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LE GOUVERNEMENT AU XVIIIe siècle

Publié le 28/06/2011

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Où Machiavel avait-il pris que nous fussions faits de cette mauvaise pâte ? Haro sur Machiavel, qu'on brûle Le Prince! Ouvrage funeste, animé tout entier par cette fausse maxime que la raison d'État doit être le principe du gouvernement : chacun de ses chapitres est du poison. Si l'Europe ne se guérissait tous les jours du machiavélisme, maladie mentale, ce serait à désespérer. Mais le secrétaire florentin, ce misérable, n'a pas été le seul à se tromper. Parmi les incohérences qui se sont accumulées au cours des siècles, les principes de la politique passée sont particulièrement absurdes. « La terre entière, mon cher Aristias, n'offre qu'un vaste tableau des erreurs de la politique... « Ceux qui avaient quelque participation au pouvoir, et surtout ceux qui n'en avaient aucune; les nobles, qui auraient voulu retrouver leur raison d'être; les parlementaires de France, les juristes espagnols, les théoriciens d'Italie, les gens des cafés en Angleterre; les graves discuteurs du Club de l'Entresol; les ecclésiastiques, ayant à défendre ou à attaquer la conduite de Rome à l'égard du temporel; les écrivains, les historiens qui songeaient à demain quand ils regardaient l'autrefois, les romanciers, les essayistes, et les philosophes, au premier rang; même le petit peuple de certaines villes, s'il faut en croire Holberg et la caricature qu'il nous a laissée de ce potier d'étain qui, avec ses camarades, le teinturier, le perruquier et le maître d'école, fonde un club qui doit réformer l'état de l'Europe après celui de Hambourg : tous se lancèrent dans la politique théorique; tant et tant que les princes eux-mêmes, atteints par la contagion, finirent par opérer des réformes, quand ce n'eût été que pour mieux préserver la racine de leur pouvoir.

« qu'elle tendait à s'en prendre à leur autorité.Cette idée était moins puissante, parce qu'elle rencontrait aussitôt une limitation.

Egalité politique, oui; égalitésociale, halte-là.

On expliquait, à grand renfort d'arguments, que cette dernière n'était pas réalisable dans lapratique, et, défaut plus grave, qu'elle n'était pas logique.

L'égalité géométrique ne pouvait exister entre leshommes; et dès lors, que nous dictaient à la fois notre intérêt et notre raison ? Que pour nous rendre mutuellementheureux, nous devions nous contenter de cette espèce d'égalité morale qui consiste à maintenir chacun dans sesdroits, dans un état héréditaire ou acquis, dans sa terre, dans sa maison.

Grande sottise, selon d'Alembert, qued'accuser les philosophes, au moins ceux qui méritent ce nom, de prêcher l'égalité, car elle est une chimère.

Lanature, selon le baron d'Holbach, établit une inégalité nécessaire et légitime entre ses membres; cette inégalité sefonde sur le but invariable de la Société, à savoir sa conservation et son bonheur.

La sécurité, selon Filangieri, étaitintimement unie à la félicité; conservazione e tranquillità sont les mots qu'il inscrit conjointement dans sonprogramme idéal.

Bref, l'homme vertueux ne sera jamais égal au coquin, l'homme d'esprit à l'imbécile, l'hommecourageux au pusillanime; il y a des inégalités morales entre les hommes, de même qu'il y en a de physiques entre lejeune et le vieux, entre l'athlète et l'infirme.

Il serait stupide de vouloir égaliser les classes : suffit que les hommessoient égaux devant la loi et que la naissance ne confère aucun privilège : en cela seulement consiste l'égalité.Un certain conservatisme social se sentait en danger dès qu'il ne s'agissait plus de Salente, mais de Paris ou deBerlin; il produisait un réflexe de sécurité.

De même qu'en matière de science, on voyait l'univers s'organiser suivantles degrés de la grande échelle des êtres, chaque animal, chaque plante et chaque pierre étant à sa juste etimmuable place, et qu'il fallait un immense effort révolutionnaire pour concevoir un transformisme : de même, oncroyait que la fixité des classes pouvait seule assurer ce qu'on appelait la permanence de la société.

Les classes,ici, représentaient les degrés de l'échelle et les cases du damier.

Elles maintenaient l'ordre; qui aurait voulu lesbouleverser, aurait du même coup bravé la volonté du ciel et compromis le bonheur des hommes.

Suivons leraisonnement de Voltaire, à l'article Egalité du Dictionnaire philosophique.

Oui, tous les hommes jouissant desfacultés attachées à leur nature sont égaux; ils le sont quand ils s'acquittent des fonctions animales et quand ilsexercent leur entendement.

Mais ils ont des besoins; pour les satisfaire, une certaine organisation est nécessaire,donc ils se subordonnent les uns aux autres.

