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PROCÈS-VERBAL (le) de J.-M. G. Le Clézio

Publié le 18/03/2019

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PROCÈS-VERBAL (le), premier roman de J.-M. G. Le Clézio (1963). Il contient en germe toute l'œuvre à venir par son double mouvement de protestation (Adam Polio, « fier de n'avoir pas grand-chose d'humain », mène une « antiexistence ») et de proposition (« Nous possédons la terre, tous, tant que nous sommes, elle est à nous. Voyez-vous pas comme elle nous ressemble »). L'antihumanisme de l'auteur n'est pas un « abhumanisme ».

« Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)Le Clézio, le Procès-verbal (extrait). L’œuvre de J.-M.

G.

Le Clézio est une vaste méditation sur la place que l’Homme — Adam éternel — occupe dans le jardin du monde.

Dans le Procès-verbal, roman à la structure morcelée et disparate, le jeune héros fait, au nom de la pensée universelle, le procès de la société à travers le regard qu’il porte sur ses éléments, cherchant à se fondre en eux au point d’oublier qu’il est un homme. Le Procès-verbal de J.-M.

G.

Le Clézio Alors, arraché de sa torpeur comme par un lasso, il recommencerait à suivre l’animal, sans se douter de l’endroit où il était conduit, sans espoir ; oui, dans un drôle de plaisir, qui fait qu’on continue machinalement un mouvement ou bien qu’on imite tout ce qui bouge, parce qu’étant signe de vie, ça permet toutes les suppositions possibles.

— On aime toujours perpétuer un mouvement, même quand il marche vite, de ses quatre pattes au bruissement humide, propulsant sur le plan goudronné une légère toison de poils noirs, deux oreilles droites, des yeux vitreux, et qu’il s’appelle, une fois pour toutes, et qu’il s’appelle, chien. À deux heures moins dix, le chien quitta la plage ; il s’était un peu ébroué dans l’eau, avant de partir, et les poils de son front étaient restés collés en petites tresses cotonneuses.

Il monta le remblai de galets, suffoquant sous l’effort, passa à quelques mètres d’Adam, et s’arrêta sur le bord de la route.

Le soleil faisait battre ses paupières et coulait une plaque blanche sur son museau froid. Il hésita, comme s’il attendait quelqu’un ; cela permit à Adam de sauter à bas de la digue et de se mettre en position de départ.

Adam fut tenté un instant de le siffler, ou de claquer des doigts, ou tout bonnement de lui crier quelques mots, comme font la plupart des gens avec la plupart des chiens, dans le genre de : « Hé ! chien ! » ou « Hé ! Médor ! » mais ce fut arrêté dans son cerveau avant même d’être traduit par une ébauche de geste. Adam se contenta de s’arrêter, et de regarder l’animal par-derrière ; vu sous cet angle il offrait un raccourci bizarre qui le campait bien roide sur ses pattes, lui arquait le dos, au poil plus rare le long de la colonne vertébrale, et lui donnait l’air d’avoir une nuque bombée, trapue, musculeuse, comme n’ont jamais les chiens. Il regarda l’occiput, la rainure du crâne, et les deux oreilles dressées.

Un train fit du bruit en entrant dans un tunnel, évidemment loin, en pleine montagne.

L’oreille droite bougea de quelques millimètres, captant le clapotement de la locomotive, puis revint brusquement en arrière quand un enfant cria, longtemps, à gorge déployée, pour quelque misère, un ballon crevé, un caillou aigu, en bas sur la plage. Adam, sans bouger, attendait le départ ; par surprise, le chien s’élança en avant, contourna une voiture, et se mit à remonter la route.

Il trottait rapidement sur la chaussée, tout près du talus, sans trop regarder à droite ni à gauche.

Il s’arrêta deux fois avant l’embranchement de la nationale qui traverse le village ; une fois, devant la roue arrière d’une Oldsmobile en stationnement ; il n’y avait pourtant rien de spécial à cette voiture, il ne la regarda pas, ni ne la renifla, ni n’urina tout doux contre le métal du chapeau de la roue.

La deuxième fois, ce fut quand cette femme âgée descendit vers la plage ; elle avait une chienne boxer en laisse ; la femme jeta un coup d’œil vers lui, tira un peu sur la laisse de sa chienne, et se détourna vers Adam.

Elle pensa justifié de remarquer, en le croisant : « Vous devriez tenir votre chien, jeune homme.

» Adam, comme lui, suivit la chienne des yeux, le corps dans la direction de la marche, mais la tête et le cou tordus vers l’arrière.

Ils restèrent ainsi tous deux quelques secondes, en silence, de petites taches jaunes au fond des prunelles. Puis le chien aboya, et Adam murmura dans sa gorge des grognements inarticulés : rrrrrrrrrrrrrrrroâ rrrrrrrrrrrrroââ oâârrrrrrrrr rrrrrrrro. À l’embranchement, Adam espéra que le chien irait vers la droite, parce qu’un peu plus loin, c’était la colline où il vivait, avec le sentier que vous savez, et la grande maison, toujours abandonnée, où il habitait.

[…] Source : Le Clézio (Jean-Marie Gustave), le Procès-verbal, Paris, Gallimard, 1963. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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