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L'ile Des Pingouins --Non, mon general.

Publié le 11/04/2014

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L'ile Des Pingouins --Non, mon general. --Il avouera: il le doit. Panther, il faut l'y resoudre; dites-lui que c'est son interet. Promettez-lui que, s'il avoue, il obtiendra des faveurs, une reduction de peine, sa grace; promettez-lui que, s'il avoue, on reconnaitra son innocence; on le decorera. Faites appel a ses bons sentiments. Qu'il avoue par patriotisme, pour le drapeau, par ordre, par respect de la hierarchie, sur commandement special du ministre de la guerre, militairement.... Mais dites-moi, Panther, est-ce qu'il n'a pas deja avoue? Il y a des aveux tacites; le silence est un aveu. --Mais, mon general, il ne se tait pas; il crie comme un putois qu'il est innocent. --Panther, les aveux d'un coupable resultent parfois de la vehemence de ses denegations. Nier desesperement c'est avouer. Pyrot a avoue; il nous faut des temoins de ses aveux, la justice l'exige. Il y avait dans la Pingouinie occidentale un port de mer nomme La Crique, forme de trois petites anses, autrefois frequentees des navires, maintenant ensablees et desertes; des lagunes recouvertes de moisissures s'etendaient tout le long des cotes basses, exhalant une odeur empestee, et la fievre planait sur le sommeil des eaux. La, s'elevait au bord de la mer une haute tour carree, semblable a l'ancien Campanile de Venise, au flanc de laquelle, pres du laite, au bout d'une chaine attachee a une poutre transversale, pendait une cage a claire voie dans laquelle, au temps des Draconides, les inquisiteurs d'Alca mettaient les clercs heretiques. Dans cette cage, vide depuis trois cents ans, Pyrot fut enferme, sous la garde de soixante argousins qui, loges dans la tour, ne le perdaient de vue ni jour ni nuit, epiant ses aveux, pour en faire, a tour de role, un rapport au ministre de la guerre, car, scrupuleux et prudent, Greatauk voulait des aveux et des suraveux. Greatauk, qui passait pour un imbecile, etait, en realite, plein de sagesse et d'une rare prevoyance. Cependant Pyrot, brule du soleil, devore de moustiques, trempe de pluie, de grele et de neige, glace de froid, secoue furieusement par la tempete, obsede par les croassements sinistres des corbeaux perches sur sa cage, ecrivait son innocence sur des morceaux de sa chemise avec un cure-dents trempe de sang. Ces chiffons se perdaient dans la mer ou tombaient aux mains des geoliers. Quelques-uns pourtant furent mis sous les yeux du public. Mais les protestations de Pyrot ne touchaient personne, puisqu'on avait publie ses aveux. CHAPITRE III. LE COMTE DE MAUBEC DE LA DENTDULYNX Les moeurs des petits juifs n'etaient pas toujours pures; le plus souvent, ils ne se refusaient a aucun des vices de la civilisation chretienne, mais ils gardaient de l'age patriarcal la reconnaissance des liens de famille et l'attachement aux interets de la tribu. Les freres, demi-freres, oncles, grands-oncles, cousins et petits-cousins, neveux et petits-neveux, agnats et cognats de Pyrot, au nombre de sept cents, d'abord accables du coup qui frappait un des leurs, s'enfermerent dans leurs maisons, se couvrirent de cendre et, benissant la main qui les chatiait, durant quarante jours garderent un jeune austere. Puis ils prirent un bain et resolurent de poursuivre, sans repos, au prix de toutes les fatigues, a travers tous les dangers, la demonstration d'une innocence dont ils ne doutaient pas. Et comment en eussent-ils doute? L'innocence de Pyrot leur etait revelee comme etait revele son crime a la Pingouinie chretienne; car ces choses, etant cachees, revetaient un caractere mystique et prenaient l'autorite des verites religieuses. Les sept cents pyrots se mirent a l'oeuvre avec autant de zele que de prudence et firent secretement des recherches approfondies. Ils etaient partout; on ne les voyait nulle part; on eut dit que, comme le pilote d'Ulysse, ils cheminaient librement sous terre. Ils penetrerent dans les bureaux de la guerre, approcherent, sous des deguisements, les juges, les greffiers, les temoins de l'affaire. C'est alors que parut la sagesse de Greatauk: les temoins ne savaient rien, les juges, les greffiers ne savaient rien. Des emissaires parvinrent jusqu'a Pyrot et l'interrogerent anxieusement dans sa cage, aux longs bruits de la mer et sous les croassements rauques des corbeaux. Ce fut en vain: le condamne ne savait rien. Les sept cents pyrots ne pouvaient detruire les preuves de l'accusation, parce qu'ils ne pouvaient les connaitre et ils ne pouvaient les connaitre parce qu'il n'y en avait pas. La culpabilite de