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Le Costume De Théâtre

Publié le 28/09/2010

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Un débat anime les amateurs de théâtre quant à l’abandon du costume au profit d’une tenue quotidienne. Pour l’heure, il s’agit de voir dans quelle mesure le costume de théâtre joue un rôle important dans la représentation d’une pièce et s’il contribue à l’élaboration du sens pour le spectateur. En effet, comment nous permet-il de comprendre la pièce ? Et jusqu’où va son rôle dans la représentation ? Nous tâcherons d’apporter des réponses à ces questions.

 

Le costume de théâtre constitue tout d’abord un pilier de la représentation car il donne au spectateur un certain nombre de renseignements qui lui permettent de comprendre la pièce

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Il en était déjà ainsi pendant l’Antiquité, à l’avènement du théâtre. Il est intéressant d’étudier cette époque théâtrale car elle voit naître le costume ; les acteurs lui accordaient déjà de l’importance. En effet, celui-ci n’était pas celui de la vie quotidienne : on revêtait les vêtements les plus beaux. Ceux-ci variaient suivant l'époque et le genre (tragédie, comédie, drame satyrique) mais leur rôle restait identique : comme aujourd’hui, il s’agissait de faciliter l'identification des acteurs. Mais cette identification était d’autant plus nécessaire qu’un même acteur pouvait jouer plusieurs rôles – parfois très différents au – sein d'une même pièce. Le théâtre antique pose donc les bases du rôle du costume au théâtre.

Ce costume permet tout d’abord une situation. Celle-ci peut être temporelle : admettons que le spectateur se rende au théâtre pour assister à une pièce qui lui est inconnue, il pourra a priori se repérer dans le temps grâce au costume revêtu par les acteurs. Une représentation classique de Phèdre, la pièce de Jean Racine, impliquera des costumes d’époque. Les acteurs seront également richement habillés, leurs tenues seront flamboyantes ; on en déduira leur statut social élevé. Le costume entretient en effet un lien ténu avec le rang du personnage. Le simple port de l’épée révèle sa grandeur. Dans Ruy Blas, Don César est déguenillé, mais il conserve néanmoins son beau pourpoint. On en déduit qu’il est un noble déchu. Si la détermination de l’époque par le costume n’est pas toujours facilitée par le metteur en scène, elle reste relativement possible. Et lorsqu’elle ne l’est pas, c’est que le cadre temporel n’a pas d’importance à ses yeux. Une pièce absurde comme La Cantatrice Chauve, par exemple, voit ses costumes évoluer au fil des décennies : ce sont ceux de la vie quotidienne, pour des scènes de vie absurdes applicables à notre quotidien.

D’autre part, le costume de théâtre nous donne de nombreux renseignements sur les personnages. L’habillement de certains permet d’ailleurs une identification immédiate de leur nom. Arlequin, par exemple, est aisément repérable grâce à sa tenue bariolée et la bourse à sa ceinture (on le trouve dans la pièce Le jeu du hasard et de l’amour, de Marivaux). On peut aussi déterminer le type de rôle joué par l’acteur simplement grâce à son costume : on distinguera alors le valet (ou l’esclave, tout dépend de l’époque) grâce sa tenue de travail, et l’on en déduira leur rôle de confident. Il en va de même pour la soubrette, que son costume promet franche et gaie comme Suzanne dans Le Mariage de Figaro. Les différents changements de costume d’un personnage nous permettent de suivre son évolution et nous révèlent au passage des éléments supplémentaires sur sa personnalité. Dans Ruy Blas, c’est un Don César déguenillé qui apparaît dans la scène 2 de l’acte IV après être passé par la cheminée. Celui-ci, constatant l’état déplorable de son pourpoint, décide de se servir dans une malle de vêtements et récupère les habits d’un noble donc une partie de sa dignité de grand d’Espagne. Mais quelques scènes plus tard, il se retrouve dépouillé de son nouveau manteau par les Aguazils, sur l’ordre de Don Salluste. Ici, Don César étant écartelé entre ses origines nobles et une vie « de chat sauvage «, proche de celle d’un homme du peuple. Il dégage une impression de flottement, sa place n’est pas fixée au sein de la société. C’est bien son costume qui nous permet de tirer une telle conclusion.

 

Le costume de théâtre a donc un vrai rôle à jouer dans la compréhension, de par le grand nombre d’indications qu’il apporte. Mais s’il aide le spectateur à l’élaboration du sens de la pièce, nous allons voir qu’il sert aussi à l’élaboration de la pièce elle-même.

 

Le costume joue effectivement un rôle important dans la représentation d’une pièce, car il est un instrument essentiel à plusieurs échelles.

