Devoir de Philosophie

Le Bonheur

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

Le bonheur est un thème que Kant a traité de manière secondaire dans son œuvre, car contrairement à Epicure ou Spinoza il ne doit pas constituer le but de l'existence humaine, mais bien que son approche soit peu pertinente il est possible de dégager une doctrine kantienne du bonheur.

Qu’est-ce que le bonheur ? Selon Kant la notion même de bonheur pose d’abord un problème, car le contenu concret (empirique) en est impossible à cerner.

« Le concept de bonheur n’est pas un concept que l’homme abstrait de ses instincts et qu’il extrait en lui-même de son animalité, mais c’est une simple Idée d’un état, à laquelle il veut rendre adéquat cet état sous des conditions simplement empiriques (ce qui est impossible) » 

Kant ne voit donc pas que le bonheur n'est pas une \"simple idée\" mais bien la réalité d'un sentiment que la conscience reconnait spontanément comme joie accompagnée de plénitude.

De même il pense, à tort, que le bonheur supposerait que nous puissions satisfaire tous nos désirs, pleinement et sans interruption :

« Le bonheur est la satisfaction de toutes nos inclinations (tant extensive, quant à leur variété, qu’intensive, quant au degré, et aussi protensive, quant à la durée) »  . … évidemment ce programme est irréalisable ! Mais le bonheur ne demande en réalité que de satisfaire nos besoins, c'est-à-dire nos seuls désirs naturels et nécessaires.

Chacun, sous l’impulsion de sa nature, est cependant porté à rechercher son propre bonheur. Mais du fait de l’irréalisme du contenu du concept, quiconque veut se donner comme impératif dans la vie de se consacrer effectivement à cette recherche sera bien embarrassé :

« Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept de bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire doivent être empruntés à l’expérience, et que cependant pour l’idée du bonheur, un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini si perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut véritablement. .. Richesse ? ….Connaissances ? … Longue vie ? .. Santé ? … Il n’y a donc pas à cet égard d’impératif qui puisse commander au sens strict du mot de faire ce qui rend heureux, par ce que le bonheur est un idéal non de la raison mais de l’imagination. » 

Tout cela n’empêche pas bien sûr que chacun ait pour premier mouvement naturel de se mettre à la poursuite de son bonheur propre, et que beaucoup parviennent à le trouver et à le comprendre de manière tout à fait déterminée !

Kant est en fait un moraliste qui veut critiquer l'idée - et la recherche - de bonheur pour y substituer la suprématie du devoir.

2 Bonheur et devoir :

2a Le bonheur comme fin :

Le devoir découle de l’impératif catégorique :

« Il n’y a qu’un impératif catégorique et c’est celui-ci : Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » 

Leur nature propre pousse les hommes à rechercher chacun son propre bonheur, mais cela ne correspond pas à l’essence du devoir moral :

« Le devoir doit être une nécessité pratique inconditionnée de l'action : il doit donc valoir pour tous les êtres raisonnables (les seuls auxquels peut s'appliquer absolument un impératif) et c'est seulement à ce titre qu'il est aussi une loi pour toute volonté humaine. Au contraire, ce qui est dérivé de la nature propre de l'humanité, ce qui est dérivé de certains sentiments et de certains penchants et même, si c'était possible, d'une direction qui serait particulière à la raison humaine et ne devrait pas nécessairement valoir pour la volonté de tout être raisonnable, tout cela peut bien nous fournir une maxime à notre usage mais non une loi...non un principe objectif d'après lequel nous aurions l'ordre d'agir, alors même que tous nos penchants, nos inclinations et les dispositions de notre nature y seraient contraires. » 

Poursuivre son propre bonheur n’est donc pas un devoir, c’est un point sur lequel Kant revient très souvent. La dissociation rigoureuse entre devoir et recherche du bonheur repose d’abord sur un argument purement logique :

« Le bonheur personnel est en effet une fin qu'ont certes tous les hommes (en raison de l'impulsion de leur nature) mais cette fin ne peut jamais être envisagée comme un devoir sans que l'on se contredise. Ce que chacun inévitablement veut déjà de soi-même, cela n'appartient pas au concept de devoir.. Il est contradictoire de dire qu'on est obligé de concourir de toutes ses forces à son propre bonheur. » 

A cela s’ajoute un obstacle pratique, c’est que les attentes et les désirs des uns et des autres étant contradictoires, si chacun ne recherchait que son propre bonheur, il en résulterait des conflits permanents, ce qui anéantirait toute chance de bonheur :

« Il est donc étrange, alors que le désir du bonheur est universel et par suite aussi la maxime en vertu de laquelle chacun pose ce désir comme principe déterminant de sa volonté, qu’il ait pu venir à l’esprit d’hommes sensés d’en faire pour cela une loi pratique universelle. En effet, alors que d’ordinaire une loi universelle de la nature fait que tout concorde, en ce cas, si l’on voulait attribuer à la maxime la généralité d’une loi, il s’en suivrait exactement le contraire même de l’accord, le pire des conflits et le complet anéantissement de la maxime elle-même et de sa fin…. Découvrir une loi régissant l’ensemble des inclinations tout en satisfaisant à la condition de les accorder complètement, voilà qui est parfaitement impossible. » 

Mais le fait qu’il souligne ces difficultés ne signifie pas que Kant soit un ennemi du bonheur. Au contraire, le devoir envers autrui consiste à contribuer à son bonheur :

