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ARTHUR et la légende arthurienne (Histoire de la littérature)

Publié le 16/11/2018

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histoire

ARTHUR et la légende arthurienne. Le personnage du roi Arthur n’a cessé de fasciner l’imagination des hommes. Le roman arthurien a traversé l’histoire, avec son cortège d’aventures et de merveilles. Il s’agit d’expliquer ce prestige et de s’interroger sur les justes raisons pour lesquelles ce souverain obscur des temps barbares a prévalu sur d’autres figures, telle celle de Gralon, le roi d’Ys, héros de l’Armorique. La matière de Bretagne a été servie par de très grands poètes, comme Chrétien de Troyes, mais l'art de ces auteurs n’est pas la seule raison du succès qu’a rencontré, dans la mémoire de l'Occident, l’épopée de la Table ronde. Que signifie l’importance fabuleuse, au Moyen Age et même de nos jours, de ces singulières aventures? Pour y répondre, la seule histoire littéraire est impuissante, si elle récuse l’assistance d’une poétique de l’imaginaire qui s’inscrit à son tour dans une démarche plus générale d’analyse : ici interviennent l’idéologie et la sociologie de la littérature. Où, quand, comment, pourquoi Arthur et sa légende? Et tout d’abord, qui est Arthur?

 

Les données de l'histoire

 

Elles sont très pauvres. Les fouilles de Cadbury, entre Cornouailles, pays de Galles et Devon, ont mis au jour une civilisation intermédiaire entre l’âge romain et l’âge roman. Un souverain de cette région a sans doute unifié, au ve ou au vie siècle, une contrée déchirée par les conflits entre les clans, et il n’est pas impossible qu’il ait victorieusement résisté aux invasions saxonnes.

 

D’autres figures de la légende arthurienne viennent d’ailleurs : Gauvain, qui deviendra le neveu du roi, serait à l’origine le héros éponyme de la Galloway, au sud d’Edimbourg, et le barde gallois Taliesin serait le prototype de l’enchanteur Merlin. Vers la figure du Tristan classique auraient convergé deux traditions : l’une, pieté, procéderait des Highlands, où a régné une succession de chefs nommés drustan\\ l’autre, comique, se souviendrait d’un Tristanus filius Conomari célébré par une stèle dans la presqu’île de Golan, à l’est de la Cornouailles. Les récits ont circulé d’une terre celtique à l’autre. Ils se sont enrichis de vieux éléments mythiques, concernant le dieu Lug, qui survivra en Lancelot, ou Bran le Béni, autre divinité, qui est l’ancêtre du roi du Graal. De cette mythologie, les œuvres irlandaises (aitheda ou relations de rapt, imrama ou navigations fantastiques, etc.) nous donnent une idée juste, de même que les Mabinogion gallois, qui sont d’abord des contes sur la jeunesse et l’initiation de héros. Là apparaît l'Annawn, l’autre monde, où vivants et morts cohabitent et dont l’accès est réservé à de rares élus : sous ces textes tardifs (les Mabinogion ont été rédigés au XIIe siècle), on devine une longue tradition orale, d’origine immémoriale.

 

Naissance de la légende arthurienne

 

Un chroniqueur du IXe siècle, Nennius, évoque dans son Historia Britonum Arthur, qu’il définit comme un dux bellorum, un chef de guerre auréolé par la félicitas, par la chance des vainqueurs. Mais la (grande) Bretagne

 

est alors terre saxonne, et il n’est pas encore temps de réveiller la vieille espérance celtique (symbolisée par la dormition d’Arthur jusqu’au jour de la revanche).

 

La conquête normande installe sur le trône anglais, à partir de 1066, une dynastie étrangère, dont la politique à l’égard des Gallois se révèle très vite double : répression de toute opposition à la monarchie nouvelle, souci de revaloriser et de réactualiser les antiques légendes pour rallier les populations celtiques aux envahisseurs présentés comme les vengeurs des humiliations d’autrefois.

