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Eugenie Grandet --Oui, mademoiselle Grandet.

Publié le 12/04/2014

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Eugenie Grandet --Oui, mademoiselle Grandet. --Eh! bien, mon pere, vous pouvez facilement secourir Charles. L'etonnement, la colere, la stupefaction de Balthazar en apercevant le Mane-Tekel-Phares ne sauraient se comparer au froid courroux de Grandet qui, ne pensant plus a son neveu, le retrouvait loge au coeur et dans les calculs de sa fille. --Ah! ca, depuis que ce mirliflor a mis le pied dans ma maison, tout y va de travers. Vous vous donnez des airs d'acheter des dragees, de faire des noces et des festins. Je ne veux pas de ces choses-la. Je sais, a mon age, comment je dois me conduire, peut-etre! D'ailleurs je n'ai de lecons a prendre ni de ma fille ni de personne. Je ferai pour mon neveu ce qu'il sera convenable de faire, vous n'avez pas a y fourrer le nez. Quant a toi, Eugenie, ajouta-t-il en se tournant vers elle, ne m'en parle plus, sinon je t'envoie a l'abbaye de Noyers avec Nanon voir si j'y suis; et pas plus tard que demain, si tu bronches. Ou est-il donc, ce garcon, est-il descendu? --Non, mon ami, repondit madame Grandet. --Eh! bien, que fait-il donc? --Il pleure son pere, repondit Eugenie. Grandet regarda sa fille sans trouver un mot a dire. Il etait un peu pere, lui. Apres avoir fait un ou deux tours dans la salle, il monta promptement a son cabinet pour y mediter un placement dans les fonds publics. Ses deux mille arpents de foret coupes a blanc lui avaient donne six cent mille francs; en joignant a cette somme l'argent de ses peupliers, ses revenus de l'annee derniere et de l'annee courante, outre les deux cent mille francs du marche qu'il venait de conclure, il pouvait faire une masse de neuf cent mille francs. Les vingt pour cent a gagner en peu de temps sur les rentes, qui etaient a 80 francs, le tentaient. Il chiffra sa speculation sur le journal ou la mort de son frere etait annoncee, en entendant, sans les ecouter, les gemissements de son neveu. Nanon vint cogner au mur pour inviter son maitre a descendre: le diner etait servi. Sous la voute et a la derniere marche de l'escalier, Grandet disait en lui-meme: --Puisque je toucherai mes interets a huit, je ferai cette affaire. En deux ans, j'aurai quinze cent mille francs que je retirerai de Paris en bon or. --Eh! bien, ou donc est mon neveu? --Il dit qu'il ne veut pas manger, repondit Nanon. Ca n'est pas sain. --Autant d'economise, lui repliqua son maitre. --Dame, voui, dit-elle. --Bah! il ne pleurera pas toujours. La faim chasse le loup hors du bois. Le diner fut etrangement silencieux. --Mon bon ami, dit madame Grandet lorsque la nappe fut otee, il faut que nous prenions le deuil. --En verite, madame Grandet, vous ne savez quoi vous inventer pour depenser de l'argent. Le deuil est dans le coeur et non dans les habits. Eugenie Grandet 45 Eugenie Grandet --Mais le deuil d'un frere est indispensable, et l'Eglise nous ordonne de ... --Achetez votre deuil sur vos six louis. Vous me donnerez un crepe, cela me suffira. Eugenie leva les yeux au ciel sans mot dire. Pour la premiere fois dans sa vie, ses genereux penchants endormis, comprimes, mais subitement eveilles, etaient a tout moment froisses. Cette soiree fut semblable en apparence a mille soirees de leur existence monotone, mais ce fut certes la plus horrible. Eugenie travailla sans lever la tete, et ne se servit point du necessaire que Charles avait dedaigne la veille. Madame Grandet tricota ses manches. Grandet tourna ses pouces pendant quatre heures, abime dans des calculs dont les resultats devaient, le lendemain, etonner Saumur. Personne ne vint, ce jour-la, visiter la famille. En ce moment, la ville entiere retentissait du tour de force de Grandet, de la faillite de son frere et de l'arrivee de son neveu. Pour obeir au besoin de bavarder sur leurs interets communs, tous les proprietaires de vignobles des hautes et moyennes societes de Saumur etaient chez monsieur des Grassins, ou se fulminerent de terribles imprecations contre l'ancien maire. Nanon filait, et le bruit de son rouet fut la seule voix qui se fit entendre sous les planchers grisatres de la salle. --Nous n'usons point nos langues, dit-elle en montrant ses dents blanches et grosses comme des amandes pelees. --Ne faut rien user, repondit Grandet en se reveillant de ses meditations. Il se voyait en perspective huit millions dans trois ans, voguait sur cette longue nappe d'or. --Couchons-nous. J'irai dire bonsoir a mon neveu pour tout le monde, et voir s'il veut prendre quelque chose. Madame Grandet resta sur le palier du premier etage pour entendre la conversation qui allait avoir lieu entre Charles et le bonhomme. Eugenie, plus hardie que sa mere, monta deux marches. --He! bien, mon neveu, vous avez du chagrin. Oui, pleurez, c'est naturel. Un pere est un pere. Mais faut prendre notre mal en patience. Je m'occupe de vous pendant que vous pleurez. Je suis un bon parent, voyez-vous. Allons, du courage. Voulez-vous boire un petit verre de vin? Le vin ne coute rien a Saumur, on y offre du vin comme dans les Indes une tasse de the. --Mais, dit Grandet en continuant, vous etes sans lumiere. Mauvais, mauvais! faut voir clair a ce que l'on fait. Grandet marcha vers la cheminee. --Tiens! s'ecria-t-il, voila de la bougie. Ou diable a-t-on peche de la bougie? Les garces demoliraient le plancher de ma maison pour cuire des oeufs a ce garcon-la. En entendant ces mots, la mere et la fille rentrerent dans leurs chambres et se fourrerent dans leurs lits avec la celerite de souris effrayees qui rentrent dans leurs trous. --Madame Grandet, vous avez donc un tresor? dit l'homme en entrant dans la chambre de sa femme. --Mon ami, je fais mes prieres, attendez, repondit d'une voix alteree la pauvre mere. --Que le diable emporte ton bon Dieu! repliqua Grandet en grommelant. Les avares ne croient point a une vie a venir, le present est tout pour eux. Cette reflexion jette une horrible clarte sur l'epoque actuelle, ou, plus qu'en aucun autre temps, l'argent domine les lois, la politique et les moeurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire a miner la croyance d'une vie future sur laquelle l'edifice social est appuye depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu Eugenie Grandet 46