« Que sont les fins qui sont en même temps des devoirs? Ce sont : ma perfection propre et le bonheur d'autrui. On ne peut pas intervertir les termes... Quand il est question d'un bonheur auquel ce doit être pour moi un devoir de travailler comme à ma fin, il s'agit nécessairement du bonheur d'autres hommes, de la fin (légitime) desquels je fais par là aussi ma propre fin. » 

Kant démontre que le devoir de travailler au bonheur d’autrui correspond bien au critère de l’impératif catégorique par le raisonnement suivant :

« Comme notre amour de nous-mêmes ne peut être séparé du besoin d’être aussi aimé par d’autres (et d’en être aidé en cas de danger), comme nous faisons ainsi de nous-mêmes une fin pour les autres et que cette maxime ne peut jamais obliger autrement que parce qu’elle est qualifiée pour former une loi universelle, par suite, par le biais de la volonté de faire aussi des autres une fin pour nous, le bonheur d’autrui est une fin qui est aussi un devoir. » 

Si donc le devoir envers soi-même consiste à travailler à sa perfection morale personnelle et non à rechercher son propre bonheur, la dite recherche n’est pas pour autant contraire à la morale, car elle peut contribuer à entretenir la moralité :

« L'adversité, la douleur, l'indigence sont de grandes tentations d'enfreindre son devoir ; l'aisance, la force, la santé et la prospérité en général, qui s'opposent à cette influence, peuvent donc aussi semble-t-il être regardées comme des fins qui sont en même temps des devoirs, à savoir celui de travailler à son propre bonheur et non pas seulement à celui d'autrui. Mais alors ce n'est pas le bonheur qui est la fin mais la moralité du sujet. » 

Parvenus à ce stade, nous voyons apparaître une question : si je dois travailler au bonheur d’autrui, mais que je peux aussi travailler au mien propre, comment répartir mes efforts entre ceux qui ont un but égoïste et ceux qui ont un but altruiste ? La réponse de Kant est à la fois imprécise et nuancée :

«  Je dois faire aux autres le sacrifice d’une partie de mon bien-être sans espérer de compensation, parce que c’est un devoir, mais il est impossible de déterminer avec précision jusqu’à quelles limites cela peut aller. Il importe beaucoup de savoir ce qui est vraiment un besoin pour chacun suivant sa manière de sentir, et il faut laisser à chacun le soin de le déterminer par lui-même. En effet, exiger le sacrifice de son propre bonheur, de ses vrais besoins, deviendrait une maxime contradictoire en soi si on l’érigeait en loi universelle. Ainsi ce devoir n’est qu’un devoir large, il offre la latitude de faire plus ou moins sans qu’il soit possible d’en indiquer précisément les limites. La loi vaut seulement pour les maximes, non pour les actions déterminées. » 

Cependant il ne peut pas tout à fait abandonner l'exigence du bonheur...

2b Le bonheur comme conséquence :

Faire son devoir est la source d’un certain contentement :

« L’homme pensant, lorsqu’il a triomphé de l’incitation au vice et qu’il est conscient d’avoir accompli son devoir souvent amer, se trouve dans un état de paix intérieure et de contentement que l’on peut très bien appeler bonheur, où la vertu est à elle-même sa propre gratification. ….Cependant il est clair que, puisqu’il ne peut se promettre cette gratification de la vertu que de la conscience d’avoir fait son devoir, celle qu’on nomme en dernier doit pourtant venir en premier ; c’est-à-dire qu’il doit se trouver obligé de faire son devoir avant même et sans même qu’il pense que le bonheur sera la conséquence de l’observation du devoir. » 

Mais le contentement dont il est ici question ne constitue pas un bonheur complet et, dans le monde tel qu’il est, on ne peut espérer que le bonheur de chacun soit proportionné à sa vertu :

« Le bonheur est l’état dans le monde d’un être raisonnable, pour qui, dans toute son existence, tout va selon son désir et sa volonté, et il repose par conséquent sur l’accord de la nature avec le but tout entier poursuivi par cet être, de même qu’avec le principe déterminant essentiel de sa volonté. Or la loi morale, comme loi de la liberté, ordonne par des principes déterminants qui doivent être tout à fait indépendants de la nature et de l’accord de celle-ci avec notre faculté de désirer (comme mobiles) ; d’un autre côté, l’être raisonnable qui agit dans le monde n’est assurément pas en même temps cause du monde et de la nature elle-même. Donc, dans la loi morale, il n’y a pas le moindre principe pour une connexion nécessaire entre la moralité et le bonheur proportionné d’un être qui, faisant partie du monde, en dépend, et qui justement pour cela ne peut, par sa volonté, être cause de cette nature et, pour ce qui est de son bonheur, la mettre par ses propres forces complètement d’accord avec ses principes pratiques. » 

Et pourtant, c’est la vertu qui rend digne d’être heureux, et « Pour que le bien soit complet, il faut que celui qui ne s’est pas conduit de façon à se rendre indigne du bonheur puisse espérer d’y participer. »

On se trouve ici devant l’antinomie de la raison pratique : Seule la pratique de la vertu fait mériter le bonheur, mais en fait, selon les mécanismes de la nature, rien ne garantit qu’elle l’obtienne effectivement. Pour résoudre cette antinomie, la raison pratique est conduite à postuler l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Celui-ci, dans l’au-delà de la mort, récompense la vertu par le bonheur.

Kant est ainsi un philosophe, non du bonheur et de l'éthique, mais de la croyance et de la morale.

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