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L'Art est-il imitation ? (Platon / Aristote)

Publié le 19/09/2011

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platon
La beauté de l’œuvre tient à sa seule cohérence interne, et non aux enjolivements extérieurs dont on voudrait la parer. Le développement dramatique d’une bonne tragédie obéit donc à une nécessité immanente, et non transcendante. Elle imite en cela la nature, qui se déploie selon un principe interne de mouvement, et non par une intervention extérieure : " L’observation des faits montre que la nature n’est pas une série d’épisodes sans lien, à la façon d’une méchante tragédie" Paradoxale imitation, qui est imitation, non d’un modèle extérieur, mais de l’imitation elle-même, qui est représentation autonome et non copie dépendante. Paradoxale “ressemblance” également. La ressemblance est en effet une qualité qui appartient en propre à l’imitation.

platon

« notre nature .

C’est sur le thème de la ressemblance — qui est la fin de toute imitation — que l’opposition des deuxpenseurs est la plus manifeste.

La ressemblance est selon Platon un genre “glissant”, qui induit l’esprit à l’erreur :par le jeu des ressemblances, il n’est rien qui ne puisse paraître vrai.

L’art de tromper est « l’art de faire passerinsensiblement les autres de ressemblance en ressemblance » (Phèdre, 262 b).

C’est ainsi, explique Socrate, « pourchanger de côté sans qu’on s’en aperçoive, on y arrive mieux en se déplaçant à petits pas qu’à grands pas » (262a).

La ressemblance corrompt insidieusement la droite raison, et le raisonnement par analogie est déraison.

PourAristote, la ressemblance est au contraire le principe même de la création poétique.

L’animal mimétique parexcellence est, plus que tout autre, apte à saisir les ressemblances.

Le langage poétique exprime par métaphoresces relations d’analogies qui donnent à l’univers son unité et démontrent l’universalité du principe d’imitation : « Maisce qui est de beaucoup plus important, c’est d’exceller dans les métaphores.

En effet, c’est la seule chose qu’on nepeut prendre à autrui, et c’est un indice de dons naturels (euphuias sêmeion).

Bien faire les métaphores, c’est voir(theôrein) les ressemblances » (59 a 7) .

Poète et parlant par métaphores, le génie mimétique de l’artiste a lepouvoir démiurgique d’enfanter un monde et de recréer la nature. AUTONOMIE DE L'ŒUVRE La beauté de l’œuvre tient à sa seule cohérence interne, et non aux enjolivements extérieurs dont on voudrait laparer.

Le développement dramatique d’une bonne tragédie obéit donc à une nécessité immanente, et nontranscendante.

Elle imite en cela la nature, qui se déploie selon un principe interne de mouvement, et non par uneintervention extérieure : " L’observation des faits montre que la nature n’est pas une série d’épisodes sans lien, à lafaçon d’une méchante tragédie"Paradoxale imitation, qui est imitation, non d’un modèle extérieur, mais de l’imitation elle-même, qui estreprésentation autonome et non copie dépendante.

Paradoxale “ressemblance” également.

La ressemblance est eneffet une qualité qui appartient en propre à l’imitation.

En grec : to eikos, qu’on peut traduire à la fois par semblable,convenable ou vraisemblable.

Pour l’académisme de l’âge classique, le souci de la vraisemblance se réduit au respectdes bienséances, des convenances.

Pour Platon, la vraisemblance est fonction de la plus ou moins grandeconformité au modèle.

Aristote, quant à lui, semble avoir une étrange conception de la vraisemblance : en effet, levraisemblable, sur la scène tragique, n’exclut nullement l’invraisemblable.

Ici encore, ce n’est pas par la conformitéde la représentation à un réel, historique ou mythique, que se mesure la vraisemblance, mais plutôt par la cohérencedramatique qui réunit ensemble tous les épisodes du drame et, par cette liaison, emporte l’adhésion du spectateurqui, par la seule force de l’art, sera porté à juger vraisemblable l’invraisemblable même.

Tout comme l’imitation elle-même, la vraisemblance est immanente et non transcendante au développement de l’action : seule l’unité du muthosproduit par elle-même ses propres critères de vraisemblance.

