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Se Perdre Dans La Passion Ou Perdre toute Passion ?

Publié le 05/12/2010

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Descartes a dit : « Les passions sont toutes bonnes de leur nature et nous n'avons rien à éviter que leurs mauvais usages ou leurs excès. «. On peut dire de cette citation, que les passions, désignant  au sens moderne une inclination exclusive vers un objet, un état affectif violent et durable, n’ont pas seulement un effet positif sur l’homme. La passion doit-elle alors être nuancée pour ne pas être négative ? C’est alors que nous nous demandons : « Vaut-il mieux se perdre dans la passion qu’avoir perdu toute passion ? «  D’autre part, une passion peut bouleverser une vie et générer une extrême satisfaction si elle est assouvie, comme elle peut décevoir au plus haut point  lors de sa réalisation. Il est donc complexe de comprendre si la passion est acceptable même si, par son ambivalence elle nous rend malheureux ou si par son exclusivité elle nous empêche de désirer autre chose. Il est aussi difficile d’imaginer une vie sans passion, et l’ennui qu’elle provoquerait… Dans un premier temps, nous allons nous interroger sur les intérêts d’une vie sans passion, en considérant que la passion nous empêche d’agir raisonnablement, qu’elle est incontrôlable, dangereuse et  douloureuse. Ensuite nous verrons, que bien que la passion soit apparentée à la douleur par son étymologie grecque (le terme « passion « vient de « Patior « qui signifie « subir « et de  « pathos « qui signifie « souffrance « , « maladie «), elle nous permet de vaincre et de dépasser les souffrances venant de l’extérieur, qu’elle nous pousse à agir et qu’elle nous offre les sensations de la vie (que ce soit souffrance ou joie). Et enfin nous nous demanderons, si une passion autre que celle proposées, nuancée, maitrisée ne pourrait pas nous offrir un bouclier contre la douleur, plus efficace que toutes les autres solutions. Il est indispensable de se poser cette question pour connaitre, ou du moins, avoir une idée, de comment gérer les passions, pour savoir s’il est mieux de les faire disparaitre ou au contraire de leur donner la priorité, ou encore si elles doivent nous mener nécessairement à la douleur. Cette question a été traitée à de nombreuses reprises, à différentes époques et elle semble donc primordiale, pour nous aider à éviter la souffrance, tout en ne faisant pas l’impasse sur l’essence de notre vie. 

 

Nous allons, tout d’abord disséquer les raisons qui mènent certains philosophes à penser que la passion est dangereuse et inutile à l’humain, qu’il faut donc les bannir et apprendre à vivre sans. 

La première raison que nous allons évoquer est le fait que le terme de passion contienne une notion d’exclusivité, par conséquent elle prend la place la plus importante dans l’esprit, et on peut alors considérer qu’elle supprime, toute réflexion rationnelle, et augmente les risques de commettre des actions déraisonnable. Pour cela, on peut dire que se perdre dans une passion dévorante est un obstacle aux pensées basées sur des éléments entièrement sensés, une passion dévorante est synonyme de perte de repère. On remarque que le terme de passion est très souvent opposé à celui de raison, notamment chez les stoïciens. En effet, Zénon de Cittium, fondateur du stoïcisme a notamment dit, dans Tusculanes, à propos de la passion : « la passion est un ébranlement de l’âme opposé à la droite raison et contre nature «. Il est donc bien visible que les stoïciens considèrent la passion comme une chose qu’il faut éviter à tout prix, à laquelle il faut résister pour conserver toute sa raison. De plus, les stoïciens, prônant raison et sagesse pour atteindre le bonheur, pensent que la vertu représente le bien et que la passion en est l’inverse, qu’elle incarne la perversion même.Mais les stoïciens ne sont pas les seuls à opposer raison et passion, en effet, bien avant eux, Platon situait ces deux « constituants « de l’humain dans différents endroits du corps et les opposait.  Nous pouvons donc dire que la passion, par son exclusivité fait disparaitre les autres désirs et même la notion de certains besoins, une passion non satisfaite peut nous couper l’appétit et nous nuire au bout d’un certain temps, mais qu’elle s’oppose également à la raison. Elle n’apparait donc pas vraiment utile et peut nous mener à la folie. Marguerite Duras se dit la proie de son écriture, elle parle d’ « aparté infernal «, qui l’empêche de vivre, d’être avec les autres.

