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L'ile Des Pingouins avait commis plusieurs fois des indiscretions facheuses ou l'on se plaisait a voir la liberte d'un soldat etranger aux intrigues.

Publié le 11/04/2014

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liberte
L'ile Des Pingouins avait commis plusieurs fois des indiscretions facheuses ou l'on se plaisait a voir la liberte d'un soldat etranger aux intrigues. Il se rendait tous les matins chez Chatillon, qu'il traitait avec la rudesse cordiale d'un frere d'armes. --Eh bien, mon vieux canard, te voila populaire, lui disait-il. On vend ta gueule en tetes de pipe et en bouteilles de liqueur, et tous les ivrognes d'Alca rotent ton nom dans les ruisseaux.... Chatillon, heros des Pingouins! Chatillon defenseur de la gloire et de la puissance pingouines!... Qui l'eut dit? Qui l'eut cru? Et il riait d'un rire strident. Puis changeant de ton: --Blague a part, est-ce que tu n'es pas un peu surpris de ce qui t'arrive? --Mais non, repondait Chatillon. Et le loyal Volcanmoule sortait en faisant claquer les portes. Cependant, Chatillon avait loue, pour recevoir la vicomtesse Olive, un petit rez-de-chaussee au fond de la cour, au numero 18 de la rue Johannes-Talpa. Ils se voyaient tous les jours. Il l'aimait eperdument. En sa vie martiale et neptunienne, il avait possede des multitudes de femmes, rouges, noires, jaunes ou blanches, et quelques-unes fort belles; mais avant d'avoir connu celle-la, il ne savait pas ce que c'est qu'une femme. Quand la vicomtesse Olive l'appelait son ami, son doux ami, il se sentait au ciel, et il lui semblait que les etoiles se prenaient dans ses cheveux. Elle entrait, un peu en retard, posait son petit sac sur le gueridon et disait avec recueillement: --Laissez-moi me mettre la, a vos genoux. Et elle lui tenait des propos inspires par le pieux Agaric; et elle les entrecoupait de baisers et de soupirs. Elle lui demandait d'eloigner tel officier, de donner un commandement a tel autre, d'envoyer l'escadre ici ou la. Et elle s'ecriait a point: --Comme vous etes jeune, mon ami! Et il faisait tout ce qu'elle voulait, car il etait simple, car il avait envie de porter l'epee de connetable et de recevoir une riche dotation, car il ne lui deplaisait pas de jouer un double jeu, car il avait vaguement l'idee de sauver la Pingouinie, car il etait amoureux. Cette femme delicieuse l'amena a degarnir de troupes le port de La Crique, ou devait debarquer Crucho. On etait de la sorte assure que le prince entrerait sans obstacle en Pingouinie. Le pieux Agaric organisait des reunions publiques, afin d'entretenir l'agitation. Les dracophiles en donnaient chaque jour une ou deux ou trois dans un des trente-six districts d'Alca, et, de preference, dans les quartiers populaires. On voulait conquerir les gens de petit etat, qui sont le plus grand nombre. Il fut donne notamment, le quatre mai, une tres belle reunion dans la vieille halle aux grains, au coeur d'un faubourg populeux plein de menageres assises sur le pas des portes et d'enfants jouant dans les ruisseaux. Il etait venu la deux mille personnes, a l'estimation des republicains, et six mille au compte des dracophiles. On reconnaissait dans l'assistance la fleur de la societe pingouine, le prince et la princesse des Boscenos, le comte Clena, M. de la Trumelle, M. Bigourd et quelques riches dames israelites. Le generalissime de l'armee nationale etait venu en uniforme. Il fut acclame. CHAPITRE V. LE PRINCE DES BOSCENOS 76 L'ile Des Pingouins Le bureau se constitua laborieusement. Un homme du peuple, un ouvrier, mais qui pensait bien, M. Rauchin, secretaire des syndicats jaunes, fut appele a presider, entre le comte Clena et M. Michaud, garcon boucher. En plusieurs discours eloquents, le regime que la Pingouinie s'etait librement donne recut les noms d'egout et de depotoir. Le president Formose fut menage. Il ne fut question ni de Crucho ni des pretres. La reunion etait contradictoire; un defenseur de l'Etat moderne et de la republique, homme de profession manuelle, se presenta. --Messieurs, dit le president Rauchin, nous avons annonce que la reunion serait contradictoire. Nous n'avons qu'une parole; nous ne sommes pas comme nos contradicteurs, nous sommes honnetes. Je donne la parole au contradicteur. Dieu sait ce que vous allez entendre! Messieurs, je vous prie de contenir le plus longtemps qu'il vous sera possible l'expression de votre mepris, de votre degout et de votre indignation. --Messieurs, dit le contradicteur.... Aussitot il fut renverse, foule aux pieds par la foule indignee et ses restes meconnaissables jetes hors de la salle. Le tumulte grondait encore lorsque le comte Clena monta a la tribune. Aux huees succederent les acclamations et, quand le silence se fut retabli, l'orateur prononca ces paroles: --Camarades, nous allons voir si vous avez du sang dans les veines. Il s'agit d'egorger, d'etriper, de decerveler les chosards. Ce discours dechaina un tel tonnerre d'applaudissements que le vieux hangar en fut ebranle et qu'une epaisse poussiere, sortie des murs sordides et des poutres vermoulues, enveloppa l'assistance de ses acres et sombres nuees. On vota un ordre du jour fletrissant le gouvernement et acclamant Chatillon. Et les assistants sortirent en chantant l'hymne liberateur: "C'est Chatillon qu'il nous faut". La vieille halle n'avait pour issue qu'une longue allee boueuse, resserree entre des remises d'omnibus et des magasins de charbon. La nuit etait sans lune; une bruine froide tombait. Les gardes de police, assembles en grand nombre, fermaient l'allee au niveau du faubourg et obligeaient les dracophiles a s'ecouler par petits groupes. Telle etait en effet la consigne qu'ils avaient recue de leur chef, qui s'etudiait a rompre l'elan d'une foule en delire. Les dracophiles maintenus dans l'allee marquaient le pas en chantant: "C'est Chatillon qu'il nous faut". Bientot, impatients de ces lenteurs, dont ils ne connaissaient pas la cause, ils commencerent a pousser ceux qui se trouvaient devant eux. Ce mouvement, propage le long de l'allee, jetait les premiers sortis contre les larges poitrines des gardes de police. Ceux-ci n'avaient point de haine contre les dracophiles; dans le fond de leur coeur ils aimaient Chatillon; mais il est naturel de resister a l'agression et d'opposer la violence a la violence; les hommes forts sont portes a se servir de leur force. C'est pourquoi les gardes de police recevaient les dracophiles a grands coups de bottes ferrees. Il en resultait des refoulements brusques. Les menaces et les cris se melaient aux chants. --Assassins! Assassins!... "C'est Chatillon qu'il nous faut!" Assassins! Assassins! Et, dans la sombre allee: "Ne poussez pas," disaient les plus sages. Parmi ceux-la, dominant de sa haute taille la foule agitee, deployant parmi les membres foules et les cotes defoncees, ses larges epaules et ses poumons CHAPITRE V. LE PRINCE DES BOSCENOS 77
liberte