C’est pourquoi « il ne doit rien y avoir d’irrationnel dansles faits » (54 b 6) : non que la raison tragique se conforme à l’ordre raisonnable et coutumier de l’existence ; lerationnel, dans la tragédie, c’est la seule logique de la consécution dramatique, c’est l’enchaînement des épisodes etla “raison” de leur suite.

La tragédie est à elle-même sa propre raison.

La vraisemblance n’a donc rien à voir avec leréalisme, elle est un pur effet mimétique qui naît de la seule force de l’enchaînement dramatique.

Ainsi Aristote peut-il souligne le caractère paradoxal de la vraisemblance tragique : « Il faut choisir l’impossible qui est vraisemblableplutôt que le possible qui est incroyable, adunata eikota mallon ê dunata apithana » (60 a 26) ; « Il estvraisemblable (eikos) que beaucoup de choses arrivent contre la vraisemblance (para to eikos) » (56 a 24) ; «L’impossible qui persuade (pithanon adunaton) est préférable au possible qui ne persuade pas (apithanon dunaton) »(61 b 11), qui résume le paradoxe sous la forme resserrée du chiasme.

C’est ainsi qu’Aristote reconnaît volontiers,de l’histoire d’Œdipe, qu’elle est invraisemblable ; mais la traque de l’enquête, qui progresse logiquement vers lamanifestation de la vérité impose la vraisemblance malgré l’invraisemblance : « De chose irrationnelle, il ne peut y enavoir aucune dans les faits ; s’il y en a, ce doit être en dehors de la tragédie, comme c’est le cas dans l’Œdipe deSophocle »On comprend alors combien la tragédie forme, aux yeux d’Aristote, un tout autonome, et qui définit lui-même sespropres valeurs.

La vraisemblance, c'est-à-dire ce qui tient lieu de vérité sur la scène tragique, peut reposer surl’invraisemblable, et même sur l’impossible dans le domaine du réel : il suffit pour cela que la cohésion dramatique,dont l’autorité est souveraine dans le monde de la mimésis, soit persuasive et s’impose par la seule logique del’action.

Platon dénoncerait ici le danger de l’illusion théâtrale, qui donne le simulacre pour la vérité.

Aristote, peut-être plus artiste, fait au contraire l’éloge de la puissance mimétique du génie humain, capable de créer un mondeautonome, qui vit de sa propre nécessité et semble n’obéir qu’à ses propres lois.

C’est pourquoi Aristote lie le plussouvent la vraisemblance à la nécessité, to eikos et to anagkaion.

Par exemple : « Les événements (il s’agit de lareconnaissance et de la péripétie) doivent toujours naître de la constitution même du “mythe” (sustasis tou muthou)de façon à découler des faits antérieurs, par voie de nécessité ou suivant la vraisemblance » (52 a 17) ;condamnant les trames décousues des mauvaises tragédies « J’appelle “histoire épisodique” (epeisodiôdê muthon)celle où la succession des épisodes n’est déterminée ni par la vraisemblance ni par la nécessité » (51 b 34) ; etenfin : « Il faut aussi dans les caractères comme dans la composition de faits (pragmatôn sustasei) cherchertoujours ou le nécessaire ou le vraisemblable, de sorte qu’il soit nécessaire ou vraisemblable que tel personnageparle ou agisse de telle façon, qu’après telle chose il se produise telle autre » (54 a 34).

Il faut comprendre que levraisemblable est l’effet du nécessaire, c'est-à-dire que la persuasion résulte de la seule logique de l’enchaînementdramatique, et de nulle autre cause.

Le poète ne doit donc pas trop se soucier de la vérité historique ni de latradition mythique qui fait la matière de son drame : « Il ne faut pas vouloir absolument s’en tenir aux mythes de latradition, sur lesquels roulent nos tragédies.

C’est même là un souci ridicule » (51 b 23) .

C’est pourquoi le poète,qui fait passer l’invraisemblable pour vraisemblable, est supérieur à l’historien qui rapporte des faits bien réels, maisqui semblent pourtant, le plus souvent, invraisemblables.

L’historien n’est que le greffier de l’histoire, le poète en estl’inventeur et le créateur : « L’historien et le poète se distinguent en ce que l’un racontent les événements qui sontarrivés, l’autre des événements qui pourraient arriver.

Aussi la poésie est-elle plus philosophique et plus noble. »

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