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justice et pouvoir

Publié le 16/04/2012

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justice

Dissertation : justice et pouvoir

 

Sujet : « La justice des hommes est toujours une forme de pouvoir «. Nicolas de Chamfort. Analysez et discutez cette affirmation à la lumière de votre lecture des Pensées de Pascal.

Dans les régimes politiques modernes, on distingue généralement trois pouvoirs séparés : législatif, exécutif et judiciaire, le troisième étant constitué par les institutions de la justice. De ce fait, quand Nicolas de Chamfort affirme que : « La justice des hommes est toujours une forme de pouvoir «, il ne fait pas seulement référence à la justice comme valeur ou comme idéal mais aussi à la justice comme institution mise en place par les hommes et qui doit s’imposer dans la société afin d’obliger tout le monde à respecter le droit : les lois, la police, les tribunaux et les prisons sont les manifestations concrètes de ce pouvoir contraignant de la justice. Si elle n’avait pas ce pouvoir, rien ne garantit qu’elle soit respectée. Mais qu’est-ce qui fonde ce pouvoir de la justice humaine et quelle est sa nature?

Se confond-il seulement avec la contrainte physique ou ses principes sont-ils suffisamment solides qu’ils constituent une obligation morale ? D’autre part, la formule « forme de pouvoir « prête à confusion parce qu’elle suggère un rapprochement possible avec le pouvoir politique dont la justice doit être absolument séparée. Un tel rapprochement peut signifier une instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique et donc la perte de son autonomie et de son impartialité. Alors quelle est l’étendue du pouvoir de la justice humaine et quelles sont ses limites ? En se basant sur Les Pensées de Pascal, on examinera les différents aspects de ce pouvoir avant de montrer ses insuffisances.

La justice humaine est un pouvoir qui s’exprime dans les domaines judiciaire, politique et social. Elle est un moyen d’imposer le droit et de gouverner de façon équitable.

Tout d’abord, parler de pouvoir de la justice sans référence à un dispositif de contrainte serait vider ce pouvoir de son sens. On ne peut en effet imaginer que la justice puisse faire respecter le droit sans qu’elle ait les moyens de le faire. Le pouvoir de la justice est donc lié à sa force. Dans les Pensées, Pascal exprime ce rapport étroit entre la justice et la force : « la justice sans la force est impuissante « dit-il dans le fragment 298. Cela signifie que la justice, comme norme du droit, a besoin de l'institution judiciaire et de ses moyens de contrainte pour s'appliquer. Sinon, elle est faible, inutile, privée d'une efficacité pratique. Autrement dit, l’idéal de justice seul ne suffit pas, il faut aussi pouvoir le matérialiser, et pour cela, il faut bien le transformer en puissance d’action concrète. La \"force\" doit être comprise ici comme force vertueuse et non comme force d’oppression, c’est ainsi qu’elle est mise au service de l'idéal de justice, comme instrument du judiciaire, puissance qui défend la justice, va avec elle et lui est subordonnée. Le pouvoir de la justice humaine est donc d’abord la capacité concrète de mettre en ½uvre la justice comme valeur, dans le domaine judiciaire.

D’un autre côté, la justice est liée au pouvoir politique car elle fait partie des principes moraux d’un bon gouvernement qui respecte les droits des citoyens. En effet, l’histoire montre qu’un pouvoir politique injuste finit toujours par être renversé. C’est pourquoi, la justice devrait être une des préoccupations majeures de l’homme politique et même le fondement de son pouvoir. Pascal exprime cette idée à plusieurs reprises, notamment dans le troisième Discours sur la Condition des Grands, où il s’adresse au futur homme de pouvoir en ces termes : « Ce n’est point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prétendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec dureté. Contentez leurs justes désirs, soulagez leurs nécessités «. on voit ici que ce qui fait la force des Grands n’est pas une supériorité réelle ou naturelle du « Grand «, mais ce sont la convoitise matérielle et le désir de pouvoir des hommes, qui se soumettent à lui justement parce qu’il satisfait leurs « justes désirs «. Exercer le pouvoir de façon juste exige que le grand soit bienfaisant, qu’il distribue de façon généreuse et équitable les biens qu’il possède et qu’il évite à tout prix l’usage de la violence car il risque de se transformer en tyran.

Ainsi, on voit que justice et pouvoir sont intimement liés. D’une part, la justice comme institution doit disposer d’un pouvoir de contrainte pour se faire respecter, et d’autre part, les principes de justice doivent constituer les fondements du pouvoir politique. Cependant, la justice s’avère souvent faible, voire impuissante car ses fondements sont fragiles et sa pratique laisse à désirer.

Concernant la justice comme valeur, on peut dire qu’elle est une notion très relative car elle n’est ni universelle ni stable. Les nombreuses définitions qu’on lui attribue témoignent de la difficulté qu’il y a à saisir son essence. Pascal a très bien perçu cette difficulté de définir la justice et il l’explique en ces termes dans ses Pensées : « l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente «.Voila une première faiblesse de la justice humaine. En effet, comment pourrait-elle constituer un pouvoir alors qu’elle n’a même pas de définition précise et stable ? En outre, les critères de la justice changent en fonction du temps et de l’espace comme le souligne ironiquement pascal : « en peu d’années de possession, les lois fondamentales changent, le droit a ses époques« ; et la critique de la justice humaine se poursuit un peu plus loin, toujours avec humour : « plaisante justice qu’une rivière borne !« Ainsi, on voit que le pouvoir de la justice est très limité, puisqu’elle ne dure pas dans le temps et ne s’étend pas à tous les lieux.

Quant à la pratique de la justice, on remarque que l’institution judiciaire, ses procédures et ses représentants sont souvent faibles face à d’autres formes de pouvoir. Pour pascal, les tribunaux sont plus proches du théâtre que de véritables institutions de justice. Les magistrats, par exemple, ne savent pas rendre la justice, c’est pourquoi, ils s’entourent d’accessoires destinés à impressionner et à terroriser les esprits, comme « les robes rouges «, « les hermines « ou « les palais « où ils « dupent « le monde. Leur sagesse n’est donc pas véritable, mais elle est fondée seulement sur l’imagination. De plus, les avocats qui utilisent toutes les ressources de la rhétorique pour défendre leurs clients, ne reculent devant rien pour obtenir gain de cause. Ils arrivent ainsi, par « le ton de leur voix « et l’assurance qu’ils feignent à tromper les plus sages : « combien un avocat bien payé d’avance trouve-t-il plus juste la cause qu’il plaide «, s’indigne Pascal. Le pouvoir judiciaire, vu de l’intérieur, laisse donc apparaître une extrême faiblesse puisqu’il est complètement asservi à d’autres puissances : l’imagination, le langage ou l’argent.

 

Comme on vient de le voir, les notions de justice et de pouvoir ont plusieurs aspects en commun. Que ce soit dans le domaine judiciaire ou politique, la justice constitue un véritable pouvoir qui permet soit d’imposer l’ordre et la loi ou de gouverner de façon équitable. Toutefois, ce pouvoir de la justice ne laisse pas de poser des questions relatives aux fondements fragiles de la justice et à sa pratique pervertie au sein des institutions. Ainsi, le pouvoir de la justice ne peut être nié, mais quel que soit sa force et son efficacité, il est diminué par la relativité et l’instabilité théorique de la notion, ainsi que par sa mise en ½uvre pratique qui laisse à désirer. Mais au-delà de la justice officielle des institutions de l’Etat, la société a tout à gagner si elle maintient vivant cet idéal de justice qui pourrait servir de contre-pouvoir pour affronter la tyrannie.

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