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Article de presse: La mort d'Albert Einstein

Publié le 22/02/2012

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einstein
19 avril 1955 - Les notions de temps et d'espace lentement précisées depuis une intuition primitive par des siècles de pensée scientifique paraissaient devoir rester les cadres immuables de notre connaissance de la réalité objective. Ce sont pourtant ces fondements les plus directement liés à notre connaissance du monde extérieur qui ont été bouleversés par Einstein, et l'on conçoit l'ampleur de son génie quand on songe qu'il a non seulement transformé les notions d'espace et de temps, mais que, poursuivant le même mouvement de sa pensée, il a renouvelé notre conception de la gravitation, montré le lien intime qui existe entre matière, espace et temps, et ouvert des voies nouvelles à la cosmogonie. Ce qui, dans l'oeuvre d'Einstein, a le plus d'importance philosophique est la nécessité d'abandonner l'idée de temps " absolu " s'écoulant de même pour tous les observateurs, en mouvement ou non, les uns par rapport aux autres, ainsi que le caractère absolu de la simultanéité en des points éloignés. Mais ce sont aussi ces abandons qui ont le plus heurté le " sens commun " et suscité le plus de controverses. L'absence de temps universel, le caractère relatif de toute échelle de durée, ont finalement été reconnus par tous les physiciens, mais restent encore souvent incompris par les non-spécialistes, ainsi d'ailleurs que le terme de relativité que l'on applique à la théorie d'Einstein. Cette théorie montre bien la relativité de certaines grandeurs que l'on croyait autrefois indépendantes de l'observateur, comme la durée séparant deux événements, mais permet de déduire des observations de nouveaux absolus, ou invariants, relatifs à une réalité où fusionnent l'espace et le temps formant une unité quadridimensionnelle. La conséquence la plus remarquable qu'Einstein lui-même a déduite de sa théorie de la relativité est une relation profonde d'équivalence entre masse et énergie, d'après laquelle toute variation de l'énergie interne d'un système est accompagnée d'une variation proportionnelle de sa masse. Cette variation de masse, trop faible pour être observée dans le cas de la chaleur dégagée par une réaction chimique, a été vérifiée, plus de vingt ans après la prévision d'Einstein, par les premières expériences de transmutations artificielles par " fusion " d'atomes légers. Lors de la découverte de la fission des atomes d'uranium, la relation d'Einstein a permis de prévoir immédiatement avant même les premières mesures la grandeur de l'énergie libérée par ce phénomène, dans lequel environ un millième de la masse est transformé en énergie. La libération par une réaction neutronique en chaîne de cette fraction de l'énergie interne d'une masse notable d'uranium ou de plutonium dans les piles ou les bombes atomiques, avec diminution correspondante de la masse, est une vérification spectaculaire de la relation d'Einstein entre masse et énergie; mais, contrairement à ce que l'on dit souvent, la connaissance de cette relation n'a joué qu'un rôle secondaire dans la découverte des possibilités de libération de l'énergie intra-atomique. La généralisation par Einstein lui-même de sa théorie de la relativité restreinte l'a conduit dix ans plus tard, en partant de l'équivalence d'un champ d'accélération et d'un champ de gravitation, à une théorie entièrement nouvelle de la gravitation, donnant la loi de Newton comme première approximation, mais expliquant exactement de petits écarts observés pour le mouvement de la planète Mercure, et prévoyant une déviation de la lumière par le champ de gravitation du Soleil, déviation vérifiée ultérieurement lors des éclipses solaires. La fécondité du génie d'Einstein s'est manifestée dans d'autres domaines de la physique : théorie du mouvement brownien permettant d'atteindre les grandeurs atomiques, effet photo-électrique et théorie quantique de la lumière. Mais, malgré cette dernière contribution, il est resté assez à l'écart de la seconde révolution de la physique moderne, celle des quanta, alors que la première, celle de la relativité, est presque entièrement son oeuvre. FRANCIS PERRIN haut commissaire à l'énergie atomique, membre de l'Académie des sciences. Le Monde du 20 avril 1955

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