 

Que cet intérêt porté au folklore soit précoce, la preuve en est l’existence, dès 1120 ou 1130, d’une archivolte, au portail nord de la cathédale de Modène, où sont représentés le rapt de Winlogce (la future Guenièvre, épouse d’Arthur) par Melvas (le Méléagant du Chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes) et sa libération par le roi et par ses chevaliers. La comtesse Mathilde de Toscane, d’origine normande, avait fait venir en Italie centrale une importante colonie de ses compatriotes installés en Angleterre.

 

C’est encore vers 1130 que Henri Ier Beauclerc demande à un clerc gallois nommé Geoffroi de Mon-mouth de rédiger en latin une Histoire des rois de Bretagne, qui recueillera les légendes concernant Arthur et sa lignée. A la même époque (ou plus tôt?), un jongleur gallois nommé Bréri colporte ces mêmes légendes sur le continent; il se produit à la cour de Poitiers, où il diffuse aussi, sans doute, la légende de Tristan, que les plus anciens troubadours ont connue : c’est à ce Bréri que se réfère Thomas en rédigeant son propre Tristan.

 

Geoffroi de Monmouth confère à l’histoire arthurienne le visage qui restera le sien : Arthur unifie la Bretagne, vainc les Saxons et se lance à la conquête de l’Empire romain; mais son neveu Mordred s’empare du pouvoir dans l’île et affronte Arthur au cours d’une ultime et sanglante bataille dans la plaine de Salisbury. Au terme de ce combat, l’oncle et le neveu périssent, et c’est le début de la décadence bretonne.

 

Geoffroi de Monmouth rédige ensuite une Vita Merlini, puis des Prophetiae Merlini, où les Plantagenêts sont ouvertement présentés comme les successeurs et les vengeurs d’Arthur. Son activité de propagandiste lui vaut bientôt la récompense qu’il espère, puisqu’il se voit attribuer l’évêché de Saint-Asaph au sud du pays de Galles. Et son œuvre, répandue par de nombreux manuscrits, connaît très vite un vaste succès.

 

Vers 1155, le roi Henri II demande à un autre clerc, le poète Wace, originaire de Jersey, d’écrire une chronique en vers sur les souverains de l’antique Bretagne : ce sera le Roman de Brut, ainsi nommé d’après Brutus, Troyen fugitif et compagnon d'Énée, ancêtre lointain de la dynastie. Wace composera également un Roman de Rou qui retrace cette fois-ci les origines normandes de la monarchie anglo-angevine. Dans son Roman de Brut, Wace explique par un souci d’égalité surmontant toute préséance l’invention de la Table ronde, et il accentue les aspects courtois déjà présents chez Geoffroi de Monmouth. Mais il ne parle pas de Merlin, soit qu’il n’ait pas lu la Vita Merlini, soit qu’il n’ait que faire de cet enchanteur : Chrétien de Troyes, lecteur assidu de Wace, ignorera donc à peu près complètement ce personnage, de même que l’Anglais Layamon, qui adapte à la fin du XIIe siècle le Brut dans sa propre langue. [Voir Wace.)

 

Les lais

 

La transmission de la matière arthurienne passe probablement aussi par le lai. Il s’agit d’abord d’un court poème lyrique qui condense sous la forme d’un chant toute une aventure antérieure. C’est un lai de ce type que chante Iseut dans le Tristan de Thomas, ou que compose Tristan à l’issue du Chèvrefeuille de Marie de France. Le caractère décousu du Tristan de Béroul est peut-être dû au fait que le pocte a gauchement abouté un certain nombre de contes procédant de lais dispersés. Toujours est-il que, dès avant Marie (Lai du cor, ca. 1160), le lai est devenu un court poème dramatique dont le héros est mis en contact avec l’autre monde. Il cultive un merveilleux délicat, où la quête de l’animal fantastique introduit dans un monde où le temps n’a plus la même épaisseur; on y rencontre des femmes d’une extraordinaire beauté, souvent au bain dans une source; et tout y est plus riche et parfait que dans ce monde-ci, où l’individu est affronté à mille déboires. Mais qu’on ne s’y trompe pas : beaucoup de lais sont tragiques et s’achèvent sur la fin douloureuse des amants. Telle est souvent la fin des poèmes de Marie de France (ca. 1180), qui ne s’en tient pas à l’imaginaire arthurien puisqu’elle va puiser parfois ses sujets dans d’autres folklores (ainsi des Deux Amants, dont le thème s’inspire d’une légende normande).

