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"Ce ne sont pas les excitations de sa nature qui éveillent en l'homme" Kant

Publié le 26/02/2011

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Introduction

La question de l'origine des passions est l'enjeu d'un débat philosophique important, puisqu'elle soulève le problème de la nature humaine. Descartes, dans son traité des Passions de l'âme, considère ainsi que les passions sont inhérentes à l'homme, dans la mesure où elles sont liées à sa constitution corporelle. Kant, au contraire, affirme que les passions ne sont pas inscrites dans la nature de l'homme, mais produites par son existence sociale : l'homme ne devient passionné que dans la société, au contact de ses semblables. II n'est pas dans sa nature d'être passionné. Mais pourquoi Kant situe-t-il l'origine des passions dans la vie sociale ? Pourquoi l'homme est-il originellement dénué de passion ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans une étude détaillée du texte qui nous est présenté.

I. La nature humaine n'est pas passionnée (lignes 1 à 5)

A) La nature humaine

Dans une première étape du texte (lignes 1 à 5), l'auteur commence par nous indiquer que l'homme n'est pas passionné par nature : \"Ce ne sont pas les excitations de sa nature qui éveillent en l'homme les passions\"(lignes 1-2). Que veut dire Kant lorsqu'il nous parle de la \"nature\" de l'homme ? Le terme de nature semble désigner tout ce que l'humanité possède de façon innée, indépendamment de ce que la vie en société ou l'éducation lui apporte : pour concevoir la nature de l'homme, il faut donc imaginer son existence en dehors de la société, comme le fait Rousseau dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Les terme \"primitivement\" (ligne 3) et \"dispositions\" (lignes 3 et 12) se rapportent eux aussi à cet état naturel de l'homme où il n'a subi aucune influence de la société. Une disposition est en effet une capacité possédée de façon innée, et susceptible de se développer par l'éducation.

B) Besoin et passion

Comment se caractérise alors cette nature humaine ? D'après Kant, seuls les besoins sont innés, et non les passions : l'humanité n'a originellement \"que de petits besoins\"(ligne 4). Autrement dit, l'homme est par nature un être de besoin, et non un être de passion. Mais comment distinguer ces deux termes ? D'une part, le besoin se définit comme un désir naturel et inévitable de ce qui est nécessaire à la survie (ainsi avons-nous, par exemple, besoin de manger ou de dormir). La passion, au contraire, porte sur des objets dont nous n'avons précisément pas besoin (l'argent, la gloire, le jeu, etc.). Besoin et passion sont donc deux sortes de désirs qui se distinguent par leur objet : l'un est nécessaire à la survie, l'autre non. D'autre part, ils se distinguent aussi par leurs conséquences : en effet, Kant précise que les besoins n'engendrent aucune conséquence destructrice. La satisfaction des besoins laisse alors l'individu \"calme et modéré\"(ligne 5). Au contraire, la passion se révèle destructrice et, d'après l'auteur, rend l'homme mauvais (elle cause ainsi de \"grands ravages\", cf ligne 3). Kant opère ainsi une condamnation morale des passions, car cellesci lui semblent nuisibles. L'auteur indique d'ailleurs que le terme de passion et son étymologie montrent clairement la nature néfaste des passions elles-mêmes: le mot vient en effet du verbe latin patior qui signifie subir, être passif. Sans le dire explicitement, Kant suggère par là que les passions font disparaître la liberté.

C) Une nature originellement bonne (Rousseau)

Cette distinction entre besoin et passion explique le caractère profondément rousseauiste des analyses de Kant. Celui-ci nous explique en effet que la nature originelle de l'homme, hantée par le seul besoin, est \"primitivement bonne\"(ligne 3). Il est probable que pour Kant, le mal et les passions ne naissent qu'au sein de la société. Ainsi rejoint-il encore une fois les analyse de Rousseau qui, dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité panai les hommes, expose la thèse d'une nature humaine originellement bonne, affectée de pitié et d'un instinct naturel de conservation (l'amour de soi). En définitive, on comprend que le besoin soit intrinsèquement lié à la nature humaine : il est naturel, inscrit dans la constitution biologique de l'homme et la survie dépend de sa satisfaction. Mais pourquoi l'humanité n'est-elle pas passionnée par nature ? Pourquoi les passions, à la différence des besoins, naissent dans la société ?

