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Diderot écrit : « Rendre la vertu aimable, le vice odieux, le ridicule saillant, voilà le projet de tout honnête homme qui prend la plume, le pinceau ou le ciseau. » Mais il déclare d'autre part : « Presque toujours, ce qui nuit à la beauté morale redouble la beauté poétique. On ne fait guère que des tableaux tranquilles et froids avec la vertu; c'est la passion et le vice qui animent les compositions du peintre, du poète et du musicien. » Commenter et discuter ces deux affirmations ap

Publié le 17/02/2011

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INTRODUCTION

On connaît la lettre à Sophie Volland où Diderot attribue aux Langrois, ses compatriotes, l'inconstance des girouettes. Il est lui-même l'homme des paradoxes et des contradictions, qui s'expriment parfois dans le dédoublement d'un dialogue. Ame sensible pour qui la sensibilité n'est guère le propre d'un grand génie, passionné pour qui la raison détermine les actes du philosophe, théoricien du drame bourgeois pour qui cependant la poésie veut quelque chose de barbare et de sauvage. On ne peut donc s'étonner si à propos des rapports de l'art et de la morale, il soutient deux thèses apparemment contradictoires.

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« civilisé, poli, moins ses moeurs sont poétiques ».L'art qui ne ferait place qu'à la vertu serait d'ailleurs froid et conventionnel, car il trahirait la vérité; un être parfaitest bien exceptionnel.

L'oeuvre qui ignorerait le mal ne donnerait pas une image exacte de la réalité; tette absencede vérité ne pourrait tromper qu'un lecteur naïf et serait non seulement contraire au plaisir esthétique, mais d'unprofit discutable.

Enfin le style même de ces oeuvres tombe souvent dans l'emphase du sermon ou dans lagrandiloquence qui nous lasse et nous laisse froids.

Diderot n'a pas toujours évité ce défaut lorsqu'il évoque les «respectables vieillards », les jeunes filles « que l'infortune rend sacrées » ou s'écrie : « 0 lien sacré des époux, si jepense à vous, mon âme s'échauffe et s'élève! » B.

Ce qui nuit à la beauté morale redouble la beauté poétique.Mais c'est une idée chère à Diderot que ce qui est intéressant pour l'artiste, ce sont les passions violentes, lespersonnalités originales.

« Les passions sobres font des hommes communs, note-t-il dans ses Penséesphilosophiques.

Il n'y a que les passions qui puissent élever l'âme aux grandes choses.

Plus d'excellence en poésie,en peinture, en musique, lorsque la superstition aura fait sur le tempérament l'ouvrage de la vieillesse.

» Il écrit àSophie Volland : « J'ai de tout temps été l'apologiste des passions fortes; elles seules m'émeuvent.

Les arts de génienaissent et s'éteignent avec elles.» Et si le neveu de Rameau lui fait dire : « Je n'estime pas ces originaux-là », il sesent toutefois attiré par sa forte personnalité.

C'est le même sentiment qui lui fait avouer ( Salon de 1765) : « Je nehais pas les grands crimes : premièrement parce qu'on en fait de beaux tableaux et de belles tragédies, et puis,c'est que les grandes et sublimes actions et les grands crimes portent le même caractère d'énergie.

» Une telleaffirmation que ne désavoueraient ni Balzac ni Stendhal confirme donc l'idée d'une antinomie entre le point de vuedu moraliste et celui de l'artiste.

Que ce dernier l'emporte lorsqu'il lui faut choisir, c'est ce qu'attesteraient, ceslignes du Neveu de Rameau à propos d'une question un peu différente : « S'il faut opter entre Racine méchantépoux, méchant père, ami faux et poète sublime, et Racine bon père, bon époux, bon ami et plat honnête homme, jem'en tiens au premier.

» C.