 De plus la passion est un sentiment incontrôlable, auquel nous sommes soumis, qui nous transforme en esclaves. Et ce que l’on ne peut maitriser ne peut nous rendre que méfiant. Kant, philosophe allemand, fondateur de l’idéalisme transcendantal considère la passion comme une « inclination que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n’y parvient qu’avec peine « (Anthropologie du point de vue pragmatique). De plus, comme nous l’avons vu précédemment, la passion n’est pas souvent en accord avec la raison, ce qui la rend encore plus incontrôlable.  En effet, comme le dit Spinoza dans l’Ethique la passion est plus efficace que la raison pour nous faire agir, « Souvent nous voyons le meilleur, et nous suivons le pire «. Nous pouvons en déduire que, si la passion nous pousse à agir, elle ne nous pousse pas à agir de la meilleure façon, puisque l’action est dépourvue de réflexion. On peut donc conclure que la passion est perçue par certains comme un véritable danger, un sentiment indomptable qui mène à ce qu’on pourrait apparenter à de la folie (puisque perte de repères et de tout raisonnement sensé). 

La passion est dangereuse et douloureuse. Comme le prescrit son étymologie grecque, la passion est une douleur. Elle pourrait même être apparentée à une pathologie, à une maladie, donc. En effet, chaque obstacle qui nous empêche d’atteindre l’assouvissement de notre passion incarne une douleur, une souffrance, qui nous rend malheureux. Mais, ce n’est pas tout, même un obstacle que nous réussissons à franchir ne nous mène pas au bonheur, mais simplement à un état de plaisir, état passager, éphémère qui connaît la satiété et les regrets. Opposé au bonheur qui, lui, réunit l’inverse de ces caractéristiques. Comme le dit Sénèque, « le plaisir […] aboutit à un point où il cesse, et dès son début, il regarde vers sa fin. «. Effectivement, l’assouvissement de notre passion ne mène qu’à un plaisir bref et éphémère qui ne nous mène, lui, qu’à en vouloir encore plus, ainsi celui qui collectionne des guitares, après avoir eu la Gibson SG qu’il attendait depuis toujours, ne s’arrêtera pas là, il ne rêvera ensuite que de se procurer la Gibson Les Paul and Marshall qui lui paraitra alors bien mieux que celle qu’il vient d’acquérir. L’insatiabilité de l’être humain ne nous permet donc pas de vivre passionné et de s’en sentir heureux et comblé. Parce que quoique l’on fasse pour cette passion, ceci est vain, ne nous conduit qu’au malheur et à l’insatisfaction ou à un plaisir bref qui n’aboutit à la fin, qu’à cette même insatisfaction. Alors il ne vaut mieux pas se plier aux passions pour n’atteindre qu’un « aperçu « de bonheur qui ne nous donne que l’envie d’en avoir encore plus. Si l’on considère que les difficultés que l’on doit dépasser pour satisfaire un désir en lien avec notre passion, ne mène qu’à un « aperçu « de bonheur qui ne dure pas et qui n’en atteint même pas l’intensité, il n’est même plus la peine de se fatiguer. Puisque tout cela semble alors vain et ne peut nous mener, à la fin, qu’au malheur. 

 

Nous avons donc vu, ici, les arguments qui nous mèneraient à éradiquer toute passion de notre vie, en effet, elle apparait comme un sentiment déraisonnable, indomptable, dangereux qui nous mène à la souffrance. Devrions-nous vivre alors comme les stoïciens qui préfèrent ignorer tout désir et toute passion pour s’assurer la tranquillité ? Ceci, ne semble pas être la bonne solution, car tous ces arguments sont réfutables car beaucoup sont prêts à sacrifier leur raison, au profit de leur passion. Nous allons donc étudier maintenant les motifs qui nous mèneraient à faire l’impasse sur notre raison, notre bien-être et notre liberté pour vivre aliéné par notre passion. 