II L'origine sociale des passions (lignes -5 à 13)

A) Les passions naissent du regard d'Autrui

A cette question, la réponse de Kant est sans équivoque : les passions naissent dans la société parce qu'elles dépendent du regard d'Autrui. Un individu ne devient passionné que parce qu'il veut se faire valoir dans le regard des autres, en rivalisant avec eux. Ainsi les passions citées par Kant (\"l'envie, l'ambition, l'avarice\", cf. ligne 7) se caractérisent toutes par la convoitise d'un bien possédé ou reconnu comme bon par autri : la. gloire ou l'argent, par exemple. Et d'autre part, il est clair que la volonté de se faire valoir suppose la vie en société voilà pourquoi l'homme seul ne peut avoir de passion. En définitive, les passions sont donc produites par l'inégalité qui règne entre les hommes dans la société. Cette inégalité a pour origine l'estime que les hommes se portent mutuellement : un pauvre sera dévalorisé aux yeux des autres, un riche sera valorisé. Cette valeur attachée à l'individu n'est pas naturelle mais dépend étroitement de son existence sociale et du regard des autres : ainsi un homme seul ne pourra être dit ni pauvre, ni riche (cf lignes 5 à 7). Or c'est bien l'inégalité, résultat du regard d'autrui, qui provoque rivalités et passions entre les individus. La passion n'est donc naturelle en rien : elle est toute entière artificielle.

B) Une influence néfaste ?

Dans une dernière étape du texte (lignes 9 à 13) Kant précise bien que les passions ne sont pas le produit d'une disposition mauvaise, d'un naturel haineux : elles résultent de la simple coexistence des individus \"il suffit qu'ils soient là, qu'ils l'entourent et qu'ils soient des hommes\" (ligne 10-11). Il critique ainsi l'idée d'une nature originellement mauvaise de l'homme, qui trouverait son plein épanouissement dans l'existence sociale (nous avons d'ailleurs vu que pour Kant la nature humaine est originairement bonne). Les passions ne sont donc pas à proprement parler le résultat d'une influence ou d'une imitation : ce n'est pas en s'imitant les uns les autres que les hommes deviennent passionnés - sans quoi la passion serait le résultat d'une décision. Comment comprendre alors cette affirmation ? Elle devient claire si l'on songe que les passions naissent du regard d'autrui, et que nous ne choisissons pas le jugement qu'autrui porte sur nous-même. Dès lors, il suffit de la présence d'autrui et de son jugement pour déclencher la passion. Le simple regard d'autrui suffit à transformer un individu originairement bon en un rival passionné prêt à lutter contre les autres.

III. Commentaire

A) Une vision réductrice de la passion ?

En montrant que les passions ont pour origine le regard des autres, Kant considère que tous les mouvement passionnels sont placé sous le signe de la lutte et du conflit : ainsi le jalousie, l'ambition ou l'avarice. Les passions auraient donc pour conséquence néfaste mais nécessaire une lutte des hommes entre eux. Mais n'est-ce pas là une vision réductrice de la passion ? La passion se réduit-t-elle à provoquer l'opposition et le conflit ? Sans doute l'auteur omet-il à dessein de citer l'amour ou la passion du jeu, car ce sont des passions complexes qui n'introduisent pas nécessairement de rivalité entre les individus. Ainsi l'amoureux n'est pas nécessairement un jaloux, mais peut se trouver dans un état de dévotion absolue pour la personne qu'il aime, comme c'est le cas dans Roméo et Juliette. De même, comme le montre Dostoïevski dans son célèbre roman (Le joueur), un joueur rivalise moins avec les autres qu'avec lui-même ou avec le hasard. Si Kant dévalorise les passions, c'est donc peut-être parce qu'il porte uniquement son attention que sur des passions qui impliquent une rivalité, une lutte. Or ces passions existent et impliquent effectivement une attitude jalouse et haineuse, mais elle ne constituent peut-être qu'un cas particulier parmi toutes les passions.

B) La passion n'est pas nécessairement destruction

La thèse implicite de Kant est donc que toutes les passions sont destructrices parce qu'elles ont pour origine le regard d'autrui, et supposent une rivalité. Mais ce modèle de la passion n'est pas universel : le propos de Kant est donc contestable en ce qu'il fait d'un cas particulier une propriété universelle de la passion. Plus généralement, Kant suppose dans tout son texte que les passions sont destructrices et nocives pour l'individu comme pour la société. Mais ne peut-on objecter à Kant le contre-exemple de la passion amoureuse ? D'après Stendhal, celle-ci conduit à une véritable transfiguration de la vie et du regard de l'amoureux. Dès lors, la passion n'est plus un facteur de destruction mais ajoute au contraire un supplément d'intensité à l'existence.

Conclusion

Kant se situe donc dans la lignée des philosophies qui condamnent la passion au nom de ses effets aliénants et destructeurs : Platon, les stoïciens, Pascal. Mais son argumentation suppose que toutes les passions naissent dans la société et ont une origine commune : le regard d'autrui. Or cette thèse nous a semblé précisément contestable : n'existe-t-il pas des passions qui ont pour objet l'art, la beauté ou la vérité ? Dans cette perspective, seules certaines passions auraient une origine sociale, mais elles ne représenteraient qu'un cas particulier dans l'ensemble des passions.

 

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