 

 

 

Chrétien de Troyes

 

Le roi Arthur et ses chevaliers sont présents dans le Tristan de Béroul (ca. 1160) [voir Tristan et ISEUT], mais non dans le Tristan de Thomas, où ils appartiennent à une génération antérieure. C’est cependant à Chrétien de Troyes surtout que l’on doit la véritable naissance du roman arthurien en vers. Chez lui, la cour d’Arthur est le lieu d’où partent et où aboutissent les aventures; les chevaliers concourent à établir l’ordre royal dans un monde encore anarchique et perturbé; la quête de l’épreuve qualifiante devient une quête de l’identité, et se veut justification de l’amour. En même temps, l’imaginaire mythique revêt dans ces poèmes une dimension plus rationnelle : l'Annawn cesse d’être le pays des morts et devient plus simplement l’espace du mystère et des périls. Mais l’apport majeur du trouvère champenois n’est pas dans ce rationalisme, ni dans la façon rigoureuse et subtile dont il agence son récit : Chrétien est surtout l’auteur qui lance deux grands mythes; celui de Lancelot et celui de Perceval. L’inachèvement du Chevalier à la charrette et du Conte du Graal favorise la naissance et l’essor d’une prodigieuse littérature. Lancelot ou la perfection de l’amant; Perceval ou la quête spirituelle à travers une douloureuse initiation : la littérature arthurienne ultérieure ne va plus jamais perdre de vue ces deux modèles.

 

Lancelot est l’amant exemplaire, qui conquiert la reine Guenièvre à la force du poignet. Son amour transgressif s’autorise de sa prouesse et se met à son tour (quoique de manière paradoxale) au service de l'ordre arthurien. Quant à Perceval, on devine à travers lui l’image d’une chevalerie nouvelle, dont la valeur se mesure à sa charité. Le Graal, ce plat creux qui procède du chaudron magique destiné à pourvoir à la nourriture des guerriers (on le retrouve dans le mabinogi ou « récit d’enfance » gallois de Cullwch), contient désormais une hostie et apparaît au cours d’un cortège où la lance qui saigne (l’arme qui appelle vengeance dans l’homologue gallois du Perceval, le Peredur) est toute prête à devenir la Sainte Lance, celle dont Longin le centurion avait frappé le flanc du Christ au Calvaire, et que l’on avait « inventée » à Antioche au cours de la première croisade.

 

Un processus de christianisation accélérée de la matière de Bretagne est donc en cours dès les années 1170-1185, où Chrétien compose ses romans pour un public aristocratique probablement proche de la cour de Champagne. C’est en effet à la comtesse Marie de Champagne, fille de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine, qu’il dédie son Chevalier à la charrette, et le goût de cette puissante protectrice passionnée de problèmes courtois

 

n’est pas étranger à l’élaboration, dans ce texte, d’une érotique qui exige tous les renoncements. Puis, avec le Conte du Graal, Chrétien s’adresse à un tout autre destinataire : Philippe d’Alsace, comte de Flandre, est un dévot et un croisé. D’où une orientation nouvelle, plus religieuse, sinon plus mystique, de l’écriture romanesque, qui va viser de plus en plus à la constitution d’une chevalerie spirituelle. Le visage de cette nouvelle chevalerie s’affirme dès les Continuations du « Perceval » et surtout dans la trilogie de Robert de Boron (fin du XIIe siècle) [voir Continuations, Robert de boron].

