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TEXTE: LES METEORES, DISCOURS PREMIER, DE LA NATURE DES CORPS TERRESTRES. DESCARTES

Publié le 22/02/2012

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discours
et que ces intervalles ne sont pas vides, mais remplis de cette matière fort subtile, par l'entremise de laquelle j'ai dit ci-dessus que se communiquait l'action de la lumière. au lieu que, si elles sont simplement posées l'une sur l'autre, sans être que fort peu ou point du tout entrelacées, et qu'elles soient avec cela si petites, qu'elles puissent être mues et séparées par l'agitation de la matière subtile qui les environne, elles doivent occuper beaucoup d'espace, et composer des corps liquides fort rares et fort légers, comme des huiles ou de l'air. De plus il faut penser que la matière subtile qui remplit les intervalles qui sont entre les parties de ces corps est de telle nature qu'elle ne cesse jamais de se mouvoir çà et là grandement vite, non point toutefois exactement de même vitesse, en tous lieux et en tous temps, mais qu'elle se meut communément un peu plus vite vers la superficie de la terre, qu'elle ne fait au haut de l'air où sont les nues, et plus vite vers les lieux proches de l'équateur que vers les pôles, et au même lieu plus vite l'été que l'hiver et le jour que la nuit. Dont la raison est évidente, en supposant que la lumière n'est autre chose qu'un certain mouvement ou une action, dont les corps lumineux poussent cette matière subtile de tous côtés autour d'eux en ligne droite, ainsi qu'il a été dit en la Dioptrique. Puis il faut aussi penser que cette matière subtile est composée de diverses parties qui, bien qu'elles soient toutes très petites, le sont toutefois beaucoup moins les unes que les autres, et que les plus grosses, ou pour mieux parler, les moins petites, ont toujours le plus de force, ainsi que généralement tous les grands corps en ont plus que les moindres quand il sont autant ébranlés. Ce qui fait que, moins cette matière est subtile, c'est-à-dire composée de parties moins petites, plus elle peut agiter les parties des autres corps. Comme, d'autant que les marbres et les métaux se sentent plus froids que le bois, on doit penser que leurs pores ne reçoivent pas si facilement les parties moins subtiles de cette matière, et que les pores de la glace les reçoivent encore moins facilement que ceux des marbres ou des métaux, d'autant qu'elle est encore plus froide. Car je suppose ici que, pour le froid et le chaud, il n'est point besoin de concevoir autre chose sinon que les petites parties des corps que nous touchons étant agitées plus ou moins fort que de coutume, soit par les petites parties de cette matière subtile, soit par telle autre cause que ce puisse être, agitent aussi plus ou moins les petits filets de ceux de nos nerfs qui sont les organes de l'attouchement ; Et il est bien aisé à comprendre, qu'encore que cette matière subtile ne sépare pas les parties des corps durs qui sont comme des branches entrelacées, en même façon qu'elle fait celles de l'eau et de tous les autres corps qui sont liquides, elle ne laisse pas de les agiter et faire trembler plus ou moins, selon que son mouvement est plus ou moins fort, et que ses parties sont plus ou moins grosses ; Au reste, il faut penser qu'il y a telle proportion entre la force de cette matière subtile et la résistance des parties des autres corps que lorsqu'elle est autant agitée, et qu'elle n'est pas plus subtile qu'elle a coutume d'être en ces quartiers contre la terre, elle a la force d'agiter et de faire mouvoir séparément l'une de l'autre et même de plier la plupart des petites parties de l'eau entre lesquelles elle se glisse, et ainsi de la rendre liquide ; Et parce que l'eau ne se gèle jamais que la matière qui est entre ses parties ne soit plus subtile qu'à l'ordinaire, de là vient que les pores de la glace qui se forment pour lors, ne s'accommodant qu'à la grosseur des parties de cette matière plus subtile, se disposent en telle sorte qu'ils ne peuvent recevoir celle qui l'est moins, et ainsi que la glace est toujours grandement froide, nonobstant qu'on la garde jusques à l'été, et même qu'elle retient alors sa dureté, sans s'amollir peu à peu comme la cire, à cause que la chaleur ne pénètre au-dedans qu'à mesure que le dessus devient liquide. Il y a ici de plus à remarquer qu'entre les parties longues et unies dont j'ai dit que l'eau était composée, il y en a véritablement la plupart qui se plient ou cessent de se plier selon que la matière subtile qui les environne a quelque peu plus ou moins de force qu'à l'ordinaire, ainsi que je viens d'expliquer ; d'où vient qu'elles ne peuvent pour lors se ranger en si peu d'espace que lorsque la matière subtile, étant assez forte pour les plier, leur fait accommoder leurs figures les unes aux autres. Mais, afin que vous receviez toutes ces suppositions avec moins de difficulté, sachez que je ne conçois pas les petites parties des corps terrestres comme des atomes ou particules indivisibles, mais que, les jugeant toutes d'une même matière, je crois que chacune pourrait être redivisée en une infinité de façons, et qu'elles ne différent entre elles que comme des pierres de plusieurs diverses figures qui auraient été coupées d'un même rocher.

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