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L'ile Des Pingouins Or, tandis qu'un vent de colere et de

Publié le 11/04/2014

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L'ile Des Pingouins Or, tandis qu'un vent de colere et de haine soufflait dans Alca, Eugene Bidault-Coquille, le plus pauvre et le plus heureux des astronomes, installe sur une vieille pompe a feu du temps des Draconides, observait le ciel a travers une mauvaise lunette et enregistrait photographiquement sur des plaques avariees les passages d'etoiles filantes. Son genie corrigeait les erreurs des instruments et son amour de la science triomphait de la depravation des appareils. Il observait avec une inextinguible ardeur aerolithes, meteorites et bolides, tous les debris ardents, toutes les poussieres enflammees qui traversent d'une vitesse prodigieuse l'atmosphere terrestre, et recueillait, pour prix de ses veilles studieuses, l'indifference du public, l'ingratitude de l'Etat et l'animadversion des corps savants. Abime dans les espaces celestes, il ignorait les accidents advenus a la surface de la terre; il ne lisait jamais les journaux et tandis qu'il marchait par la ville, l'esprit occupe des asteroides de novembre, il se trouva plus d'une fois dans le bassin d'un jardin public ou sous les roues d'un autobus. Tres haut de taille et de pensee, il avait un respect de lui-meme et d'autrui qui se manifestait par une froide politesse ainsi que par une redingote noire tres mince et un chapeau de haute forme, dont sa personne se montrait emaciee et sublimee. Il prenait ses repas dans un petit restaurant deserte par tous les clients moins spiritualistes que lui, ou seule desormais sa serviette reposait, ceinte de son coulant de buis, au casier desole. En cette gargotte, un soir, le memoire de Colomban en faveur de Pyrot lui tomba sous les yeux; il le lut en cassant des noisettes creuses, et tout a coup, exalte d'etonnement d'admiration, d'horreur et de pitie, il oublia les chutes de meteores et les pluies d'etoiles et ne vit plus que l'innocent balance par les vents dans sa cage ou perchaient les corbeaux. Cette image ne le quittait plus. Il etait depuis huit jours sous l'obsession du condamne innocent quand, au sortir de sa gargotte, il vit une foule de citoyens s'engouffrer dans un bastringue ou se tenait une reunion publique. Il entra; la reunion etait contradictoire; on hurlait, on s'invectivait, on s'assommait dans la salle fumeuse. Les pyrots et les antipyrots parlaient, tour a tour acclames et conspues. Un enthousiasme obscur et confus soulevait les assistants. Avec l'audace des hommes timides et solitaires, Bidault-Coquille bondit sur l'estrade et parla trois quarts d'heure. Il parla tres vite, sans ordre, mais avec vehemence et dans toute la conviction d'un mathematicien mystique. Il fut acclame. Quand il descendit de l'estrade, une grande femme sans age, tout en rouge, portant a son immense chapeau des plumes heroiques, se jeta sur lui, a la fois ardente et solennelle, l'embrassa et lui dit: --Vous etes beau! Il pensa dans sa simplicite qu'il devait y avoir a cela quelque chose de vrai. Elle lui declara qu'elle ne vivait plus que pour la defense de Pyrot et dans le culte de Colomban. Il la trouva sublime et la crut belle. C'etait Maniflore, une vieille cocotte pauvre, oubliee, hors d'usage, et devenue tout a coup grande citoyenne. Elle ne le quitta plus. Ils vecurent ensemble des heures inimitables dans les caboulots et les garnis transfigures, dans les bureaux de redaction, dans les salles de reunions et de conferences. Comme il etait idealiste, il persistait a la croire adorable, bien qu'elle lui eut donne amplement l'occasion de s'apercevoir qu'elle ne conservait de charmes en nul endroit ni d'aucune maniere. Elle gardait seulement de sa beaute passee la certitude de plaire et une hautaine assurance a reclamer les hommages. Pourtant, il faut le reconnaitre, cette affaire Pyrot, feconde en prodiges, revetait Maniflore d'une sorte de majeste civique et la transformait, dans les reunions populaires, en un symbole auguste de la justice et de la verite. Chez aucun antipyrot, chez aucun defenseur de Greatauk, chez aucun ami du sabre, Bidault-Coquille