 

Les Continuations se révèlent de moins en moins profanes. La première, sans doute due à Wauchier de Denain, concerne le personnage de Gauvain, dont le Conte du Graal laisse les aventures en quelque sorte suspendues; mais Gauvain y demeure fidèle à son caractère de chevalier mondain peu sensible aux inquiétudes chrétiennes. La Seconde Continuation revient à Perceval, mais celui-ci se laisse encore quelquefois détourner de sa quête par des tentations qu’il ne surmonte pas. C’est dans la Troisième Continuation, écrite entre 1200 et 1220 par Gerbert de Montreuil, et dans la Quatrième Continuation, écrite après 1220 par Manessier pour la comtesse Jeanne de Flandre, que le héros remporte l’épreuve qui l'attend au château du Graal et finit par épouser son amie Blanchefleur : mariage qui, selon Manessier, ne sera jamais consommé, tant est sévère la chasteté de Perceval (mais Manessier se contredit lorsqu'il énonce que Perceval devient l'ancêtre d’une haute lignée). En fait, le contenu du livre primitif (celui dont Chrétien s’était inspiré) est peut-être à chercher plutôt chez Wolfram von Eschenbach, qui, vers 1210, rédige un Parzival allemand souvent très cavalier par rapport à ses sources françaises, mais aussi très respectueux de l’esprit dans lequel Chrétien avait élaboré son Conte du Graal : même distance ironique et même profondeur spirituelle, même courtoisie et même dévotion. Or le héros s’y marie, fonde un lignage et devient roi du Graal, entouré par une garde permanente de Templiers.

 

Robert de Boron

 

Robert de Boron est, à sa manière, un continuateur de Chrétien, ou, plutôt, il reprend à Chrétien le thème de la nouvelle chevalerie en transformant toute la matière arthurienne. Son protecteur est un autre croisé, le comte Gauthier de Montbéliard. Est-ce ce grand seigneur qui a inspiré à Robert de Boron le principe de sa trilogie? Toujours est-il que le poète remonte, dans son Joseph d’Arimathie, aux origines évangéliques du Graal, où aurait été recueilli le sang du Christ sur la Croix. Son deuxième livre est un Merlin, qui relate l’avènement d’Arthur, et son troisième livre est un Perceval. Mais la trilogie de maître Robert ne saurait se résumer aussi sommairement : elle participe d’une haute pensée théologique et se veut une sorte d’histoire de la rédemption. C’est ainsi qu’au début du Merlin est relaté le conseil des démons qui veulent susciter, en face du Messie, un Antéchrist, fils d’une vierge et d’un incube; mais le fruit de cette union monstrueuse, Merlin, hérite de sa mère une nature foncièrement bonne et ne doit à son père diabolique que l’étendue de son savoir : c’est ainsi qu’est déjoué le projet infernal.

 

On a souvent l’impression, en lisant Robert de Boron, que cet écrivain est capable de hautes pensées mais ne sait pas les mettre en œuvre : ainsi du parallélisme des trois tables : celle de la cène; celle de Joseph d’Arimathie et de ses douze compagnons; la Table ronde, imaginée par Merlin et qui rassemble dans un premier temps un certain nombre de preudomes choisis pour leur sainteté. Mais de cette Table ronde instituée par Utherpandragon, le père d’Arthur, Robert de Boron ne tire rien du tout, et

histoire

« Tristan à l'issue du Chèvrefeuille de Marie de France [voir LAIS].

Le caractère décousu du Tristan de Béroul est peut-être dtl au fait que le poète a gauchement abouté un certain nombre de contes procédant de lais dispersés.

Toujours est-il que, dès avant Marie (Lai du cor, ca.

1160), le lai e�t devenu un court poème dramatique dont le héros est mis en contact avec l'autre monde.

