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Le projet du livre idéal - Serge Margel

Publié le 17/07/2023

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« Le projet du livre idéal Serge Margel Dans Po&sie 2007/3 (N° 121), pages 19 à 33 Éditions Belin © Belin | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.116.149.66) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-poesie-2007-3-page-19.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour Belin. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement.

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Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © Belin | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.116.149.66) ISSN 0152-0032 ISBN 9782701147765 DOI 10.3917/poesi.121.0019 05_margel 14/11/07 11:39 Page 19 Serge Margel Le projet du livre idéal Maître assistant des archives Husserl de Louvain, chargé de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales, Serge Margel est philosophe.

Dernier livre paru : Le silence des prophètes, Paris, Galilée, 2006 ; Morts d’œuvre, Paris, Galilée, 2006. Toute pensée émet un coup de Dés © Belin | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.116.149.66) La question n’est pas simple, néanmoins la question est posée.

Qu’appelle-t-on littérature ? Mais à vrai dire, qui pose cette question, qui parle de littérature, ou de la littérature, lorsqu’elle se voit, comme ici, dans le texte de Mallarmé, soumise au jeu du questionnement ? Car personne a remis la littérature en question, personne n’a bouleversé l’ordre fictif de la langue, la supposant elle-même comme un être de fiction.

C’est bien l’inverse qui est vrai.

C’est elle, la littérature, qui pose la question, ou plus exactement, c’est ce qui se dit de la littérature qui dévoile ou révèle, par ce questionnement, les conditions mêmes de sa propre existence.

Des conditions d’émergence, qui sont aussi, qui sont surtout les conditions de sa disparition, de sa mort, ou son tombeau.

Et si l’on peut alors parler d’une coupure « mallarméenne », c’est là sans doute qu’il faut en situer l’enjeu.

Entre l’émergence de la littérature et sa disparition.

Elle n’apparaît comme question, que pour aussitôt disparaître dans son propre questionnement.

Dès lors qu’elle existe, la littérature n’existe plus.

Et dès lors qu’elle n’est plus, c’est alors qu’il n’y a plus que littérature.

C’est alors qu’elle se révèle n’être plus, ou n’avoir jamais rien été d’autre que le fantôme de soi-même.

Toute la modernité peut se réduire dans l’énoncé d’un tel paradoxe.

Plus encore, tout le criticisme rationnel des Modernes doit se définir à l’horizon paradoxal d’une telle « crise de la littérature ».

Un crise sans précédent, qui fait parler la littérature depuis son lieu fantôme, l’ouvrant sur son propre tombeau, ou déployant Le Livre du Néant. La crise du vers §1 – « La littérature ici subit une exquise crise, fondamentale./ Qui accorde à cette fonction une place ou la première, reconnaît, là, le fait d’actualité : on assiste, comme finale d’un siècle, pas ainsi que ce fut dans le dernier, à des bouleversements ; mais, hors de la place publique, à une inquiétude du voile dans le temple avec des plis significatifs et un peu sa déchirure./ Un lecteur français, ses habitudes interrompues à la mort de Victor Hugo, ne peut que se déconcerter.

Hugo, dans sa tâche mystérieuse, rabattit * Tous les textes de Mallarmé cités dans cette étude, vont aux Œuvres complètes, édition présentée, établie et annotée par Bertrand Marchal, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, vol.

I, 1998, vol.

II, 2003. 19 © Belin | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.116.149.66) Ouverture* 14/11/07 11:39 Page 20 © Belin | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.116.149.66) toute la prose, philosophie, éloquence, histoire au vers, et, comme il était le vers personnellement, il confisqua chez qui pense, discourt ou narre, presque le droit à s’énoncer.

Monument en ce désert, avec le silence loin ; dans une crypte la divinité ainsi qu’une majestueuse idée inconsciente, à savoir que la forme appelée vers est simplement ellemême la littérature ; que vers il y a sitôt que s’accentue la diction, rythme dès que style. Le vers, je crois, avec respect attendit que le géant qui l’identifiait à sa main tenace et plus ferme toujours de forgeron, vînt à manquer ; pour, lui, se rompre »1. La question se pose, ici.