C'est la passion et le vice qui animent les compositions du peintre, du poète et du musicien. a) Les compositions du peintre et du musicienSans doute ne faut-il pas se placer à un point de vue étroitement moral pour apprécier l'oeuvre du peintre etsurtout du musicien.

La préférence de Diderot est du même ordre que lorsqu'il oppose une nature paisible outroublée, la beauté d'un jour serein à l'horreur d'une nuit obscure, une mer tranquille à une mer agitée.

Sapréférence va à ce qui suscite l'émotion la plus intense.

Ainsi dans la peinture de même que dans la nature, songoût le porte vers les ruines, vers les tempêtes : « La mer mugit, les vents sifflent, le tonnerre gronde » et il évoqueencore les moissons hachées, la terre qui s'ébranle, les nations qui s'entrégorgent.

Chez Greuze, il aime les scènespathétiques.

Au XIXe siècle il eût préféré les tableaux passionnés de Géricault, les scènes violentes des tableaux deDelacroix à l'Angélus de Millet, l'enthousiasme guerrier de la Marseillaise de Rude, la Danse de Carpeaux, la sensualitédes nus de Rodin aux images pieuses et aux Vierges de Saint-Sulpice. Il eût aimé la musique de Wagner et le commentaire où Baudelaire (rappelant d'ailleurs la conception de Diderot)montre dans Tannhäuser la lutte de la chair avec l'esprit, de l'enfer avec le ciel et admire « ce chant furieux de lachair, cette connaissance absolue de la partie diabolique de l'homme ...

comme si la barbarie devait toujours prendresa place dans le drame de l'amour, et la jouissance charnelle conduire ...

aux délices du crime ». b) La composition du poète à laquelle songe Diderot n'est sans doute pas spécialement la poésie lyrique.

On peutadmettre toutefois que l'émotion, sans laquelle la poésie lyrique n'est que froide versification, naît souvent d'unepassion dont la beauté n'a rien à voir avec les critères moraux.

L'amour qui inspire l'auteur du Lac, celui des Nuits oude Tristesse d'Olympio n'est pas l'amour conjugal.

Mais il y a plus : à l'inspiration élégiaque ou aux Harmoniespoétiques et religieuses combien préféreront la beauté poétique des Fleurs du mal, cette Beauté dont le « regardinfernal et divin / Verse confusément le bienfait et le crime »? Toute l'oeuvre de Baudelaire donnerait donc raison àDiderot. c) Mais le théâtre est le genre auquel celui-ci songe assurément.

La page célèbre qu'il consacre aux moeurspoétiques (De la poésie dramatique, XVIII) énumère une suite de scènes qui pourraient aussi bien inspirer lestableaux pathétiques qui lui plaisent chez les peintres que les compositions de l'auteur dramatique.

Le genre sérieuxdu Père de famille ou le « tragique quotidien » cher à Maeterlinck n'inspirent que des émotions bien faibles à côté deces situations « où les veuves échevelées se déchirent le visage de leurs ongles; où les chefs du peuple, dans lescalamités publiques, posent leur front humilié dans la poussière; ...

où les dieux altérés de sang humain ne sontapaisés que par son effusion ».

Et l'on songe à tous les « monstres odieux » de la tragédie antique où les sacrificeshumains (Iphigénie) se disputent l'horreur avec les festins sanglants d'Atrée et Thyeste (que Crébillon réintroduit surla scène); où le parricide et l'inceste d'Œdipe, les luttes fratricides des frères ennemis se partagent la faveur desdramaturges avec le crime de Clytemnestre, cruellement châtié par le meurtre d'Oreste, à son tour poursuivi par lesErinyes.

La scène française n'est guère moins sanglante et, plus encore que l'ambition d'Agamemnon ou d'Athalie,que la passion politique de Cinna et d'Émilie, la passion tragique par excellence est l'amour dont les formes galantesparaissent bien fades à côté des violences d'Hermione dont la jalousie pousse Oreste au crime et dont la pureté de. »

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