Il cultive un merveilleux délicat, où la quête de 1 'animal fantasti­ que introduit dans un monde où le temps n'a plus la même épaisse.ur; on y rencontre des femmes d'une extraordinaire beauté, souvent au bain dans une source; et tout y est plus riche et parfait que dans ce monde-ci, où 1 'individu est affronté à mille déboires.

Mais qu'on ne s'y trompe pas : beaucoup de lais sont tragiques et s'achèvent sur la fin douloureuse des amants.

Telle est souvent la fin des poèmes de Marie de France (ca.

1180), qui ne s'en tient pas à l'imaginaire arthurien puisqu'elle va puiser parfois ses sujets dans d'autres folklores (ainsi des Deux Amants, dont le thème s'inspire d'une légende normande).

Chrétien de Troyes Le roi Arthur et ses chevaliers sont présents dans le Tristan de Béroul (ca.

1160) [voir TRISTAN ET ISEUT], mais non dans le Tristan de Thomas, où ils appartiennent à une génération antérieure.

C'est cependant à Chrétien de Troyes surtout que l'on doit la véritable naissance du roman arthurien en vers.

Chez lui, la cour d'Arthur est le lieu d'où partent et où aboutissent les aventures; les chevaliers concourent à établir l'ordre royal dans un monde encore anarchique et perturbé; la quête de l'épreuve qualifiante devient une quête de l'identité, et se veut justification de l'amour.

En même temps, l'ima­ ginaire mythique revêt dans ces poèmes une dimension plus rationnelle : l' Annawn cesse d'être le pays des morts et devient plus simplement l'espace du mystère et des périls.

Mais l'apport majeur du trouvère champenois n'est pas dans ce rationalisme, ni dans la façon rigou­ reuse et subtile dont il agence son récit : Chrétien est surtout l'auteur qui lance deux grands mythes; celui de Lancelot et cc:lui de Perceval [voir CHRÉTIEN DE TROYES].

L'inachèvement du Chevalier à la charrette et du Conte du Graal favorise la naissance et l'essor d'une prodi­ gieuse littéra1Ure.

Lancelot ou la perfection de l'amant; Perceval ou IH quête spirituelle à travers une douloureuse initiation : la littérature arthurienne ultérieure ne va plus jamais perdre de vue ces deux modèles.

Lancelot t:st l'amant exemplaire, qui conquiert la reine Guenièvre à la force du poignet.

Son amour transgressif s· autorise de sa prouesse et se met à son tour (quoique de manière paradoxale) au service de l'ordre arthurien.

Quant à Perceval, on devine à travers lui l'image d'une chevalerie nouvelle, dont la valeur se mesure à sa charité.

Le Graal, ce plat creux qui procède du chaudron magique destiné à pourvoir à la nourriture des guerriers (on Je retrouve dans le mabinogi ou « récit d'enfance>> gallois de Cullwch), contient désormais une hostie et apparaît au cours d'un cortège où la lance qui saigne (l'arme qui appelle vengeance dans l'homologue gallois du Perceval, le Peredur) est toute prête à devenir la Sainte Lance, celle dont Longin le centurion avait frappé le flanc du Christ au Calvaire, et que l'on avait « inventée >>�� Antioche au cours de la première croisade.

Un processus de christianisation accélérée de la matière de Bretagne est donc en cours dès les années 1170-1185, où Chrétien compose ses romans pour un public aristocratique probablement proche de la cour de Champagne.

C'est en effet à la comtesse Marie de Cham­ pagne, fille de Louis VII et d'Aliénor d'Aquitaine, qu'il dédie son Chevalier à la charrette, et le goût de cette puissante protectrice passionnée de problèmes courtois n'est pas étranger à 1' élaboration, dans ce texte, d'une érotique qui exige tous les renoncements.