« —Mais le deuil d'un frere est indispensable, et l'Eglise nous ordonne de ... —Achetez votre deuil sur vos six louis.

Vous me donnerez un crepe, cela me suffira. Eugenie leva les yeux au ciel sans mot dire.

Pour la premiere fois dans sa vie, ses genereux penchants endormis, comprimes, mais subitement eveilles, etaient a tout moment froisses.

Cette soiree fut semblable en apparence a mille soirees de leur existence monotone, mais ce fut certes la plus horrible.

Eugenie travailla sans lever la tete, et ne se servit point du necessaire que Charles avait dedaigne la veille.

Madame Grandet tricota ses manches.

Grandet tourna ses pouces pendant quatre heures, abime dans des calculs dont les resultats devaient, le lendemain, etonner Saumur.

Personne ne vint, ce jour-la, visiter la famille.

En ce moment, la ville entiere retentissait du tour de force de Grandet, de la faillite de son frere et de l'arrivee de son neveu.

Pour obeir au besoin de bavarder sur leurs interets communs, tous les proprietaires de vignobles des hautes et moyennes societes de Saumur etaient chez monsieur des Grassins, ou se fulminerent de terribles imprecations contre l'ancien maire.

Nanon filait, et le bruit de son rouet fut la seule voix qui se fit entendre sous les planchers grisatres de la salle. —Nous n'usons point nos langues, dit-elle en montrant ses dents blanches et grosses comme des amandes pelees. —Ne faut rien user, repondit Grandet en se reveillant de ses meditations.

Il se voyait en perspective huit millions dans trois ans, voguait sur cette longue nappe d'or. —Couchons-nous.

J'irai dire bonsoir a mon neveu pour tout le monde, et voir s'il veut prendre quelque chose. Madame Grandet resta sur le palier du premier etage pour entendre la conversation qui allait avoir lieu entre Charles et le bonhomme.

Eugenie, plus hardie que sa mere, monta deux marches. —He! bien, mon neveu, vous avez du chagrin.

Oui, pleurez, c'est naturel.

Un pere est un pere.

Mais faut prendre notre mal en patience.

Je m'occupe de vous pendant que vous pleurez.

Je suis un bon parent, voyez-vous.

Allons, du courage.

Voulez-vous boire un petit verre de vin? Le vin ne coute rien a Saumur, on y offre du vin comme dans les Indes une tasse de the. —Mais, dit Grandet en continuant, vous etes sans lumiere.

Mauvais, mauvais! faut voir clair a ce que l'on fait. Grandet marcha vers la cheminee. —Tiens! s'ecria-t-il, voila de la bougie.

Ou diable a-t-on peche de la bougie? Les garces demoliraient le plancher de ma maison pour cuire des oeufs a ce garcon-la. En entendant ces mots, la mere et la fille rentrerent dans leurs chambres et se fourrerent dans leurs lits avec la celerite de souris effrayees qui rentrent dans leurs trous. —Madame Grandet, vous avez donc un tresor? dit l'homme en entrant dans la chambre de sa femme. —Mon ami, je fais mes prieres, attendez, repondit d'une voix alteree la pauvre mere. —Que le diable emporte ton bon Dieu! repliqua Grandet en grommelant. Les avares ne croient point a une vie a venir, le present est tout pour eux.

Cette reflexion jette une horrible clarte sur l'epoque actuelle, ou, plus qu'en aucun autre temps, l'argent domine les lois, la politique et les moeurs.

Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire a miner la croyance d'une vie future sur laquelle l'edifice social est appuye depuis dix-huit cents ans.

Maintenant le cercueil est une transition peu Eugenie Grandet Eugenie Grandet 46. »

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