 

Il est parfois un engrenage indispensable au mécanisme de la pièce. Lorsque l’intrigue est centrée sur un échange d’identité, le costume devient indispensable. C’est en effet grâce à lui qu’est permis cet échange. Il en est ainsi pour la pièce de Marivaux citée précédemment. En effet, Sylvia et Dorante, qui sont promis l’un à l’autre mais ne souhaitent pas se marier ni se rencontrer directement, échangent respectivement leur place avec Lisette et Arlequin, femme de chambre pour l’une et domestique pour l’autre. Cet échange fonctionnerait si les deux serviteurs parlaient d’une façon accordée à leur costume, mais ce n’est pas le cas, et grâce à ce décalage, on peut assister au gigantesque quiproquo que constitue l’intrigue. De plus, on sait que le costume de noble revêtu par Ruy Blas dans la pièce éponyme sert aux autres personnages, et plus particulièrement à les tromper. Par extension, il est donc utile à l’intrigue. Habillé magnifiquement, Ruy Blas se fait passer pour Don César ; comme il a reçu, étant enfant, une bonne éducation, il n’y a pas d’écart entre son vêtement et son langage : la supercherie peut fonctionner.

Le costume est également utile aux auteurs de théâtre. Pour Molière, par exemple, le costume contribue à la fois à la satire et au comique. Dans Le Bourgeois Gentilhomme,  Monsieur Jourdain, qui entend acquérir les manières des gens de qualité, se commande un nouvel habit, adapté selon lui à sa nouvelle condition. D’une part, cela permet à Molière une critique négative des riches bourgeois qui ont la manie d’imiter les nobles, et d’autre part cela induit le comique. En effet, celui-ci naît notamment des taquineries de Nicole, la servante, vis-à-vis du costume porté par Monsieur Jourdain. L’apparition même du personnage paré de couleurs vives, de dentelles d’argent et de plumes multicolores suscite le rire du spectateur. De la même manière le côté ridicule d’Harpagon, dont la satire est peinte dans L’Avare, est renforcé par son costume, un « pourpoint avec des aiguillettes «. Tromper le spectateur peut également servir à l’élaboration du sens. Par exemple Vercors, l’auteur de Zoo ou l’Assasin Philanthrope, écrit sa pièce dans le but de provoquer une réflexion sur la nature de l’Homme. Sybil est confondue avec une tropiette grâce à son costume dans le tableau 1 de l’acte I : cela montre comme le lien est ténu entre homme et l’animal. Si l’on peine ainsi à les distinguer l’un de l’autre, c’est sans doute qu’il est temps de reconsidérer notre définition de l’Homme. Ainsi l’auteur fait-il passer son message.

On peut dire que l’interprétation du spectateur dépend d’une première interprétation effectuée par le metteur en scène. Si la lecture d’une pièce de théâtre permet au futur spectateur de recueillir un nombre relativement important d’indications sur les costumes, celles-ci ne sont pas forcément respectées par le metteur en scène lorsqu’elles prennent place dans les didascalies externes. Ainsi, le choix des costumes opéré par le metteur en scène varie et a un impact sur la façon qu’a le spectateur d’appréhender la pièce. La symbolique des couleurs, par exemple, n’est pas toujours respectée. Le metteur en scène se sert alors de ce non-respect pour mettre en valeur une caractéristique du personnage. Mais outre le choix entre deux couleurs, le metteur en scène peut être amené à faire son choix entre deux costumes. Par exemple, dans les animaux dénaturés, Pop est un prêtre doublé d’un scientifique. Il y a donc deux façons de le représenter : soit en homme de sciences, soit en homme d’Eglise. Dans le premier cas, son costume sera composé de vêtements simples (voire dépareillés, si l’on veut insister sur le côté rêveur du scientifique trop préoccupé par ses recherches pour choisir une tenue harmonieuse). Dans le second cas, le port de l’habit de prêtre attirera sur Pop l’attention du spectateur. En effet, il sera seul sur scène à être ainsi paré, se démarquant des autres personnages en tenue plus classique. Selon son interprétation de la pièce, le metteur peut également choisir de détourner la nature initiale d’un personnage. Ainsi un fou peut avoir un costume de fou, ou le costume d’un homme propre sur lui. Dans le premier cas il sera symbolique de sa folie, dans le deuxième il révèlera une intelligence supérieure. Par exemple, l’idée que se faisait Jarry du costume d’Ubu dans sa pièce Ubu roi était un vêtement encombrant représentant sa masse imposante et pourvu, sur la panse, d’une grande spirale hypnotique, allégorie de la folie du personnage. La pièce relevant de l’absurde, l’on pourrait imaginer un Ubu en costume trois pièces. Mais cela ne serait pas synonyme d’une quelconque intelligence, le personnage étant, tout comme son vocabulaire, foncièrement simplet.

 

On peut conclure que le costume de théâtre joue un rôle important dans la représentation puisqu’il apporte du sens et facilite la compréhension du spectateur. Cependant, la pièce ne repose pas uniquement sur lui ; le décor, le jeu des comédiens et surtout le texte de la pièce ont également leur importance. Que penser alors de son abandon ?

 

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