Puis, avec le Conte du Graal, Chrétien s'adresse à un tout autre desti­ nataire : Philippe d'Alsace, comte de Flandre, est un dévot et un croisé.

D'où une orientation nouvelle, plus religieuse, sinon plus mystique, de l'écriture romanes­ que, qui va viser de plus en plus à la constitution d'une chevalerie spirituelle.

Le visage de cette nouvelle cheva­ lerie s'affirme dès les Continuations du « Perceval » et surtout dans la trilogie de Robert de Boron (fin du xu• siècle) (voir CONTINUATIONS, ROBERT DE BORON].

Les Continuations se révèlent de moins en moins pro­ fanes.

La première, sans doute due à Wauchier de Denain, concerne le personnage de Gauvain, dont le Conte du Graal laisse les aventures en quelque sorte suspendues; mais Gauvain y demeure fidèle à son carac­ tère de chevalier mondain peu sensible aux inquiétudes chrétiennes.

La Seconde Continuation revient à Perceval, mais celui-ci se laisse encore quelquefois détourner de sa quête par des tentations qu'il ne surmonte pas.

C'est dans la Troisième Continuation, écrite entre 1200 et 1220 par Gerbert de Montreuil, et dans la Quatrième Continuation, écrite après 1220 par Manessier pour la comtesse Jeanne de Flandre, que le héros remporte l'épreuve qui l'attend au château du Graal et finit par épouser son amie Blanchefleur : mariage qui, selon Manessier, ne sera jamais consommé, tant est sévère la chasteté de Perceval (mais Manessier se contredit lors­ qu'il énonce que Perceval devient l'ancêtre d'une haute lignée).

En fait, le contenu du livre primitif (celui dont Chrétien s'était inspiré) est peut-être à chercher plutôt chez Wolfram von Eschenbach, qui, vers 1210, rédige un Parzival allemand souvent très cavalier par rapport à ses sources françaises, mais aussi très respectueux de l'esprit dans lequel Chrétien avait élaboré son Conte du Graal : même distance ironique et même profondeur spirituelle, même courtoisie et même dévotion.

Or le héros s'y marie, fonde un lignage et devient roi du Graal, entouré par une garde permanente de Templiers.

Robert de Boron Robert de Boron est, à sa manière, un continuateur de Chrétien, ou, plutôt, il reprend à Chrétien le thème de la nouvelle chevalerie en transformant toute la matière arthurienne.

Son protecteur est un autre croisé, le comte Gauthier de Montbéliard.

Est-ce ce grand seigneur qui a inspiré à Robert de Boron le principe de sa trilogie? Toujours est-il que le poète remonte, dans son Joseph d'Arimathie, aux origines évangéliques du Graal, où aurait été recueilli le sang du Christ sur la Croix.

Son deuxième livre est un Merlin, qui relate l'avènement d'Arthur, et son troisième livre est un Perceval.

Mais la trilogie de maître Robert ne saurait se résumer aussi sommairement : elle participe d'une haute pensée théolo­ gique et se veut une sorte d'histoire de la rédemption.

C'est ainsi qu'au début du Merlin est relaté le conseil des démons qui veulent susciter, en face du Messie, un Antéchrist, fils d'une vierge et d'un incube; mais le fruit de cette union monstrueuse, Merlin, hérite de sa mère une nature foncièrement bonne et ne doit à son père diabolique que l'étendue de son savoir : c'est ainsi qu'est déjoué le projet infernal.

On a souvent l'impression, en lisant Robert de Boron, que cet écrivain est capable de hautes pensées mais ne sait pas les mettre en œuvre : ainsi du parallélisme des trois tables :celle de la cène; celle de Joseph d'Arimathie et de ses douze compagnons; la Table ronde, imaginée par Merlin et qui rassemble dans un premier temps un certain nombre de preudomes choisis pour leur sainteté.

Mais de cette Table ronde instituée par Utherpandragon, le père d'Arthur, Robert de Boron ne tire rien du tout, et. »

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