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L'ile Des Pingouins robustes, doux, inebranlable, placide, se dressait dans les tenebres le prince des Boscenos.

Publié le 11/04/2014

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L'ile Des Pingouins robustes, doux, inebranlable, placide, se dressait dans les tenebres le prince des Boscenos. Il attendait, indulgent et serein. Cependant, la sortie s'operant par intervalles reguliers entre les rangs des gardes de police, les coudes, autour du prince, commencaient a s'imprimer moins profondement dans les poitrines; on se reprenait a respirer. --Vous voyez bien que nous finirons par sortir, dit ce bon geant avec un doux sourire. Patience et longueur de temps.... Il tira un cigare de son etui, le porta a ses levres et frotta une allumette. Soudain il vit a la clarte de la flamme la princesse Anne, sa femme, pamee dans les bras du comte Clena. A cette vue, il se precipita sur eux et les frappa a grands coups de canne, eux et les personnes qui se trouvaient alentour. On le desarma, non sans peine. Mais on ne put le separer de son adversaire. Et, tandis que la princesse evanouie passait, de bras en bras, sur la foule emue et curieuse, jusqu'a sa voiture, les deux hommes se livraient a une lutte acharnee. Le prince des Boscenos y perdit son chapeau, son lorgnon, son cigare, sa cravate, son portefeuille bourre de lettres intimes et de correspondances politiques; il y perdit jusqu'aux medailles miraculeuses qu'il avait recues du bon pere Cornemuse. Mais il assena dans le ventre de son adversaire un coup si formidable, que le malheureux en traversa un grillage de fer et passa, la tete la premiere, par une porte vitree, dans un magasin de charbon. Attires par le bruit de la lutte et les clameurs des assistants, les gardes de police se precipiterent sur le prince, qui leur opposa une furieuse resistance. Il en etala trois pantelants a ses pieds, en fit fuir sept autres, la machoire fracassee, la levre fendue, le nez versant des flots vermeils, le crane ouvert, l'oreille decollee, la clavicule demise, les cotes defoncees. Il tomba pourtant, et fut traine sanglant, defigure, ses vetements en lambeaux, au poste voisin, ou il passa la nuit, bondissant et rugissant. Jusqu'au jour, des groupes de manifestants parcoururent la ville en chantant: "C'est Chatillon qu'il nous faut", et en brisant les vitres des maisons habitees par les ministres de la chose publique. CHAPITRE VI. LA CHUTE DE L'EMIRAL Cette nuit marqua l'apogee du mouvement dracophile. Les monarchistes ne doutaient plus du triomphe. Les principaux d'entre eux envoyaient au prince Crucho des felicitations par telegraphe sans fil. Les dames lui brodaient des echarpes et des pantoufles. M. de Plume avait trouve le cheval vert. Le pieux Agaric partageait la commune esperance. Toutefois, il travaillait encore a faire des partisans au pretendant. --Il faut, disait-il, atteindre les couches profondes. Dans ce dessein, il s'aboucha avec trois syndicats ouvriers. En ce temps-la, les artisans ne vivaient plus, comme au temps des Draconides, sous le regime des corporations. Ils eiaient libres, mais ils n'avaient pas de gain assure. Apres s'etre longtemps tenus isoles les uns des autres, sans aide et sans appui, ils s'etaient constitues en syndicats. Les caisses de ces syndicats etaient vides, les syndiques n'ayant pas coutume de payer leur cotisation. Il y avait des syndicats de trente mille membres; il y en avait de mille, de cinq cents, de deux cents. Plusieurs comptaient deux ou trois membres seulement, ou meme un peu moins. Mais les listes des adherents n'etant point publiees, il n'etait pas facile de distinguer les grands syndicats des petits. Apres de sinueuses et tenebreuses demarches, le pieux Agaric fut mis en rapport, dans une salle du Moulin de la Galette, avec les camarades Dagobert, Tronc et Balafille, secretaires de trois syndicats professionnels, dont CHAPITRE VI. LA CHUTE DE L'EMIRAL 78 L'ile Des Pingouins le premier comptait quatorze membres, le second vingt-quatre et le troisieme un seul. Agaric deploya, dans cette entrevue, une extreme habilete. --Messieurs, dit-il, nous n'avons pas, a beaucoup d'egards, vous et moi, les memes idees politiques et sociales; mais il est des points sur lesquels nous pouvons nous entendre. Nous avons un ennemi commun. Le gouvernement vous exploite et se moque de vous. Aidez-nous a le renverser; nous vous en fournissons autant que possible les moyens; et vous pourrez, au surplus, compter sur notre reconnaissance. --Compris. Aboulez la galette, dit Dagobert. Le reverend pere posa sur la table un sac que lui avait remis, les larmes aux yeux, le distillateur des Conils. --Topez la, firent les trois compagnons. Ainsi fut scelle ce pacte solennel. Aussitot que le moine fut parti, emportant la joie d'avoir acquis a sa cause les masses profondes, Dagobert, Tronc et Balafille sifflerent leurs femmes, Amelie, Reine et Mathilde, qui, dans la rue, guettaient le signal, et tous les six, se tenant par la main, danserent autour du sac en chantant: J'ai du bon pognon; Tu n' l'auras pas, Chatillon! Hou! hou! la calotte! Et ils commanderent un saladier de vin chaud. Le soir, ils allerent tous les six, de troquet en troquet, modulant leur chanson nouvelle. Elle plut, car les agents de la police secrete rapporterent que le nombre croissait chaque jour des ouvriers chantant dans les faubourgs: J'ai du bon pognon; Tu n' l'auras pas, Chatillon! Hou! hou! la calotte! L'agitation dracophile ne s'etait pas propagee dans les provinces. Le pieux Agaric en cherchait la raison, sans pouvoir la decouvrir, quand le vieillard Cornemuse vint la lui reveler. --J'ai acquis la preuve, soupira le religieux des Conils, que le tresorier des dracophiles, le duc d'Ampoule, a achete des immeubles en Marsouinie avec les fonds qu'il avait recus pour la propagande. Le parti manquait d'argent. Le prince de Boscenos avait perdu son portefeuille dans une rixe, et il etait reduit a des expedients penibles, qui repugnaient a son caractere impetueux. La vicomtesse Olive coutait tres cher. Cornemuse conseilla de limiter les mensualites de cette dame. --Elle nous est tres utile, objecta le pieux Agaric. --Sans doute, repliqua Cornemuse. Mais, en nous ruinant, elle nous nuit. Un schisme dechirait les dracophiles. La mesintelligence regnait dans leurs conseils. Les uns voulaient que, fidele a la politique de M. Bigourd et du pieux Agaric, on affectat jusqu'au bout le dessein de reformer la republique; les autres, fatigues d'une longue contrainte, etaient resolus a acclamer la crete du Dragon et juraient de vaincre sous ce signe. CHAPITRE VI. LA CHUTE DE L'EMIRAL 79