Qu’en est-il de la littérature, dès lors qu’elle est en crise ? « La littérature ici subit une exquise crise, fondamentale ».

C’est donc bel et bien une question qui se pose, dans cette crise, un questionnement, une recherche, une requête, une demande.

Se dit exquis, ce qui est recherché, non seulement au sens d’un art du raffinement, mais aussi de la quête.

Exquaere, cela veut dire questionner, s’enquérir, ou chercher à découvrir, comme on recherche la vérité, un coupable ou un crime.

Et en ce sens, cette crise, exquise, est un bouleversement qui fait subir à la littérature son propre questionnement.

Non seulement la littérature devient une question : « qu’est-ce que la littérature ? » ou « qu’appelle-t-on littérature ? », ou encore, comme l’écrit Mallarmé : « Quelque chose comme les Lettres existe-t-il?»2 – une question qui n’aura cessé, depuis, de circonscrire jusqu’au jour d’aujourd’hui le champ même de la littérature, son horizon de sens comme fiction et son discours critique.

Il faudrait d’ailleurs longtemps s’attarder sur le terme de « critique », de « lecture critique », né lui aussi, comme un rejeton de la crise.

Mais de plus, cette question révèle ou dévoile ce qui se joue de mystère dans les Lettres, ce qui se cache, se crypte ou se chiffre dans l’énigme d’un texte.

Qu’il y ait du secret dans le texte, qu’un texte produise du secret, ou plus encore que tout texte sécrète de lui-même sa propre crypte, sa réserve, ou dissimule « l’armature intellectuelle du poème »3, ses lois de construction, ses relations internes, ses ressources, ses fondements, son souterrain, voilà ce qui devient une question, pour la littérature, ou plus encore, qui met en question l’idée même de littérature. On le voit bien, les différents énoncés de la question portent toujours sur « l’existence » de la littérature, ses conditions et ses modalités.

Et Mallarmé d’ailleurs y répond : « Oui, que la Littérature existe et, si l’on veut, seule, à l’exception de tout »4.

Or, ce qui existe de la littérature, ce n’est pas le monde, le tout ou la réalité.

Qu’il n’y ait que la littérature, qui existe, ne veut pas dire que tout ne soit que littérature, ni même qu’il y ait partout de la littérature, du discours, du récit, une narration ou une fiction.

L’existence, ici, ne dépend d’aucune référence explicite, d’aucune réalité préalable, préétablie, ou simplement postulée, ni même d’une auto-référence, d’une réflexion interne et thématique de la littérature sur elle-même, reproduisant par là, du dedans, l’ordre des référentialités.

Bien autrement, ce qui existe pour Mallarmé, ou ce qui fait que la littérature existe seule, c’est la force d’un jeu, qui produit l’Idée, ou notion pure : « À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant ; si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure »5.

Ce qui existe, à l’exception de tout, c’est la notion, mais pure.

Non pas le sens, le signifié ou le concept, non pas ce que veut dire un texte, 1.

« Crise de vers », in O.C., II, p.

204-205. 2.

« La Musique et les Lettres », in op.

cit., II, p.

65. 3.

« Sur la philosophie dans la poésie », in op.

cit., II, p.

659. 4.

« La Musique et les Lettres », in op.

cit., II, p.

66. 5.

« Crise de vers », in op.

cit., II, p.

213. 20 © Belin | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.116.149.66) 05_margel 14/11/07 11:39 Page 21 © Belin | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.116.149.66) ou l’intention de l’auteur.

Non pas davantage le son, ou la sonorité, le signifiant phonétique, ni même grammatique.

Pour Mallarmé, la notion pure, c’est la virtualité.

« Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets./ Au contraire d’une fonction numéraire facile et représentative, comme le traite d’abord la foule, le dire, avant tout, rêve et chant, retrouve chez le Poète, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité »1. La notion pure peut donc se définir comme la reconstruction d’une virtualité.

Sans représentation,.... »

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