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Analyse du roman "Forbidden Experience"

Publié le 09/09/2018

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Car la production de perles n’est pas la seule métaphore servant à illustrer l’industrie littéraire ; le commerce de la bile est en effet une image récurrente tout au long du roman. Pour financer son projet ambitieux qu’il qualifie d’utopique, Bill Yeary a besoin d’argent, de beaucoup d’argent, et « pour faire de l’argent, beaucoup d’argent, il faut presque toujours se salir les mains » explique-t-il. C’est ce qui le conduit à devenir trafiquant de bile d’ours, et ainsi à « franchir le pont du mal pour arriver jusqu’au bien ». Une fois son projet lancé, il utilisera toutefois ces méthodes d’extraction de la bile d’ours sur ses encagés pour faire « d’une pierre deux coups » comme il le dit à Deborah dans la première partie, car le commerce de la bile (même humaine) lui est plus lucratif que le commerce de chefs-d’œuvre (les perles), notamment parce que ceux-ci, comme les perles, sont difficiles à produire et ne sont pas toujours des réussites. Cela peut faire penser au rapport tendu qu’entretient la « grande » littérature avec l’économie. En effet, les œuvres plus « savantes » jouissent d’une meilleure réputation, mais se vendent moins bien ; or, il peut être coûteux d’imprimer et de distribuer un livre, ces frais doivent être payés ou remboursés d’une façon ou d’une autre. L’édition d’un livre très « littéraire » (la poésie par exemple) s’adressant à un public très restreint, il est toujours risqué de débloquer des fonds pour promouvoir ce type d’écrits ; les textes plus accessibles, se vendant mieux, agissent comme balancier et permettent aux éditeurs de donner leur chance aux écrivains talentueux. Cela se voit particulièrement bien au cinéma, les films coûtant sensiblement plus cher à produire que les livres, ce qui augmente les risques de pertes en cas d’échec commercial, d’où la nécessité pour les studios, au grand dam des spectateurs, de concevoir des films dont la rentabilité est assurée (on sait par exemple que le quatrième volet de la franchise Pirates des Caraïbes est le plus lucratif du quatuor en dépit du fait qu’il fut mal-aimé des critiques comme du public) pour engendrer un revenu facile permettant ensuite de produire des œuvres plus risquées. C’est notamment ce que fait la maison de production de Luc Besson, EuropaCorp, qui s’emploie à financer à la fois des films d’action comme Le Transporteur, Taxi ou Taken, mais aussi des films d’auteur comme L’amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder ou La source des femmes de Radu Mihaileanu. La production d’œuvres médiocres et purement commerciales pour pouvoir subventionner les œuvres plus risquée s’apparente ainsi au commerce de la bile, décrit comme un mal nécessaire à l’accomplissement d’un bien.

Ainsi, L’expérience interdite traite résolument de la condition de l’écrivain contemporain dans un monde dominé par l’argent. Par le biais de l’allégorie, le roman décortique le fonctionnement de l’industrie littéraire, de sa hiérarchie, de son réseau. Le monde de l’édition, à travers la figure de l’infâme Bill Yeary, est présenté comme un monde hypocrite et capitaliste se servant des auteurs comme d’esclaves dociles et satisfaits, et de leur nom comme de marques ; la troisième partie du roman justifie cependant partiellement ces méthodes, car sans elles les écrivains n’auraient aucun travail, étant inadaptés au monde du « show » et du « business » qui les entoure. Ce monde terrifiant est ainsi perçu comme « un mal pour un bien », car étant en adéquation avec une réalité socioéconomique contemporaine, mais il demeure empreint d’une cruauté sans nom.

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« solitaires fuyant la société font écho aux hikikomoris, mais surtout aux écrivains.

En effet, si la figure de l’hikikomori et du Yéti reviennent si souvent, c’est parce qu’elles sont emblématiques de la personnalité attribuée aux talentueux auteurs recherchés par Bill Yeary.Les deuxième et troisième chapitres introduisent Deborah, qui, disparaissant ensuite pour ne plus réapparaître (laissant un flou autour de son destin ; est -elle devenue une encagée, ou l’une des acolytes de Yeary ?), n’a pour seule fonction que d’amener Bill Yeary à présenter les grandes lignes de son projet sinistre ainsi que le modèle d’encagé-type de son expérience.

