Devoir de Philosophie

L'ile Des Pingouins cruellement frappee au temps de l'emiral Chatillon, se relevait de ses ruines.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

temps
L'ile Des Pingouins cruellement frappee au temps de l'emiral Chatillon, se relevait de ses ruines. On entendait les trains de marchandises rouler a travers les bois et l'on voyait sous les hangars des centaines d'orphelins bleus envelopper des bouteilles et clouer des caisses. Agaric trouva le venerable Cornemuse devant ses fourneaux, au milieu des cornues. Les prunelles glissantes du vieillard avaient retrouve l'eclat du rubis; le poli de son crane etait redevenu suave et precieux. Agaric felicita d'abord le pieux distillateur de l'activite qui renaissait dans ses laboratoires et dans ses ateliers. --Les affaires reprennent. J'en rends graces a Dieu, repondit le vieillard des Conis. Helas! elles etaient bien tombees, frere Agaric, Vous avez vu la desolation de cet etablissement. Je n'en dis pas davantage. Agaric detourna la tete. --La liqueur de Sainte-Orberose, poursuivit Cornemuse, triomphe de nouveau. Mon industrie n'en demeure pas moins incertaine et precaire. Les lois de ruine et de desolation qui l'ont frappee ne sont point abrogees: elles ne sont que suspendues.... Et le religieux, des Conils leva vers le ciel ses prunelles de rubis. Agaric lui mit la main sur l'epaule: --Quel spectacle, Cornemuse, nous offre la malheureuse Pingouinie! Partout la desobeissance, l'independance, la liberte! Nous voyons se lever les orgueilleux, les superbes, les hommes de revolte. Apres avoir brave les lois divines, ils se dressent contre les lois humaines, tant il est vrai que, pour etre un bon citoyen, il faut etre un bon chretien. Colomban tache a imiter Satan. De nombreux criminels suivent son funeste exemple; ils veulent, dans leur rage, briser tous les freins, rompre tous les jougs, s'affranchir des liens les plus sacres, echapper aux contraintes les plus salutaires. Ils frappent leur patrie pour s'en faire obeir. Mais ils succomberont sous l'animadversion, la vituperation, l'indignation, la fureur, l'execration et l'abomination publiques. Voila l'abime ou les a conduits l'atheisme, la libre pensee, le libre examen, la pretention monstrueuse de juger par eux-memes, d'avoir une opinion propre. --Sans doute, sans doute, repliqua le pere Cornemuse en secouant la tete; mais-je vous avoue que le soin de distiller des simples m'a detourne de suivre les affaires publiques. Je sais seulement qu'on parle beaucoup d'un certain Pyrot. Les uns soutiennent qu'il est coupable, les autres affirment qu'il est innocent, et je ne saisis pas bien les motifs qui poussent les uns et les autres a s'occuper d'une affaire qui ne les regarde pas. Le pieux Agaric demanda vivement: --Vous ne doutez pas du crime de Pyrot? --Je n'en puis douter, tres cher Agaric, repondit le religieux des Conils; ce serait contraire aux lois de mon pays, qu'il faut respecter tant qu'elles ne sont pas en opposition avec les lois divines. Pyrot est coupable puisqu'il est condamne. Quant a en dire davantage pour ou contre sa culpabilite, ce serait substituer mon autorite a celle des juges, et je me garderai bien de le faire. C'est d'ailleurs inutile, puisque Pyrot est condamne. S'il n'est pas condamne parce qu'il est coupable, il est coupable parce qu'il est condamne; cela revient au meme. Je crois a sa culpabilite comme tout bon citoyen doit y croire; et j'y croirai tant que la justice etablie m'ordonnera d'y croire, car il n'appartient pas a un particulier, mais au juge, de proclamer l'innocence d'un condamne. La justice humaine est respectable jusque dans les erreurs inherentes a sa nature faillible et bornee. Ces erreurs ne sont jamais irreparables; si les juges ne les reparent pas sur la terre, Dieu les reparera dans le ciel. D'ailleurs j'ai grande confiance en ce general Greatauk, qui me semble plus intelligent, sans en