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La principale règle est de plaire et de toucher. Racine

Publié le 22/02/2012

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Cette phrase est tirée de la Préface de Bérénice, de Jean Racine (1639-1699). Une semaine après la représentation de Bérénice, qui eut lieu le 21 novembre 1670, Pierre Corneille proposait au public une comédie héroïque sur le même sujet mais traitée, on s'en doute, d'une tout autre manière. Les représentations simultanées de ces deux pièces ont été l'occasion d'une querelle entre cornéliens et raciniens. L'abbé de Villars, en particulier, s'en est pris à Racine dans sa Critique de Bérénice en lui adressant des reproches fondés sur les manquements dont Racine se serait montré coupable au sujet des règles qui président à la création d'une tragédie. Ce « libelle» a suffisamment irrité Racine pour qu'il sorte de sa réserve et ressente le besoin de s'expliquer sur ce chapitre, mais à sa façon, qui est celle d'un dramaturge assuré de son génie et non moins certain de satisfaire le public.
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« (Troisième Dissertation concernant le poème dramatique, 1663) Bien qu'il soit difficile aujourd'hui de connaître avec précision ce public, on sait qu'il était plus varié qu'on ne lepensait : aristocrates, bourgeois et menu peuple.

Il manifestait souvent très bruyamment ses réactions, avant,pendant et après les représentations, ce qui explique les mesures visant à éviter tout désordre : on ouvrait lesportes tôt dans l'après-midi, à 13 heures, la représentation commençant à 14 heures et devant se terminer vers 16heures 30, pour que le public se disperse avant la tombée du jour.

A mesure que l'on avance dans le siècle, onconstate que le pouvoir royal tient à obtenir une meilleure tenue du public dans les salles de théâtre. Au milieu du siècle, le théâtre remplit une fonction de salubrité publique dès lors qu'il devient un instrument deculture incomparable.

La monarchie instaure un mécénat d'Etat, sous Richelieu, puis sous Mazarin, et Louis XIVcharge Colbert d'une politique culturelle à la mesure du prestige qu'il entend conférer à son règne.

Le théâtre estconsidéré comme le divertissement le plus prisé, ce qui n'exclut pas, bien entendu la vogue d'autres genres commeles spectacles à machines et à décors multiples (opéra, opéra-ballet, ballet de cour).

Ces genres ne sont pas,comme le théâtre, passibles des exigences des théoriciens. Quand Racine prend la défense du plaisir éprouvé au théâtre, il sait parfaitement que Bérénice, qu'il donne en représentation au public, est irréprochable quant à l'observance des règles, en raison de l'extrême simplicité d'actionque tous s'accordent à lui reconnaître.

Ce n'est pas pour autant qu'il s'abrite derrière un système théorique qui afait ses preuves et qui n'a jamais vraiment bridé la liberté d'inspiration de ce dramaturge. Racine insiste plutôt sur le pouvoir de séduction du théâtre et l'accord qui s'établit avec le public en vertu du plaisirprocuré par le spectacle.

Ce plaisir, au XVII' siècle, en particulier à la représentation d'une tragédie, est le résultatd'une identification, sur le plan émotionnel, avec les passions représentées sur la scène et incarnées par lesacteurs. Dans la Poétique, Aristote, qui vivait au IVe siècle avant J.C., désigne la terreur et la pitié comme étant les deux émotions fondamentales que la tragédie suscite chez le spectateur.

Selon ce théoricien de l'Antiquité, la pitié estune émotion altruiste : on partage la souffrance de quelqu'un qui n'a pas mérité son malheur, qui est donc unevictime.

La crainte ou la terreur est une émotion égocentrique, puisque l'on redoute de connaître le malheur d'autrui. Le plaisir provient de ce que la communication ainsi conçue nous «purge» de nos émotions en nous les faisant éprouver avec force. Racine a traduit des passages de la Poétique d'Aristote et il a même annoté cette oeuvre.

Ainsi écrit-il en marge de son exemplaire de la Poétique: « La tragédie, excitant la terreur et la pitié, purge et tempère ces sortes de passions, c'est-à-dire qu'en émouvantces passions, elle leur ôte tout ce qu'elles ont d'excessif et de vicieux, et les ramène à l'état de modérationconforme à la raison.

» Ce pouvoir de séduction est contesté, au moment où Racine écrit sa Préface.

Dans la tradition instaurée par lesPères de l'Eglise, les jansénistes, dont on sait le rigorisme moral, estiment que le théâtre est corrupteur dans lamesure où, comme l'écrit Nicole dans De la comédie (1667), les comédiens, qui miment une passion, ne manquentpas de l'éprouver en profondeur.Racine vante, pour l'instant, le plaisir de plaire et d'émouvoir le spectateur au moyen du théâtre.

Bientôt ilpolémiquera avec les jansénistes à ce sujet et prendra la défense du théâtre en soutenant que la tragédie, commele pensaient les tragiques de l'Antiquité, ne cherche pas seulement à plaire, elle s'efforce également d'instruire enreprésentant la «vertu » comme aimable et le « vice » comme détestable.

La Préface de Phèdre (1677) vante lesauteurs qui songent «autant à instruire leurs spectateurs qu'à les divertir.

» Les auteurs dramatiques du XVII' siècle répètent à l'envi que le théâtre a pour fonction de plaire.

Tous les hommesde théâtre pourraient partager cette opinion car le théâtre implique une communication et un plaisir partagés avecle public.

Jean-Louis Barrault commente ainsi la précision apportée par Racine sur la volonté de « toucher »: «Ce mot 'toucher' me ravit; on peut toucher par compassion, on peut toucher la sensibilité d'un être, on peuttoucher l'entendement, on peut toucher et être en sympathie avec quelqu'un en le touchant.

Mais au théâtre, il n'ya qu'un seul sens qui existe à ce mot 'toucher' : quand vous regardez, vous touchez avec votre vue; quand vousécoutez, vous touchez avec votre oreille et quand vous vivez, avec toutes vos ondes, avec ce poste émetteur quevous êtes, avec ce radar qu'est l'être humain et que vous méconnaissez, vous touchez à distance.

Lorsque Racinedit qu'au théâtre, on doit plaire et toucher, il prononce donc vraiment un mot capital.

» (Conférence-débat donnéepar Jean-Louis Barrault aux étudiants de grammaire et de philologie, le 20 mars 1956). »

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