« Nous fabriquons de petits Mozart, de petits Rimbaud, de petits Leonardo » dit-il à Deborah avant de se justifier en expliquant que les personnes qu’ils séquestrent, en tant qu’introverties, ont toujours été encagées, des « parias invisibles » cherchant la liberté « en creusant des tunnels à l’intérieur d’eux-mêmes » ; bref, ces cages seraient des hôtels pour ces hommes et ces femmes incapables de vivre en société et ne souhaitant que l’isolement.

Il établit aussi un lien entre la souffrance et la production de grands textes.

Il existe en effet une certaine corrélation entre l’acte créateur et le mal-être, ici symbolisé par le cathéter allant chercher la bile (qui, pour Hippocrate, était associée aux humeurs sombres comme la mélancolie (bile noire) ou la colère (bile jaune)) ; c’est la figure du poète maudit, dont le plus mythique représentant demeure Baudelaire et son spleen.

« Ce sont dans mes moments de rage que l’inspiration sort d’un coup » nous dira d’ailleurs plus tard le nègre littéraire séquestré d’un écrivain célèbre. C’est que Bill Yeary, dans son délire mégalomane, ne souhaite pas seulement vendre des manuscrits, il ne souhaite pas seulement faire de l’argent, ce qu’il veut c’est de la reconnaissance, des prix littéraires, de bonnes critiques, bref il veut produire une littérature « haut -de-gamme ».

Il est ainsi à la recherche à la fois d’un « capital économique » et à la fois d’un « capital symbolique », comme l’a théorisé Pierre Bourdieu .

À la fin de la première partie, on le voit en effet acheter un supposé « futur Dostoïevski » ; Bill Yeary s’inquiète de sa valeur réelle puisqu’il y a des encagés « qui crèvent avant d’avoir pondu quoi que ce soit, et d’autres qui ne valent pas un Goncourt ou un Booker Prize », confirmant ainsi son désir de faire remporter du succès critique et commercial aux œuvres de ses écrivains. La seconde partie du roman s’attarde quant à elle au fonctionnement interne de la caverne dans laquelle sont enfermés les écrivains de Bill Yeary.

Sa structure physique et la disposition des cages servant ici d’allégorie des hiérarchies existant en littérature.

En effet, cette caverne est une « cité verticale » à plusieurs étages où les meilleurs se méritent le droit de figurer au sommet.

Les « encagés inférieurs » sont, à en croire le narrateur, lui-même un encagé, des créatures sales et vulgaires faisant des fautes et n’ayant que peu de style, tandis que les « encagés supérieurs » sont des êtres raffinés et intelligents dont les écrits sont plus « spirituels ».

Ici se dessine bien évidemment la distinction entre culture populaire et culture savante, mais le narrateur apporte toutefois une nuance importante.

En effet, si en gravissant les échelons de cette hiérarchie le contenu des écrits « se spiritualise », il a aussi tendance à diminuer en volume.

« Y a - t-il un lien entre la sagesse et la raréfaction des mots ? » se questionne le narrateur.

La reconnaissance rendrait-elle les écrivains paresseux ? Les pousserait-elle à se reposer sur leurs lauriers ? Car non seulement les écrits des encagés supérieurs se font plus rares, mais ils sont aussi moins bons.

« Ce sont souvent ceux qui sont en bas qui écrivent le mieux » observe le narrateur.

Ils auraient moins de style, mais peut-être plus de cœur.

Avec la reconnaissance vient en effet l’assurance de vendre, car le nom de l’auteur devient une marque.

Les romans de Patrick Sénécal ou ceux de Stephen King ne se vendent -ils pas grâce à leur nom prenant parfois la moitié de l’espace sur la page couverture ? Récemment, J.

K.

Rowling n’a -t-elle pas tenté de publié son roman L’Appel du Coucou sous un pseudonyme pour éviter que son nom ne serve d’argument de vente ? Pour le narrateur, « c’est le pouvoir qui les corrompt ».

Sans cette assurance de vendre, ce «. »

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