Pyrot etait indestructible par son neant CHAPITRE III. LE COMTE DE MAUBEC DE LA DENTDULYNX 88 L'ile Des Pingouins meme. Et c'est avec un legitime orgueil que Greatauk, s'exprimant en veritable artiste, dit un jour au general Panther: "Ce proces est un chef-d'oeuvre: il est fait de rien". Les sept cents pyrots desesperaient d'eclaircir jamais cette tenebreuse affaire quand tout a coup ils decouvrirent, par une lettre volee, que les quatre-vingt mille bottes de foin n'avaient jamais existe, qu'un gentilhomme des plus distingues, le comte de Maubec, les avait vendues a l'Etat, qu'il en avait recu le prix, mais qu'il ne les avait jamais livrees, attendu que, issu des plus riches proprietaires fonciers de l'ancienne Pingouinie, heritier des Maubec de la Dentdulynx, jadis possesseurs de quatre duches, de soixante comtes, de six cent douze marquisats, baronnies et vidamies, il ne possedait pas de terres la largeur de la main et qu'il aurait ete bien incapable de couper seulement une fauchee de fourrage sur ses domaines. Quant a se faire livrer un fetu d'un proprietaire ou de quelque marchand, c'est ce qui lui eut ete tout a fait impossible, car tout le monde, excepte les ministres de l'Etat et les fonctionnaires du gouvernement, savait qu'il etait plus facile de tirer de l'huile d'un caillou qu'un centime de Maubec. Les sept cents pyrots ayant procede a une enquete minutieuse sur les ressources financieres du comte de Maubec de la Dentdulynx, constaterent que ce gentilhomme tenait ses principales ressources d'une maison ou des dames genereuses donnaient a tout venant deux jambons pour une andouille. Ils le denoncerent publiquement comme coupable du vol des quatre-vingt mille bottes de foin pour lequel un innocent avait ete condamne et mis en cage. Maubec etait d'une illustre famille, alliee aux Draconides. Il n'y a rien que les democraties estiment plus que la noblesse de naissance. Maubec avait servi dans l'armee pingouine et les Pingouins, depuis qu'ils etaient tous soldats, aimaient leur armee jusqu'a l'idolatrie. Maubec avait, sur les champs de bataille, recu la croix, qui est le signe de l'honneur chez les Pingouins, et qu'ils preferent meme au lit de leurs epouses. Toute la Pingouinie se declara pour Maubec et la voix du peuple, qui commencait a gronder, reclama des chatiments severes contre les septs cents pyrots calomniateurs. Maubec etait gentilhomme: il defia les sept cents pyrots a l'epee, au sabre, au pistolet, a la carabine, au baton. "Sales youpins, leur ecrivit-il dans une lettre fameuse, vous avez crucifie mon Dieu et vous voulez ma peau; je vous previens que je ne serai pas aussi couillon que lui et que je vous couperai les quatorze cents oreilles. Recevez mon pied dans vos sept cents derrieres." Le chef du gouvernement etait alors un villageois nomme Robin Mielleux, homme doux aux riches et aux puissants et dur aux pauvres gens, de petit courage et ne connaissant que son interet. Par une declaration publique, il se porta garant de l'innocence et de l'honneur de Maubec et defera les sept cents pyrots aux tribunaux correctionnels, qui les condamnerent, comme diffamateurs, a des peines afflictives, a d'enormes amendes et a tous les dommages et interets que reclamait leur innocente victime. Il semblait que Pyrot dut rester a jamais enferme dans sa cage ou se perchaient les corbeaux. Cependant tous les Pingouins voulant savoir et prouver que ce juif etait coupable, les preuves qu'on en donnait n'etaient pas toutes bonnes et il y en avait de contradictoires. Les officiers de l'etat-major montraient du zele et certains manquaient de prudence. Tandis que Greatauk gardait un admirable silence, le general Panther se repandait en intarissables discours et demontrait tous les matins, dans les journaux, la culpabilite du condamne. Il aurait peut-etre mieux fait de n'en rien dire: elle etait evidente; l'evidence ne se demontre pas. Tant de raisonnements troublaient les esprits; la foi, toujours vive, devenait moins sereine. Plus on apportait de preuves a la foule, plus elle en demandait. Toutefois le danger de trop prouver n'eut pas ete grand s'il ne s'etait trouve en Pingouinie, comme il s'en trouve partout ailleurs, des esprits formes au libre examen, capables d'etudier une question difficile, et enclins au doute philosophique. Il y en avait peu; ils n'etaient pas tous disposes a parler; le public n'etait nullement prepare a les entendre. Pourtant ils ne devaient pas rencontrer que des sourds. Les grands juifs, tous les milliardaires israelites d'Alca, quand on leur parlait de Pyrot, disaient: "Nous ne connaissons point cet CHAPITRE III. LE COMTE DE MAUBEC DE LA DENTDULYNX 89

« meme.