et Maniflore n'inspiraient la moindre pointe d'ironie et de gaiete. Les dieux, dans leur colere, avaient refuse a ces hommes le don precieux du sourire. Ils accusaient gravement la courtisane et l'astronome d'espionnage, de trahison, de complot contre la patrie. Bidault-Coquille et Maniflore grandissaient a vue d'oeil sous l'injure, CHAPITRE VII. BIDAULT-COQUILLE ET MANIFLORE 96 L'ile Des Pingouins l'outrage et la calomnie. La Pingouinie etait, depuis de longs mois, partagee en deux camps, et, ce qui peut paraitre etrange au premier abord, les socialistes n'avaient pas encore pris parti. Leurs groupements comprenaient presque tout ce que le pays comptait de travailleurs manuels, force eparse, confuse, rompue, brisee, mais formidable. L'affaire Pyrot jeta les principaux chefs de groupes dans un singulier embarras: ils n'avaient pas plus envie de se mettre du cote des financiers que du cote des militaires. Ils regardaient les grands et les petits juifs comme des adversaires irreductibles. Leurs principes n'etaient point en jeu, leurs interets n'etaient point engages dans cette affaire. Cependant, ils sentaient, pour la plupart, combien il devenait difficile de demeurer etranger a des luttes ou la Pingouinie se jetait tout entiere. Les principaux d'entre eux se reunirent au siege de leur federation, rue de la Queue-du-diable-Saint Mael, pour aviser a la conduite qu'il leur conviendrait de tenir dans les conjonctures presentes et les eventualites futures. Le compagnon Phoenix prit le premier la parole: --Un crime, dit-il, le plus odieux et le plus lache des crimes, un crime judiciaire a ete commis. Des juges militaires, contraints ou trompes par leurs chefs hierarchiques, ont condamne un innocent a une peine infamante et cruelle. Ne dites pas que la victime n'est pas des notres; qu'elle appartient a une caste qui nous fut et nous sera toujours ennemie. Notre parti est le parti de la justice sociale; il n'est pas d'iniquite qui lui soit indifferente. "Quelle honte pour nous si nous laissions un radical, Kerdanic, un bourgeois, Colomban, et quelques republicains moderes poursuivre seuls les crimes du sabre. Si la victime n'est pas des notres, ses bourreaux sont bien les bourreaux de nos freres et Greatauk, avant de frapper un militaire, a fait fusiller nos camarades grevistes. "Compagnons, par un grand effort intellectuel, moral et materiel, vous arracherez Pyrot au supplice; et, en accomplissant cet acte genereux, vous ne vous detournerez pas de la tache liberatrice et revolutionnaire que vous avez assumee, car Pyrot est devenu le symbole de l'opprime et toutes les iniquites sociales se tiennent; en en detruisant une, on ebranle toutes les autres. Quand Phoenix eut acheve, le compagnon Sapor parla en ces termes: --On vous conseille d'abandonner votre tache pour accomplir une besogne qui ne vous concerne pas. Pourquoi vous jeter dans une melee ou, de quelque cote que vous vous portiez, vous ne trouverez que des adversaires naturels, irreductibles, necessaires? Les financiers ne vous sont-ils pas moins haissables que les militaires? Quelle caisse allez- vous sauver: celle des Bilboquet de la Banque ou celle des Paillasse de la Revanche? Quelle inepte et criminelle generosite vous ferait voler au secours des sept cents pyrots que vous trouverez toujours en face de vous dans la guerre sociale? "On vous propose de faire la police chez vos ennemis et de retablir parmi eux l'ordre que leurs crimes ont trouble. La magnanimite poussee a ce point change de nom. "Camarades, il y a un degre ou l'infamie devient mortelle pour une societe; la bourgeoisie pingouine etouffe dans son infamie, et l'on vous demande de la sauver, de rendre l'air respirable autour d'elle. C'est se moquer de vous. "Laissons-la crever, et regardons avec un degout plein de joie ses dernieres convulsions, en regrettant seulement qu'elle ait si profondement corrompu le sol ou elle a bati, que nous n'y trouverons qu'une boue CHAPITRE VII. BIDAULT-COQUILLE ET MANIFLORE 97

« l'outrage et la calomnie. La Pingouinie etait, depuis de longs mois, partagee en deux camps, et, ce qui peut paraitre etrange au premier abord, les socialistes n'avaient pas encore pris parti.