 

Bien souvent, la passion prend la première place, c’est grâce à elle que nous trouvons le courage d’endurer ce que la vie a de douloureux (décès, déceptions…). Sans cette passion, nous nous retrouverions alors à découvert, vulnérables à la souffrance extérieure. En effet, on peut dire qu’avoir une passion est synonyme d’espoir, puisqu’elle est liée à la satisfaction des désirs et au plaisir. On peut donc supposer que chaque pas vers la satisfaction d’une partie de notre passion, d’un désir, provoque la délectation et que la passion mènerait donc, non pas au bonheur mais au plaisir. Mais ce plaisir, même bref et éphémère ne serait-il pas une belle contrepartie pour obtenir une vie, à l’abri de toutes les douleurs extérieures ? Dans l’Amant de Marguerite Duras, la passion n’est pas présentée comme un sentiment négatif, mais l’auteur parle au contraire d’une passion amoureuse aveuglante qui lui fait oublier tous les obstacles à sa relation avec celui qu’elle désigne comme « le chinois «, sa pauvreté, le fait que la société coloniale n’accepte pas les relations entre asiatiques et européens, la relation compliquée avec sa mère… Tout cela lui semble secondaire. La passion qui l’anime fait disparaitre le reste, le relègue au second plan. Cette passion, apparait alors comme un remède à toutes les souffrances de la vie, mais il faut être prêt, alors, à s’exposer aux douleurs issues de la passion et à ne jouir pas du bonheur mais du plaisir. 

 La passion nous donne l’impression de vivre et nous permet d’évoluer. En effet, qu’elle nous procure du plaisir, ou qu’elle nous fasse souffrir, notre passion nous donne la sensation de vivre, elle nous en donne même la certitude. Tandis que le « rien « que visent les stoïciens ne donne pas une impression de vie mais à l’inverse, morbide. Nous ne sommes plus des humains mais des robots (ou des concombres). En effet, il parait saugrenu de dire que la douleur nous rend vivante, et nous fait avancer, évoluer, mais il est toujours vrai que, comme le dit le dicton, « à quelque chose, malheur est bon. «. Dans le même sens, Hegel sous entend que le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans passions (dans un sens mélioratif) : « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. « (La raison dans l’histoire). Ainsi Beethoven, même sourd, mené par sa passion de la musique, a composé de multiples symphonies, sonates et concertos, que l’on ne différencie pas, au niveau de la qualité, de celles qu’il a composées quand il était encore entendant et qui ont marqué l’histoire de la musique.   

 La passion est un moteur. En effet la raison seule n’a pas de prise sur l’action, la passion est celle des deux qui nous pousse à agir. Cependant, ce que nous dit notre passion s’oppose souvent à ce que veut la raison. Dans son traité de la nature humaine, D. Hume suppose que les actions menées par des passions ne peuvent être déraisonnables que sous deux conditions, si elles sont basées sur des jugements faux ou, si nous choisissons des moyens inappropriés pour assouvir ces passions : « Une passion doit s’accompagner d’un jugement faux pour être déraisonnable ; et même alors, ce n’est pas la passion qui, à proprement parler, est déraisonnable, c’est le jugement. « On peut donc considérer si l’on suit cette pensée, que chaque passion et chaque action provoquée par une passion a du bon, il n’en dépend que de notre jugement et de notre façon de l’assouvir.  En effet, Balzac a dit : « les passions sont toute l’humanité «. Les passions sont ce qui nous différencie de l’animal, mais en même temps, c’est aussi elles qui nous rapprochent de lui, puisqu’elle s’oppose chez de nombreux philosophes à la raison et au raisonnement. La passion est donc ambivalente.

 

Mais ce raisonnement nous mène à une impasse, car lorsque nous tentons d’éradiquer nos passions, pour se mettre à l’abri de la souffrance, nous nous trouvons exposé aux souffrances extérieures, telles que des déceptions ou des décès. Et lorsque nous tentons, au contraire de vivre notre passion pour s’épargner les souffrances extérieures, nous nous mettons à souffrir de cette passion parce que lorsqu’elle est assouvie elle ne procure pas un bonheur durable et lorsqu’elle n’est pas satisfaite elle provoque un sentiment de frustration et d’insatisfaction, car l’humain passionné se montre insatiable. Mais sommes nous alors voués à rester malheureux, passionné ou pas ? La réponse semble être non, en effet il existe une alternative à ces deux propositions, qui semble pouvoir nous rendre heureux, celle de maitriser nos passions, de savoir les dompter pour échapper à l’assouvissement, la perte de raisonnement et la folie… Mais une autre solution est aussi imaginable pour se tenir à l’abri de la souffrance Celle de ne jamais atteindre l’assouvissement de notre passion, et de rester ainsi, dans une sorte d’ataraxie joyeuse qui nous empêcherai d’être déçus ou malheureux…

