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mot d'esprit

Publié le 07/04/2015

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esprit

mot d'esprit (angl. Joke; allem. Witz). Jeu de l'esprit qui use le plus souvent des ressources propres du langage et dont Freud a démonté la technique afin de rendre compte de la satisfaction particulière qu'il apporte

et plus généralement de son rôle dans la vie psychique.

Dès qu'il commence son travail cli­nique, dans les premières cures des hystériques, Freud est confronté à la question du mot d'esprit. Si en effet une représentation inconsciente est refoulée, elle peut faire retour sous une forme méconnaissable afin de déjouer la censure. Or, curieusement, le

double sens« d'un mot, la polysémie langagière peut constituer la forme la plus appropriée de ces transforma­tions: il en était ainsi par exemple pour cette jeune femme qui souffrait d'une douleur térébrante au front, douleur qui renvoyait inconsciemment à un lointain souvenir de sa grand-mère méfiante, qui la regardait avec un regard « perçant «. L'inconscient, ici, joue avec les mots, et l'interprétation fonctionne tout naturellement comme mot d'esprit.

Aussi, lorsque Freud prend un peu de recul par rapport au travail strictement clinique, va-t-il être amené à consacrer à cette question un ouvrage entier, le Mot d'esprit et ses rapports avec l'in­conscient (1905). Ce livre constitue, avec l'Interprétation des rêves (1900) et la Psy­chopathologie de la vie quotidienne (1901), l'une des trois grandes oeuvres consa­crées aux mécanismes langagiers de l'inconscient.

Qu'est-ce qui fait qu'une interjec­tion, une formule, une répartie peut être considérée comme un mot d'esprit ? Freud consacre d'abord une longue partie de son ouvrage à l'étude des mécanismes formels de l'esprit, qui sont les mêmes d'ailleurs que ceux du travail du rêve, c'est-à-dire de l'élabora­tion qui produit le rêve manifeste à partir du rêve latent. De ces méca­nismes, la condensation est sans doute le plus fréquent. C'est elle qui est en jeu dans le premier exemple que donne Freud. Dans une pièce des Tableaux de voyage, de Heine, Hirsh-Hyacinthe, buraliste de loterie et chirurgien pédi­

cure, se targue de ses relations avec le riche baron de Rothschild et termine par ces mots : «Docteur, aussi vrai que Dieu m'accorde ses faveurs, j'étais assis à côté de Salomon Rothschild et il me traitait tout à fait d'égal à égal, de façon toute familionnaire« (--> formations de l'inconscient). On voit le sens qu'un tel mot d'esprit peut avoir: Rothschild le traitait familièrement, mais pas plus qu'il n'est possible à un millionnaire, il le traitait sans doute avec cette condes­cendance ordinaire aux gens très riches. Mais on voit en même temps combien la valeur spirituelle est liée à la forme linguistique elle-même, à la condensation de familier et de million­naire dans un néologisme. Exprimée autrement, l'idée perdrait tout carac­tère spirituel.

Il y a bien évidemment une très grande variété de mots d'esprit, qui peuvent jouer sur la condensation, mais aussi par exemple sur le « déplace­ment «, voire sur plusieurs registres à la fois, Freud en décrit longuement le fonctionnement en prenant beaucoup de ses exemples dans les histoires juives. Ainsi, deux juifs se rencontrent au voisinage d'un établissement de

bains :                 pris un bain?« demande l'un d'eux — Comment? dit l'autre, en manquerait-il donc un ?« Ici, la condensa­tion réside dans le double sens du verbe prendre; mais il y a en même temps déplacement de l'accent, le second fei­gnant d'entendre «As-tu pris un bain?« lorsque le premier lui demandait : As-tu pris un bain?«

À quoi tient la satisfaction ressentie à faire ou à écouter un mot d'esprit ? Le pur et simple jeu sur les mots, sur les sonorités par exemple, n'est pas négli­geable, en tant qu'il renvoie à un plaisir important de l'enfance. Mais Freud insiste surtout sur le fait que ce qui se dit avec esprit est plus facilement accepté par la censure, même s'il s'agit d'idées ordinairement rejetées par la conscience. Le sujet, lorsqu'il fait ou

écoute un mot d'esprit, n'a pas besoin de maintenir le refoulement auquel ordinairement il a recours. Il libère ainsi l'énergie habituellement utilisée à cet usage et c'est dans cette épargne d'énergie qu'il trouve son plaisir, celui-ci se définissant classiquement comme diminution de la tension.

Freud fait par ailleurs un recense­ment des principales tendances de l'esprit: l'esprit obscène, l'esprit agres­sif, l'esprit cynique, l'esprit sceptique. On voit bien, ne serait-ce qu'à travers l'exemple de Hirsch-Hyacinthe, combien il peut être important pour un sujet qui a dû rentrer en lui-même plainte ou moquerie de pouvoir laisser paraître son sentiment, à la faveur du mot d'esprit; le Mot d'esprit et ses rap­ports avec l'inconscient abonde en exemples voisins de celui-ci, en exemples de marieurs, notamment, qui doivent sans cesse dissimuler pour vanter l'excellence des unions qu'ils

favorisent, marieurs qui, à l'occasion, laissent voir une réalité bien différente lorsque l'affaire leur échappe. «Celui qui laisse ainsi échapper inopinément la vérité, dit Freud, est en réalité heu­reux de jeter le masque.

 

Si, dans le mot d'esprit, le sujet peut enfin prendre la parole, c'est qu'en fai­sant rire il désarme l'Autre, qui pour­rait le critiquer, Freud souligne le statut du tiers dans le mot d'esprit; une moquerie peut viser une personne donnée : mais elle ne vaut comme mot d'esprit que si elle est énoncée pour un tiers, un tiers qui en riant va confirmer qu'elle est recevable. Ce tiers peut être considéré comme une des sources à partir desquelles Lacan constitue son concept de l'Autre, cette instance auprès de laquelle nous cherchons à faire reconnaître notre vérité. Pris ainsi, le mot d'esprit donne une des représen­tations les plus précises de la levée du refoulement.

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