« Il est impossible dans notre malheureux globe que les hommes vivanten société ne soient pas divisés en deux classes : l'une, de riches qui commandent; l'autre, de pauvres qui servent ;et ces deux se subdivisent en mille ; et ces mille ont encore des nuances différentes.

»L'infranchissable barrière est celle de la propriété : la loi de propriété se trouve nécessairement exclusive del'égalité.

Il est vrai que quelques audacieux, enfants perdus, s'étonnent du caractère sacro-saint qu'on lui conserve,s'indignent de ce qu'on propose de changer l'état politique sans changer l'état social, et prédisent qu'il en résultera« une révolution terrible et inutile ».

II est vrai qu'en 1755, Morelly donne son Code de la Nature, où l'on trouve lesprincipes et le programme détaillé de cette révolution sociale : l'impitoyable propriété est la mère de tous les crimesqui inondent le monde, il faut la supprimer.

En conséquence : « I.

— Rien dans la Société n'appartiendrasingulièrement ni en propriété à personne, que les choses dont il fera un usage actuel, soit pour ses besoins, sesplaisirs ou son travail journalier.

II.

— Tout citoyen sera homme public, sustenté, ou entretenu et occupé auxdépens du public.

III.

— Tout citoyen contribuera pour sa part à l'utilité publique, selon ses forces, ses talents etson âge, c'est sur cela que seront réglés ses besoins, conformément aux lois distributives...

» Alors c'en sera fait dugéant monstrueux auquel la terre a dressé partout des autels ; ses pieds semblent descendre dans l'ombre dunéant, et s'appuient sur un tas d'ossements et de cadavres; il a mille têtes et une multitude de bras, dont les mainssont remplies les unes de vases fragiles, pleins de sables ou de vapeurs, et les autres de sceptres et de couronnes;sur sa poitrine est écrit ce mot plusieurs fois répété : Encore.

II mourra, ce géant infâme, car l'humanité, revenant àla nature, comprendra qu'il n'y a qu'une seule loi : la sociabilité; un seul vice, la cupidité; une seule institutionnéfaste, la propriété.Il est encore vrai qu'un peu plus tard, en 1776, dans son traité de la Législation, Mably conseille d'en venir à «cetteheureuse communauté des biens» qui remédiera aux maux, sortis de la boîte de Pandore.

L'égalité doit être la basede la vie privée comme de la vie sociale.

Or elle cesse de subsister, dès que la propriété s'affirme : « Je ne balancepoint à regarder cette malheureuse propriété comme la première cause de l'inégalité des fortunes et des conditions,et par conséquent de tous les maux.

» — « Savez-vous quelle est la principale source de tous les malheurs quiaffligent l'humanité? C'est la propriété.

»Il est vrai qu'en Angleterre aussi, quelques velléités de même espèce se sont produites.

En 1775, un agité du nomde Thomas Spencer, bouquiniste de son état, lut à la Philosophical Society une communication intitulée : The RealRights of Man, les véritables droits de l'homme : début d'une carrière aventureuse de révolutionnaire, qu'il menajusqu'en 1814; il voulait réorganiser la société, en faisant de chaque paroisse une manière de cellule égalitaire.

En1780, un professeur de latin et de grec, humaniste, numismate, William Ogilvie, a publié An Essay on the Right ofProperty in Land, Essai sur le droit de propriété foncière, où il exposait les principes philosophiques d'une loi agrairequi aurait donné à chaque individu la possession d'une partie du sol.

Mais à ces exceptions près, qui sont peunombreuses, qui sont velléitaires, dont le contenu reste vague, et qui n'évoquent que de très loin le communismefutur, le xviiie siècle a généralement et fermement affirmé le caractère légitime que la propriété conservait à sesyeux.

Dans l'état de nature, l'homme est nécessaire à l'homme; celui-ci a toujours besoin d'associés; entre lasociété et lui se conclut un pacte ; la société lui assure le bonheur, il assure la permanence de la Société.

Cettepermanence exige l'inégalité, qui règne et qui régnera entre les hommes.

« Ne réclamons jamais contre cetteinégalité qui fut toujours nécessaire, et qui est la condition même de notre félicité, »* Voilà pour la propriété engénéral; et voici pour la propriété foncière en particulier, telle que la conçoivent les physiocrates.

Aucommencement, il y avait une société universelle.

Mais les hommes continuant à se multiplier, les productionsgratuites et spontanées de la terre leur sont devenues insuffisantes et ils ont été forcés de se faire cultivateurs.

Del'obligation de la cul- ture est venue l'obligation du partage des terres, et c'est ainsi que la propriété s'est fondéejustement.1Elle s'est fondée justement, gardons-nous d'y toucher, qu'il s'agisse du capital, des biens mobiliers ou du sol;. »

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