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Publié le 16/02/2011

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   La machine 1900 exigeait qu'un ouvrier la serve, elle n'était automatique que pour une part de son travail et exigeait le service de l'homme, soit pour son alimentation, soit pour une autre phase du travail ; le manœuvre spécialisé devait agir comme une machine complémentaire de la machine incomplète, répéter sans cesse le même geste à la cadence du métal. La machine 1950 est entièrement automatique ; l'ouvrier n'intervient plus que pour la contrôler ou la réparer : il n'intervient plus que pour accomplir des gestes et des actions réfléchis, intelligents, d'une essence absolument différente du déterminisme mécanique. Cette évolution si frappante pour qui visite les ateliers, est la marque d'un fait fondamental : loin d'entraîner l'homme dans son domaine d'automatisme, loin de l'assujettir à son propre déterminisme, il apparaît que la machine moderne, en prenant pour elle toutes les tâches qui sont du domaine de la répétition inconsciente, en libère l'homme, et lui laisse les seuls travaux qui ressortissent en propre à l'être vivant, intelligent et capable de prévision. Plus la machine se perfectionne, plus elle est capable d'accomplir des tâches complexes ; mais, par conséquence même, elle laisse à l'homme celles qui sont plus complexes encore. La machine accomplit déjà les tâches subalternes qu'autrefois seul un être vivant pouvait accomplir ; d'abord celles d'un animal, puis celles d'un manœuvre spécialisé ; à mesure que la machine se perfectionnera, il est clair maintenant qu'elle libérera progressivement et complètement l'ouvrier de ces tâches serviles ; mais elle ne cessera d'exiger de lui justement ce qui continuera de lui manquer à elle, c'est-à-dire les activités les plus éloignées du déterminisme mécanique ; à mesure que l'évolution se poursuivra, ce seront donc les ressources les plus élevées de son intelligence que l'ouvrier devra mettre en œuvre, et ces ressources seront, par définition, de plus en plus éloignées de celles qui impliquent la soumission à un automatisme simple. Ainsi la machine, en s'annexant progressivement le domaine des tâches automatiques, des plus élémentaires (machines 1850) aux plus complexes (cybernétique), obligera l'homme à se spécialiser dans les tâches intellectuelles les moins faciles, et dans la solution des problèmes scientifiquement imprévisibles, où l'intuition, la morale et la mystique jouent un rôle prépondérant...    ... En libérant l'homme du travail servile, la machine moderne le rend donc disponible pour les activités plus complexes de la civilisation intellectuelle, artistique et morale. Il était nécessaire que, au moment où il créait les premières machines, l'homme s'absorbât dans leur étude et leur service. Mais dès maintenant une division du travail s'esquisse, qui ne peut pas ne pas s'affirmer : la machine accomplira toutes les tâches nécessaires à la vie qui ne mettent en jeu que des réflexes ou des déterminismes ; l'homme sera ainsi libéré d'une part considérable de ses travaux traditionnels, mais justement de ceux qui, étant les plus matériels, sont les moins essentiellement humains. La machine conduit ainsi l'homme à se spécialiser dans l'humain...    Tels sont les résultats des cent cinquante premières années du machinisme et du progrès technique. Loin d'aboutir à l'abaissement de l'homme devant la matière, à l'application à l'être vivant du corset de fer du déterminisme mécanique, comme on pouvait le craindre, il y a trente ou cinquante ans, tout indique que la machine non seulement permettra à l'homme le libre exercice de ses facultés les plus hautes, mais le contraindra à cet exercice, en lui retirant progressivement les préoccupations et les obligations de nature matérielle. Tout indique, de plus et surtout, que l'invention et l'usage des machines, après avoir pendant plus d'un siècle obligé la pensée scientifique à se consacrer tout entière à l'étude et la recherche du seul déterminisme, au point que les phénomènes non déterminés étaient négligés ou niés, conduira dans une seconde phase à une plus large compréhension du vaste univers ; les lois de la machine nous feront découvrir par contraste les lois de la vie.    Cette évolution est dès maintenant inscrite dans les faits ; elle est évidente aux yeux de ceux qui en sont avertis. Mais elle reste ignorée du plus grand nombre. Les États-Unis n'entrevoient qu'à peine les insuffisances de leur civilisation mécanicienne. Les innombrables populations de l'Asie se ruent avec l'ardeur des néophytes dans les faciles triomphes de l'industrialisation et s'enivrent de l'efficacité immédiate et prodigieuse des déterminismes physiques et sociaux.    Ce n'est encore qu'une poignée d'hommes qui constate la limite de ces succès et qui devine que l'essence rare du progrès humain a besoin, pour vivre et se développer, d'un autre terrain que les serres artificielles de jardiniers passés en vingt ans de la barbarie à la technique. Fils d'une vieille terre qui, depuis cinq cents ans9 non seulement a retrouvé la civilisation antique, mais encore a donné au monde des outils intellectuels nulle part ailleurs imaginés, nous savons qu'il est prématuré de couper un arbre qui a donné de bons fruits, sous prétexte qu'il en produit trop peu ou les fait mûrir trop lentement. Nous savons aussi que les jeunes arbres ne se jugent qu'à leurs fruits, et qu'en matière de civilisation, les récoltes ne sont pas annuelles, mais séculaires ou millénaires ; nous savons mieux encore que le progrès intellectuel de l'humanité, du moins le progrès de sa fraction la plus avancée, n'est l'œuvre ni de l'imitation ni du conformisme, ni de l'autorité établie, ni des bons élèves de l'enseignement officiel. C'est donc à nous Français, qui de tous les peuples avons le mieux conservé les ressorts individualistes de notre pensée, le pouvoir de synthèse, le goût de la controverse intellectuelle et la tradition de la recherche libre et désintéressée, de promouvoir cette révolution intellectuelle qu'implique l'entrée du phénomène vital dans le domaine de la pensée scientifique.    J. Fourastié, La Machine libère l'homme (Éditions de Minuit).    RÉSUMÉ    Une différence considérable sépare la machine 1900 de la machine 1950 : les progrès de l'automatisation ont permis d'abolir l'esclavage qui fut celui de l'homme au début du machinisme, et de consacrer l'ouvrier aux tâches demandant le plus d'intelligence. L'homme pourra ainsi exercer ses facultés les plus hautes, et, dominant le déterminisme mécanique, recherchera une plus large compréhension de l'univers. Cette évolution évidente reste ignorée des masses, à l'Est comme à l'Ouest, et la pensée non déterministe, culture et morale, ne fera son chemin que grâce à de vieilles traditions particulièrement vivantes en France.    ANALYSE    Jean Fourastié part dans ce texte d'une constatation historique : une différence considérable sépare la machine 1900 de la machine 1950 ; les progrès de l'automatisation ont permis d'abolir l'esclavage qui fut celui de l'homme au début du machinisme, et de consacrer l'ouvrier aux tâches demandant le plus d'intelligence. L'auteur tire alors la conclusion de ces faits, montrant le caractère libérateur de la machine : l'homme pourra ainsi exercer ses facultés les plus hautes, et, dominant le déterminisme mécanique, recherchera une plus large compréhension de l'univers. Jean Fourastié aboutit alors à de plus vastes et de plus lointaines perspectives : cette évolution évidente reste ignorée des masses, à l'Est comme à l'Ouest, et la pensée non déterministe, culture et morale, ne fera son chemin que grâce à de vieilles traditions particulièrement vivantes en France.

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