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Tu vas mourir à la fin du spectacle. Eugène Ionesco

Publié le 22/02/2012

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? Dans Le Roi se meurt, pièce d'Eugène Ionesco représentée pour la première fois à Paris, au théâtre de l'Alliance Française, en 1962, Marguerite, l'un des trois personnages féminins, est investie d'une redoutable mission : amener le roi Bérenger Ier à prendre conscience, non seulement de sa condition mortelle mais aussi de l'imminence de sa mort, afin qu'il s'y prépare. Il s'est à peine écoulé une demi-heure depuis le début de la représentation, quand Marguerite, «première épouse du Roi», prend l'initiative de lui communiquer la terrible nouvelle. Elle commence par l'informer : «Sire, on doit vous annoncer que vous allez mourir», ce que confirme aussitôt le médecin. Comme, toutefois, le roi ne prend guère au sérieux l'avertissement (« Encore? Vous m'ennuyez! Je mourrai, oui, je mourrai. Dans quarante ans, dans cinquante ans, dans trois cents ans. Plus tard. »), Marguerite doit lui préciser que sa maladie est incurable et que le terme en est bientôt échu.
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« Le spectateur, à aucun moment, ne saurait méconnaître qu'il assiste à un spectacle dont les acteurs jouent, devantlui, les rôles qui leur sont confiés : le cadre rigoureux de l'espace et du temps de la représentation commandel'acheminement du roi vers sa propre mort.Et c'est en toute connaissance de cause que les personnages-acteurs concourent, de gré ou de force, audéroulement minuté (le compte à rebours dure une heure et demie d'horloge !) et programmé de la mise à mortroyale.Bien qu'au début de la pièce le roi refuse d'admettre l'irrémédiable et se réfugie dans toutes sortes d'illusions, ildevra peu à peu consentir à sa disparition et se prêter, comme le veut Marguerite, au déroulement de ce que legarde dénomme la «cérémonie»: «MARGUERITE.

- Dans une heure vingt-quatre minutes quarante et une secondes.

(Au Roi.) Prépare-toi.

MARIE.

-Ne cède pas.MARGUERITE à Marie.

— N'essaye plus de le distraire.

Ne lui tends pas les bras.

Il est déjà sur la pente.

Tu ne peuxplus le retenir.

Le programme sera exécuté point par point.LE GARDE, annonçant.

— La cérémonie commence! Mouvement général.

Mise en place de cérémonie.

Le Roi est surle trône, Marie à ses côtés...» La fatalité n'emprunte pas ici le détour d'une intervention surnaturelle extérieure au spectacle (quelque Deus exmachina, Dieu ou Dieux), pas plus qu'elle n'infléchit de l'intérieur, sous le déguisement de la passion, l'évolution del'agonie royale.

La mort impose bien sa puissance et rend tragique la condition de l'homme.

Cependant, le tragiquedevient quelque peu dérisoire, dès lors qu'il est soumis à la régularité formelle et mécanique d'une «cérémonie», àl'ordonnance d'un spectacle dramatique d'une heure et demie.

La mort se voit identifiée à un spectacle dont lesacteurs-personnages, outre le roi, ne sont autres que les parties prenantes du spectacle.Juste avant le début, pour ainsi dire officiel, de la « cérémonie», le roi croit encore être en mesure de démontrerqu'il possède son pouvoir : il se relève, mais tombe aussitôt et ce, à plusieurs reprises, le sceptre et la couronneaccompagnant symboliquement la personne royale dans sa chute.

Ionesco apporte, en cette occasion lesdidascalies (indications scéniques) suivantes : «cette scène doit être jouée en guignol tragique».

Précisionrévélatrice : l'homme-roi, qui se meurt, réduit à une marionnette de « guignol tragique », se donne en spectacle, àla fois comique et tragique et, en tout cas, éminemment théâtral.N'est-ce pas, justement, le caractère fascinant et insolite de cette farce tragique, que l'enfant Ionesco avaitdécouvert au guignol du jardin du Luxembourg? C'est sans doute un tel spectacle qui lui a révélé l'essence même duthéâtre :«Je ne suis donc vraiment pas un amateur de théâtre, encore moins un homme de théâtre.

Je détestais vraiment lethéâtre.

Il m'ennuyait.

Et pourtant, non.

Je me souviens encore que, dans mon enfance, ma mère ne pouvaitm'arracher au guignol du jardin du Luxembourg.

J'étais là, je pouvais rester là, envoûté, des journées entières.

Je neriais pas pourtant.

Le spectacle du guignol me tenait là, comme stupéfait, par la vision de ces poupées qui parlaient,qui bougeaient, se matraquaient.

C'était le spectacle même du monde, qui, insolite, invraisemblable, mais plus vraique le vrai, se présentait à moi sous une forme infiniment simplifiée et caricaturale, comme pour souligner lagrotesque et brutale vérité.

»(Notes et Contre-notes, « Expérience du théâtre »)Ces remarques exposent un paradoxe : les poupées du guignol, tout inertes qu'elles sont, peuvent s'animer etimposer une telle présence, agir sur le jeune spectateur avec une telle force de conviction, qu'elles représentent lemonde avec plus d'authenticité que l'original.

Ce caractère d'évidence, inhérent à un spectacle «plus vrai que levrai», voilà ce que Ionesco cherchera, plus tard, à restituer dans son théâtre.S'interrogeant, à ce propos, sur sa désaffection pour le théâtre, Ionesco doit admettre que, l'enfant grandissant, lethéâtre révèle trop nettement ses «grosses ficelles» pour qu'on y croie encore avec «naïveté».

Mais alors, un autreparadoxe se présente, symétrique du premier : au théâtre, c'est la présence physique des comédiens qui, au lieu derendre la fiction plus crédible, empêche le spectateur d'y croire.

Ionesco met en cause.« la présence sur le plateau des personnages en chair et en os.

Leur présence matérielle détruisait la fiction.

»(Notes et Contre-notes, « Expérience du théâtre »).Comment échapper à cette aporie ? Faudrait-il renoncer au théâtre ? Premier élément de réponse : le théâtre,nécessité vitale, doit conquérir son autonomie, au même titre que les autres manifestations de l'esprit.

Pour yparvenir, il faut d'abord admettre que le théâtre « est un art à effets ».Dès lors, la réponse vient tout entière : forcer le trait, pousser à l'extrême la mise en oeuvre des «effets», toutcomme au guignol, afin d'imposer la présence sur scène des comédiens.

Renoncer au naturel pour le retrouver sousune autre forme; ne pas craindre d'accentuer l'invraisemblable, en vue, précisément, de rendre manifeste l'insolite.En ce paroxysme, où se fondent et s'annulent toutes les significations, Ionesco aspire en fait, à conjoindre lescontraires et à saisir, en une totalité contradictoire, l'ensemble du réel, à l'instar de l'enfant qui, par l'entremise duguignol caricatural et grotesque, accède à une vérité humaine supérieure.

Puisque le théâtre est fondé sur « legrossissement des effets, il fallait les grossir davantage encore, les souligner, les accentuer au maximum», préciseIonesco.

Dès lors, pour opérer tous ses effets, le théâtre doit avoir pour ressort la violence : « Mais revenir à l'insoutenable.

Pousser tout au paroxysme, là où sont les sources du tragique.

Faire un théâtre deviolence : violemment comique, violemment dramatique.

»(Notes et Contre-notes, « Expérience du théâtre »). »

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