Et c'est avec un legitime orgueil que Greatauk, s'exprimant en veritable artiste, dit un jour au general Panther: “Ce proces est un chef-d'oeuvre: il est fait de rien”.

Les sept cents pyrots desesperaient d'eclaircir jamais cette tenebreuse affaire quand tout a coup ils decouvrirent, par une lettre volee, que les quatre-vingt mille bottes de foin n'avaient jamais existe, qu'un gentilhomme des plus distingues, le comte de Maubec, les avait vendues a l'Etat, qu'il en avait recu le prix, mais qu'il ne les avait jamais livrees, attendu que, issu des plus riches proprietaires fonciers de l'ancienne Pingouinie, heritier des Maubec de la Dentdulynx, jadis possesseurs de quatre duches, de soixante comtes, de six cent douze marquisats, baronnies et vidamies, il ne possedait pas de terres la largeur de la main et qu'il aurait ete bien incapable de couper seulement une fauchee de fourrage sur ses domaines.

Quant a se faire livrer un fetu d'un proprietaire ou de quelque marchand, c'est ce qui lui eut ete tout a fait impossible, car tout le monde, excepte les ministres de l'Etat et les fonctionnaires du gouvernement, savait qu'il etait plus facile de tirer de l'huile d'un caillou qu'un centime de Maubec. Les sept cents pyrots ayant procede a une enquete minutieuse sur les ressources financieres du comte de Maubec de la Dentdulynx, constaterent que ce gentilhomme tenait ses principales ressources d'une maison ou des dames genereuses donnaient a tout venant deux jambons pour une andouille.

Ils le denoncerent publiquement comme coupable du vol des quatre-vingt mille bottes de foin pour lequel un innocent avait ete condamne et mis en cage. Maubec etait d'une illustre famille, alliee aux Draconides.

Il n'y a rien que les democraties estiment plus que la noblesse de naissance.

Maubec avait servi dans l'armee pingouine et les Pingouins, depuis qu'ils etaient tous soldats, aimaient leur armee jusqu'a l'idolatrie.

Maubec avait, sur les champs de bataille, recu la croix, qui est le signe de l'honneur chez les Pingouins, et qu'ils preferent meme au lit de leurs epouses.

Toute la Pingouinie se declara pour Maubec et la voix du peuple, qui commencait a gronder, reclama des chatiments severes contre les septs cents pyrots calomniateurs. Maubec etait gentilhomme: il defia les sept cents pyrots a l'epee, au sabre, au pistolet, a la carabine, au baton. “Sales youpins, leur ecrivit-il dans une lettre fameuse, vous avez crucifie mon Dieu et vous voulez ma peau; je vous previens que je ne serai pas aussi couillon que lui et que je vous couperai les quatorze cents oreilles. Recevez mon pied dans vos sept cents derrieres.” Le chef du gouvernement etait alors un villageois nomme Robin Mielleux, homme doux aux riches et aux puissants et dur aux pauvres gens, de petit courage et ne connaissant que son interet.

Par une declaration publique, il se porta garant de l'innocence et de l'honneur de Maubec et defera les sept cents pyrots aux tribunaux correctionnels, qui les condamnerent, comme diffamateurs, a des peines afflictives, a d'enormes amendes et a tous les dommages et interets que reclamait leur innocente victime. Il semblait que Pyrot dut rester a jamais enferme dans sa cage ou se perchaient les corbeaux.

Cependant tous les Pingouins voulant savoir et prouver que ce juif etait coupable, les preuves qu'on en donnait n'etaient pas toutes bonnes et il y en avait de contradictoires.

Les officiers de l'etat-major montraient du zele et certains manquaient de prudence.

Tandis que Greatauk gardait un admirable silence, le general Panther se repandait en intarissables discours et demontrait tous les matins, dans les journaux, la culpabilite du condamne.

Il aurait peut-etre mieux fait de n'en rien dire: elle etait evidente; l'evidence ne se demontre pas.

Tant de raisonnements troublaient les esprits; la foi, toujours vive, devenait moins sereine.

Plus on apportait de preuves a la foule, plus elle en demandait. Toutefois le danger de trop prouver n'eut pas ete grand s'il ne s'etait trouve en Pingouinie, comme il s'en trouve partout ailleurs, des esprits formes au libre examen, capables d'etudier une question difficile, et enclins au doute philosophique.

Il y en avait peu; ils n'etaient pas tous disposes a parler; le public n'etait nullement prepare a les entendre.

Pourtant ils ne devaient pas rencontrer que des sourds.

Les grands juifs, tous les milliardaires israelites d'Alca, quand on leur parlait de Pyrot, disaient: “Nous ne connaissons point cet L'ile Des Pingouins CHAPITRE III.

LE COMTE DE MAUBEC DE LA DENTDULYNX 89. »

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