 

Au regard de toutes ces propositions, aucune ne semble nous permettre d’accéder au bonheur par la passion ou sans passion et par conséquent d’éviter la douleur. Celle d’accepter une passion « nuancée «, qui ne risque pas de nous rendre fou, mas qui ne possède que des cotés positifs serait peut être une alternative pour ne pas avoir à bannir nos passions de nos vies mais au contraire de les prendre en considération tout en ne les laissant pas prendre le pas sur notre raison. Pour arriver à cela il faudrait arriver à dompter ses passions, sans néanmoins les considérer comme inutile. Cet argument est suivi par Rousseau qui admet dans Emile ou de l’éducation (livre V) à propos des passions que « Toutes sont bonnes quand on en reste le maître; toutes sont mauvaises quand on s'y laisse assujettir. « Cela sous-entend que l’ont peut  maitriser ses passions. Mais quelle serait alors le mode d’emploi qui nous permettrait d’y parvenir ? Il semble plus facile cependant de ne pas maitriser sa passion mais plutôt l’intensité de cette passion. Ainsi, le « geek « pourrait maitriser cette intensité, en se sociabilisant, en agrandissant son cercle d’amis et en ayant une autre vie que sa vie virtuelle, tout en restant en contact avec ce qui le passionne. Toutefois, il existe une seconde solution qui nous permettrait de concilier passion et plaisir en évitant la souffrance. 

Cette seconde solution serait de laisser nos passions inassouvies. Pour retirer du plaisir d’une passion insatisfaite, il faudrait alors savoir se contenter des joies provenant de chaque obstacle dépassé. Le plaisir serait alors les difficultés que l’on dépasse pour accéder à notre passion. C’est ce que nous dit Baudelaire dans Le spleen de Paris… « A quoi bon exécuter des projets, puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante ?« (XXIV. Les projets.). Mais Rousseau est du même avis, dans Julie ou La Nouvelle Héloïse, il nous dit : « On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on est heureux qu’avant d’être heureux «. Devrait-on alors connaitre nos désirs, nos passions en se contentant de cet état de fébrilité joyeuse qui précède l’assouvissement, et ne jamais les combler ? Ainsi, l’amoureux, resterai toujours en admiration devant celle qu’il aime, fébrile, à chaque pas qu’elle ferait vers lui, mais il n’y aurait jamais de désillusion, ni de quotidien destructeur. Ainsi, c’est ce qui semble être la meilleure solution. Rester dans l’attente, ne jamais passer à l’acte, pour ne jamais être déçu et pour, ainsi, ne jamais souffrir. Cela voudrait donc dire que cet état d’insatisfaction pourrait attirer le passionné. A moins que nous considérions que cette insatisfaction n’existe pas, car le passionné gomme toute frustration grâce au pouvoir de son imagination.

 

Nous avons donc constaté que le fait que raison et passion s’opposent, que la passion nous aveugle, qu’elle puisse prendre notre contrôle et enfin qu’elle génère forcément de la souffrance, nous encourage à l’éradiquer et à la bannir de notre vie. Mais d’autres arguments s’opposent à ceux-ci, en effet, nous avons vu que la passion est un bouclier formidable contre les souffrances extérieures, que la souffrance due à la passion nous fait évoluer, mais aussi qu’elle représente un moteur important qui nous pousse à agir face à la raison. Mais il existe des solutions pour sortir de ces contradictions insondables. En effet deux solutions alternatives, sembleraient adaptées pour vivre avec la passion, tout en évitant, le plus possible, la souffrance. Tout d’abord, vivre une passion apprivoisée, qui, sous contrôle ne pourrait pas nous emporter dans la folie, serait une bonne alternative, car cette folie sans excès ne serait pas motif de souffrance, mais au contraire, de petites joies. L’autre solution, la plus efficace, serait de rester avec ses passions, de leur donner de l’importance, sans pour autant, les assouvir. Cela permettrait en effet de rester en permanence dans une sorte d’impatience heureuse, et de nous abriter de la déception que pourrait générer l’assouvissement de notre passion. De plus, le passionné, pourrait trouver un exutoire dans son imagination, sans douleur, sans déception.

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