« Le bureau se constitua laborieusement.

Un homme du peuple, un ouvrier, mais qui pensait bien, M.

Rauchin, secretaire des syndicats jaunes, fut appele a presider, entre le comte Clena et M.

Michaud, garcon boucher. En plusieurs discours eloquents, le regime que la Pingouinie s'etait librement donne recut les noms d'egout et de depotoir.

Le president Formose fut menage.

Il ne fut question ni de Crucho ni des pretres. La reunion etait contradictoire; un defenseur de l'Etat moderne et de la republique, homme de profession manuelle, se presenta. —Messieurs, dit le president Rauchin, nous avons annonce que la reunion serait contradictoire.

Nous n'avons qu'une parole; nous ne sommes pas comme nos contradicteurs, nous sommes honnetes.

Je donne la parole au contradicteur.

Dieu sait ce que vous allez entendre! Messieurs, je vous prie de contenir le plus longtemps qu'il vous sera possible l'expression de votre mepris, de votre degout et de votre indignation. —Messieurs, dit le contradicteur.... Aussitot il fut renverse, foule aux pieds par la foule indignee et ses restes meconnaissables jetes hors de la salle. Le tumulte grondait encore lorsque le comte Clena monta a la tribune.

Aux huees succederent les acclamations et, quand le silence se fut retabli, l'orateur prononca ces paroles: —Camarades, nous allons voir si vous avez du sang dans les veines.

Il s'agit d'egorger, d'etriper, de decerveler les chosards. Ce discours dechaina un tel tonnerre d'applaudissements que le vieux hangar en fut ebranle et qu'une epaisse poussiere, sortie des murs sordides et des poutres vermoulues, enveloppa l'assistance de ses acres et sombres nuees. On vota un ordre du jour fletrissant le gouvernement et acclamant Chatillon.

Et les assistants sortirent en chantant l'hymne liberateur: “C'est Chatillon qu'il nous faut”. La vieille halle n'avait pour issue qu'une longue allee boueuse, resserree entre des remises d'omnibus et des magasins de charbon.

La nuit etait sans lune; une bruine froide tombait.

Les gardes de police, assembles en grand nombre, fermaient l'allee au niveau du faubourg et obligeaient les dracophiles a s'ecouler par petits groupes.

Telle etait en effet la consigne qu'ils avaient recue de leur chef, qui s'etudiait a rompre l'elan d'une foule en delire. Les dracophiles maintenus dans l'allee marquaient le pas en chantant: “C'est Chatillon qu'il nous faut”. Bientot, impatients de ces lenteurs, dont ils ne connaissaient pas la cause, ils commencerent a pousser ceux qui se trouvaient devant eux.

Ce mouvement, propage le long de l'allee, jetait les premiers sortis contre les larges poitrines des gardes de police.

Ceux-ci n'avaient point de haine contre les dracophiles; dans le fond de leur coeur ils aimaient Chatillon; mais il est naturel de resister a l'agression et d'opposer la violence a la violence; les hommes forts sont portes a se servir de leur force.

C'est pourquoi les gardes de police recevaient les dracophiles a grands coups de bottes ferrees.

Il en resultait des refoulements brusques.

Les menaces et les cris se melaient aux chants. —Assassins! Assassins!...

“C'est Chatillon qu'il nous faut!” Assassins! Assassins! Et, dans la sombre allee: “Ne poussez pas,” disaient les plus sages.

Parmi ceux-la, dominant de sa haute taille la foule agitee, deployant parmi les membres foules et les cotes defoncees, ses larges epaules et ses poumons L'ile Des Pingouins CHAPITRE V.

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