Leurs groupements comprenaient presque tout ce que le pays comptait de travailleurs manuels, force eparse, confuse, rompue, brisee, mais formidable.

L'affaire Pyrot jeta les principaux chefs de groupes dans un singulier embarras: ils n'avaient pas plus envie de se mettre du cote des financiers que du cote des militaires.

Ils regardaient les grands et les petits juifs comme des adversaires irreductibles.

Leurs principes n'etaient point en jeu, leurs interets n'etaient point engages dans cette affaire.

Cependant, ils sentaient, pour la plupart, combien il devenait difficile de demeurer etranger a des luttes ou la Pingouinie se jetait tout entiere. Les principaux d'entre eux se reunirent au siege de leur federation, rue de la Queue-du-diable-Saint Mael, pour aviser a la conduite qu'il leur conviendrait de tenir dans les conjonctures presentes et les eventualites futures. Le compagnon Phoenix prit le premier la parole: —Un crime, dit-il, le plus odieux et le plus lache des crimes, un crime judiciaire a ete commis.

Des juges militaires, contraints ou trompes par leurs chefs hierarchiques, ont condamne un innocent a une peine infamante et cruelle.

Ne dites pas que la victime n'est pas des notres; qu'elle appartient a une caste qui nous fut et nous sera toujours ennemie.

Notre parti est le parti de la justice sociale; il n'est pas d'iniquite qui lui soit indifferente. “Quelle honte pour nous si nous laissions un radical, Kerdanic, un bourgeois, Colomban, et quelques republicains moderes poursuivre seuls les crimes du sabre.

Si la victime n'est pas des notres, ses bourreaux sont bien les bourreaux de nos freres et Greatauk, avant de frapper un militaire, a fait fusiller nos camarades grevistes. “Compagnons, par un grand effort intellectuel, moral et materiel, vous arracherez Pyrot au supplice; et, en accomplissant cet acte genereux, vous ne vous detournerez pas de la tache liberatrice et revolutionnaire que vous avez assumee, car Pyrot est devenu le symbole de l'opprime et toutes les iniquites sociales se tiennent; en en detruisant une, on ebranle toutes les autres. Quand Phoenix eut acheve, le compagnon Sapor parla en ces termes: —On vous conseille d'abandonner votre tache pour accomplir une besogne qui ne vous concerne pas. Pourquoi vous jeter dans une melee ou, de quelque cote que vous vous portiez, vous ne trouverez que des adversaires naturels, irreductibles, necessaires? Les financiers ne vous sont-ils pas moins haissables que les militaires? Quelle caisse allez- vous sauver: celle des Bilboquet de la Banque ou celle des Paillasse de la Revanche? Quelle inepte et criminelle generosite vous ferait voler au secours des sept cents pyrots que vous trouverez toujours en face de vous dans la guerre sociale? “On vous propose de faire la police chez vos ennemis et de retablir parmi eux l'ordre que leurs crimes ont trouble.

La magnanimite poussee a ce point change de nom. “Camarades, il y a un degre ou l'infamie devient mortelle pour une societe; la bourgeoisie pingouine etouffe dans son infamie, et l'on vous demande de la sauver, de rendre l'air respirable autour d'elle.

C'est se moquer de vous. “Laissons-la crever, et regardons avec un degout plein de joie ses dernieres convulsions, en regrettant seulement qu'elle ait si profondement corrompu le sol ou elle a bati, que nous n'y trouverons qu'une boue L'ile Des Pingouins CHAPITRE VII.

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