, et il ne savait que faire. Dans cet embarras, Prométhée vient pour examiner le partage ; il voit les animaux bien pourvus, mais l’homme nu, sans chaussures, ni couverture, ni armes, et le jour fixé approchait où il fallait l’amener du sein de la terre à la lumière. Alors Prométhée, ne sachant qu’imaginer pour donner à l’homme le moyen de se conserver, vole à Héphaistos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu ; car, sans le feu, la connaissance des arts était impossible et inutile ; et il en fait présent à l’homme. l’homme eut ainsi la science propre à conserver sa vie ; mais il n’avait pas la science politique ; celle-ci se trouvait chez Zeus, et Prométhée n’avait plus le temps de pénétrer dans l’acropole que Zeus habite et où veillent d’ailleurs des gardes redoutables. «

 

Platon, « Protagoras «.

 

 

 

La technique, ruse de l’homme et passeport d’humanité.

 

La technique est liée à l’intelligence humaine pratique. L’homme, avant d’être sapiens, sage, est d’abord un fabriquant d’outils. L’intelligence n’est-elle pas, la faculté de fabriquer des objets artificiels ? L’homme n’est-il pas un homo faber ?

                  « En ce qui concerne l’intelligence humaine, on n’a pas assez remarqué que l’invention mécanique a d’abord été sa démarche essentielle, qu’aujourd’hui encore notre vie sociale gravite autour de la fabrication et de l’utilisation d’instruments artificiels, que les inventions qui jalonnent la route du progrès en  ont aussi tracé la direction. Nous avons de la peine à nous en apercevoir, parce que les modifications de l’humanité retardent d’ordinaire sur les transformations de son outillage. Nos habitudes individuelles et mêmes sociales survivent assez longtemps aux circonstances pour lesquelles elles étaient faites, de sorte que les effets profonds d’une invention se font remarquer lorsque nous en avons déjà perdu la nouveauté. (…) Dans des milliers d’années, quand le recul du passé n’en laissera plus apercevoir que les grandes lignes, nos guerres et nos révolutions compteront pour peu de chose, à supposer qu’on s’en souvienne encore ; mais de la machine à vapeur, avec les inventions de tout genre qui lui font cortège, on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la pierre taillée ; elle servira à définir un âge. Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens[1], mais Homo faber[2]. En définitive, l’intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils et d’en varier indéfiniment la fabrication. «

 

BERGSON, « L’évolution créatrice «.

 

Liée à l’intelligence pratique, invention permettant à l’homme de progresser et de mieux maîtriser les choses, la technique s’avère ruse de l’humanité, utilisant comme instruments les forces naturelles et les laissant « s’user « à sa place. L’eau, le torrent, etc. forment ainsi une médiation par laquelle l’homme domine les choses. Dès lors, la technique transforme une force aveugle en un faire finalisé. La large face de la force est attaquée par la pointe fine de la ruse. D’une manière générale, les objets techniques sont liés à l’idée même d’humanité.

L’homme, « maître et possesseur de la nature «.

 

Aux environs de 1620-1630, l’idée d’une maîtrise de la nature par la technique émerge clairement. En 1620, Bacon rédige le « Novum Organum « (« Nouvelle Logique «) et énonce la fameuse formule : on ne peut vaincre la nature qu’en lui obéissant. Galilée, Descartes, Gassendi refusent de disjoindre le travail du savant et la tâche de l’ingénieur. Le thème de la revalorisation de la technique s’inscrit dans toute la conscience européenne du XVII ième. Qu’est-ce que la science ? Une technique d’exploitation de la machine. Ainsi la conquête de la nature se dessine-t-elle avec force.

 

« … s’il se trouve un mortel qui n’ait d’autre ambition que celle d’étendre l’empire et la puissance du genre humain tout entier sur l’immensité des choses, cette ambition (si toutefois on doit lui donner ce nom), on conviendra qu’elle est plus pure, plus noble et plus auguste que toutes les autres ; or, l’empire de l’homme sur les choses n’a d’autre base que les arts et les sciences, car on ne commande à la nature qu’en lui obéissant. […]

La science et la puissance humaine se correspondent dans tous les points et vont au même but ; c’est l’ignorance où nous sommes de la cause qui nous prive de l’effet ; car on ne peut vaincre la nature qu’en lui obéissant ; et ce qui était principe, effet ou cause dans la théorie, devient règle, but ou moyen dans la pratique. « Francis Bacon.

 

La face inquiétante de la nature.

 

Depuis le XIX ième, la technique ne présente-t-elle pas une face inquiétante et n’a-t-elle pas déclenché des effets pervers ? Non seulement la nature s’est trouvée asservie aux pouvoirs apparemment illimités des hommes, mais ces derniers, voués parfois à un destin inhumain, se sont transmutés en purs et simples moyens au sein d’une gestion technique déshumanisante. Le milieu technique devient dès lors de plus en plus contraignante et la technique conduit même, en certain cas, à des processus d’extermination. D’où une critique souvent sévère de la civilisation mécanique. Le machinisme n’a-t-il pas rompu l’équilibre de l’âme ? Nous n’ignorons plus aujourd’hui que science et technique sans conscience ne sont que ruine de l’âme. La vie humaine est peut-être enchaînée par la machine.

 

« Le machinisme est le véritable gouvernant de notre époque. Il faut voir de quels prix nous payons ses immenses services, en quelle monnaie l’Intelligence se libère, et si l’accroissement de puissance, de précision et de vitesse ne va pas réagir sur l’être qui le désire et qui l’obtient de la nature […]

La machine gouverne. La vie humaine est rigoureusement enchaînée par elle, assujettie aux volontés terriblement exactes des mécanismes. Ces créatures des hommes sont exigeantes. Elles réagissent à présent sur leurs créateurs et les façonnent d’après elles. Il leur faut des humains bien dressés ; elles en effacent peu à peu les différences et les rendent propres à leur fonctionnement régulier, à l’uniformité de leurs régimes. Elles se font donc une humanité à leur usage, presque à leur image.

Il y a une sorte de pacte entre la machine et nous-mêmes, pacte comparable à ces terribles engagements que contracte le système nerveux avec les démons subtiles de la classe des toxiques. Plus la machine nous semble utile, plus elle le devient ; plus nous devenons incomplets, incapables de nous en priver. La réciproque de l’utile existe. «

ALAIN.

La soumission de la technique à l’éthique : le pouvoir sur le pouvoir.

 

La condamnation sans appel de la technique paraît impossible. On ne saurait sous-estimer la possibilité qu’elle offre d’agir sur les impuissances naturelles, la maladie, etc.

Puisque la technique est désormais en mesure de transformer l’homme dans son essence (manipulations génétiques), ne faut-il pas qu’elle se soumettre à l’éthique et que le pouvoir humain soit maîtrisé par une législation, une morale, des règles impératives de conduite ? Les actions de l’homme sur le monde et lui-même pourraient, en effet, se révéler irréversibles. Le projet scientifique conduit l’humanité à la domination de la nature, elle-même menacée par un développement incontrôlé appelant une éthique inédite, reposant sur la responsabilité collective vis-à-vis des générations futures.

 

[1] HOMO SAPIENS : L’homme savant.

[2] HOMO FABER : L’homme qui fabrique.

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