« le premier comptait quatorze membres, le second vingt-quatre et le troisieme un seul.

Agaric deploya, dans cette entrevue, une extreme habilete. —Messieurs, dit-il, nous n'avons pas, a beaucoup d'egards, vous et moi, les memes idees politiques et sociales; mais il est des points sur lesquels nous pouvons nous entendre.

Nous avons un ennemi commun.

Le gouvernement vous exploite et se moque de vous.

Aidez-nous a le renverser; nous vous en fournissons autant que possible les moyens; et vous pourrez, au surplus, compter sur notre reconnaissance. —Compris.

Aboulez la galette, dit Dagobert. Le reverend pere posa sur la table un sac que lui avait remis, les larmes aux yeux, le distillateur des Conils. —Topez la, firent les trois compagnons. Ainsi fut scelle ce pacte solennel. Aussitot que le moine fut parti, emportant la joie d'avoir acquis a sa cause les masses profondes, Dagobert, Tronc et Balafille sifflerent leurs femmes, Amelie, Reine et Mathilde, qui, dans la rue, guettaient le signal, et tous les six, se tenant par la main, danserent autour du sac en chantant: J'ai du bon pognon; Tu n' l'auras pas, Chatillon! Hou! hou! la calotte! Et ils commanderent un saladier de vin chaud. Le soir, ils allerent tous les six, de troquet en troquet, modulant leur chanson nouvelle.

Elle plut, car les agents de la police secrete rapporterent que le nombre croissait chaque jour des ouvriers chantant dans les faubourgs: J'ai du bon pognon; Tu n' l'auras pas, Chatillon! Hou! hou! la calotte! L'agitation dracophile ne s'etait pas propagee dans les provinces.

Le pieux Agaric en cherchait la raison, sans pouvoir la decouvrir, quand le vieillard Cornemuse vint la lui reveler. —J'ai acquis la preuve, soupira le religieux des Conils, que le tresorier des dracophiles, le duc d'Ampoule, a achete des immeubles en Marsouinie avec les fonds qu'il avait recus pour la propagande. Le parti manquait d'argent.

Le prince de Boscenos avait perdu son portefeuille dans une rixe, et il etait reduit a des expedients penibles, qui repugnaient a son caractere impetueux.

La vicomtesse Olive coutait tres cher. Cornemuse conseilla de limiter les mensualites de cette dame. —Elle nous est tres utile, objecta le pieux Agaric. —Sans doute, repliqua Cornemuse.

Mais, en nous ruinant, elle nous nuit. Un schisme dechirait les dracophiles.

La mesintelligence regnait dans leurs conseils.

Les uns voulaient que, fidele a la politique de M.

Bigourd et du pieux Agaric, on affectat jusqu'au bout le dessein de reformer la republique; les autres, fatigues d'une longue contrainte, etaient resolus a acclamer la crete du Dragon et juraient de vaincre sous ce signe.

L'ile Des Pingouins CHAPITRE VI.

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