CHAPITRE V. LES REVERENDS PERES AGARIC ET CORNEMUSE 92 L'ile Des Pingouins avoir l'air, que tous ceux qui l'attaquent. --Bien cher Cornemuse, s'ecria le pieux Agaric, l'affaire Pyrot, poussee au point ou nous saurons la conduire avec le secours de Dieu et les fonds necessaires, produira les plus grands biens. Elle mettra a nu les vices de la republique anti-chretienne et disposera les Pingouins a restaurer le trone des Draconides et les prerogatives de l'Eglise. Mais il faut pour cela que le peuple voie ses levites au premier rang de ses defenseurs. Marchons contre les ennemis de l'armee, contre les insulteurs des heros, et tout le monde nous suivra. --Tout le monde, ce sera trop, murmura en hochant la tete le religieux des Conils. Je vois que les Pingouins ont envie de se quereller. Si nous nous melons de leur querelle, ils se reconcilieront a nos depens et nous payerons les frais de la guerre. C'est pourquoi, si vous m'en croyez, tres cher Agaric, vous n'engagerez pas l'Eglise dans cette aventure. --Vous connaissez mon energie; vous connaitrez ma prudence. Je ne compromettrai rien.... Bien cher Cornemuse, je ne veux tenir que de vous les fonds necessaires a notre entree en campagne. Longtemps Cornemuse refusa de faire les frais d'une entreprise qu'il jugeait funeste. Agaric fut tour a tour pathetique et terrible. Enfin, cedant aux prieres, aux menaces, Cornemuse, a pas trainants et la tete penchee, gagna son austere cellule ou tout decelait la pauvrete evangelique. Au mur blanchi a la chaux, sous un rameau de buis benit, un coffre-fort etait scelle. Il l'ouvrit en soupirant et en tira une petite liasse de valeurs que, d'un bras raccourci et d'une main hesitante, il tendit au pieux Agaric. --N'en doutez pas, tres cher Cornemuse, dit celui-ci, en plongeant les papiers dans la poche de sa douillette, cette affaire Pyrot nous a ete envoyee par Dieu pour la gloire et l'exaltation de l'Eglise de Pingouinie. --Puissiez-vous avoir raison! soupira le religieux des Conils. Et, reste seul dans son laboratoire, il contempla, de ses yeux exquis, avec une tristesse ineffable, ses fourneaux et ses cornues. CHAPITRE VI. LES SEPT CENTS PYROTS Les sept cents pyrots inspiraient au public une aversion croissante. Chaque jour, dans les rues d'Alca, on en assommait deux ou trois; l'un d'eux fut fesse publiquement, um autre jete dans la riviere; un troisieme, enduit de goudron, roule dans des plumes et promene sur les boulevards a travers une foule hilare; un quatrieme eut le nez coupe par un capitaine de dragons. Ils n'osaient plus se montrer a leur cercle, au tennis, aux courses; ils se dissimulaient pour aller a la Bourse. Dans ces circonstances il parut urgent au prince des Boscenos de refrener leur audace et de reprimer leur insolence. S'etant, a cet effet, reuni au comte Clena, a M. de la Trumelle, au vicomte Olive, a M. Bigourd, il fonda avec eux la grande association des antipyrots a laquelle les citoyens par centaines de mille, les soldats par compagnies, par regiments, par brigades, par divisions, par corps d'armee, les villes, les districts, les provinces, apporterent leur adhesion. Environ ce temps, le ministre de la guerre, se rendant aupres de son chef d'etat-major, vit avec surprise que la vaste piece ou travaillait le general Panther, naguere encore toute nue, portait maintenant sur chaque face, depuis le plancher jusqu'au plafond, en de profonds casiers, un triple et quadruple rang de dossiers de tout format et de toutes couleurs, archives soudaines et monstrueuses, ayant atteint en quelques jours la croissance des chartriers seculaires. --Qu'est-ce que cela? demanda le ministre etonne CHAPITRE VI. LES SEPT CENTS PYROTS 93
temps

« avoir l'air, que tous ceux qui l'attaquent. —Bien cher Cornemuse, s'ecria le pieux Agaric, l'affaire Pyrot, poussee au point ou nous saurons la conduire avec le secours de Dieu et les fonds necessaires, produira les plus grands biens.

Elle mettra a nu les vices de la republique anti-chretienne et disposera les Pingouins a restaurer le trone des Draconides et les prerogatives de l'Eglise.

Mais il faut pour cela que le peuple voie ses levites au premier rang de ses defenseurs.

Marchons contre les ennemis de l'armee, contre les insulteurs des heros, et tout le monde nous suivra. —Tout le monde, ce sera trop, murmura en hochant la tete le religieux des Conils.

Je vois que les Pingouins ont envie de se quereller.

Si nous nous melons de leur querelle, ils se reconcilieront a nos depens et nous payerons les frais de la guerre.

C'est pourquoi, si vous m'en croyez, tres cher Agaric, vous n'engagerez pas l'Eglise dans cette aventure. —Vous connaissez mon energie; vous connaitrez ma prudence.

Je ne compromettrai rien....

Bien cher Cornemuse, je ne veux tenir que de vous les fonds necessaires a notre entree en campagne. Longtemps Cornemuse refusa de faire les frais d'une entreprise qu'il jugeait funeste.

Agaric fut tour a tour pathetique et terrible.

Enfin, cedant aux prieres, aux menaces, Cornemuse, a pas trainants et la tete penchee, gagna son austere cellule ou tout decelait la pauvrete evangelique.

Au mur blanchi a la chaux, sous un rameau de buis benit, un coffre-fort etait scelle.

Il l'ouvrit en soupirant et en tira une petite liasse de valeurs que, d'un bras raccourci et d'une main hesitante, il tendit au pieux Agaric. —N'en doutez pas, tres cher Cornemuse, dit celui-ci, en plongeant les papiers dans la poche de sa douillette, cette affaire Pyrot nous a ete envoyee par Dieu pour la gloire et l'exaltation de l'Eglise de Pingouinie. —Puissiez-vous avoir raison! soupira le religieux des Conils. Et, reste seul dans son laboratoire, il contempla, de ses yeux exquis, avec une tristesse ineffable, ses fourneaux et ses cornues. CHAPITRE VI.

LES SEPT CENTS PYROTS Les sept cents pyrots inspiraient au public une aversion croissante.

Chaque jour, dans les rues d'Alca, on en assommait deux ou trois; l'un d'eux fut fesse publiquement, um autre jete dans la riviere; un troisieme, enduit de goudron, roule dans des plumes et promene sur les boulevards a travers une foule hilare; un quatrieme eut le nez coupe par un capitaine de dragons.

Ils n'osaient plus se montrer a leur cercle, au tennis, aux courses; ils se dissimulaient pour aller a la Bourse.

Dans ces circonstances il parut urgent au prince des Boscenos de refrener leur audace et de reprimer leur insolence.

S'etant, a cet effet, reuni au comte Clena, a M.

de la Trumelle, au vicomte Olive, a M.

Bigourd, il fonda avec eux la grande association des antipyrots a laquelle les citoyens par centaines de mille, les soldats par compagnies, par regiments, par brigades, par divisions, par corps d'armee, les villes, les districts, les provinces, apporterent leur adhesion. Environ ce temps, le ministre de la guerre, se rendant aupres de son chef d'etat-major, vit avec surprise que la vaste piece ou travaillait le general Panther, naguere encore toute nue, portait maintenant sur chaque face, depuis le plancher jusqu'au plafond, en de profonds casiers, un triple et quadruple rang de dossiers de tout format et de toutes couleurs, archives soudaines et monstrueuses, ayant atteint en quelques jours la croissance des chartriers seculaires. —Qu'est-ce que cela? demanda le ministre etonne L'ile Des Pingouins CHAPITRE VI.

LES SEPT CENTS PYROTS 93. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles