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« J'ai toujours dit à mes étudiants [...] de ne pas lire de critiques, de lire directement les auteurs ; peut-être ne comprendront-ils que peu de chose, mais ils auront du moins le plaisir d'entendre la voix de quelqu'un » (Jorge Luis Borges, Conférences, 1979, éditions Folio-Essais, 1986, p. 155). En vous appuyant sur vos lectures personnelles et sur les oeuvres étudiées en classe, vous direz comment vous comprenez ce conseil de Borges, et vous le discuterez au besoin.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

• J. L. Borges (1899-1986) est un grand écrivain argentin, à la fois poète, conteur et essayiste. D'une culture encyclopédique, il est surtout célèbre pour ses nouvelles (Fictions, L'Aleph), où, dans un style froid et concis, il développe des spéculations intellectuelles dans un climat fantastique où les thèmes du labyrinthe, de la mémoire, du miroir tiennent une grande place. • Le sujet est classique, mais difficile, car il suppose un minimum de connaissances sur les critiques, et une véritable réflexion sur la lecture. Vous trouverez un grand profit à le préparer par un long travail de lecture... des critiques ! • Plan : aucune difficulté ; le libellé vous conseille, comme il est de règle pour l'analyse d'une opinion tranchée, de l'illustrer dans une première partie puis de la discuter. Vous pouvez opter pour le plan « thèse-antithèse-synthèse>) (I. La lecture des auteurs est supérieure à la critique, Il. La critique peut être utile, III. La lecture des auteurs et celle des critiques doivent se compléter). Le plan en deux parties proposé par le corrigé est également recevable.

« : «Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas poursuivi un bon chemin.

[...] Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nousprennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir.

» L'un des reproches les plus fréquents adressés aux critiques est, en effet, leur extrême subtilité, qui les conduitparfois à l'obscurité ou bien au jargon.

Déjà Molière se moque de Lysidas, qui lui reproche de ne pas respecter « laprotase, l'épitase et la péripétie ».

Au XXe siècle, d'autres s'amusèrent à parodier les néologismes et la prosecomplexe de Roland Barthes et les excès d'interprétation de la critique psychanalytique.

En 1968, Etiemble écrivitplusieurs centaines de pages pour se moquer des monceaux d'interprétations qui trouvèrent dans le sonnet « LesVoyelles » de Rimbaud, pourtant de qualité moyenne, « un chef-d'oeuvre alchimisto-kabbalisto-spiritualisto - psychopathologico-érotico-omégaïco-structuraliste ». Bien des auteurs dénoncent également chez les critiques des a priori tendancieux.

Marcel Proust, dans Contre Sainte-Beuve, regrette que le critique juge l'homme et non l'oeuvre.

Mais c'est Théophile Gautier, dans la Préface de son roman Mademoiselle de Maupin, qui a vitupéré dans les termes les plus violents les défauts de ceux dans lesquels il voit, pour la plupart, des artistes ratés, auxquels la critique apporte la notoriété que leur talent ne sauraitassurer : « Une chose certaine et facile à démontrer à ceux qui pourraient en douter, c'est l'antipathie naturelle ducritique contre le poète—de celui qui ne fait rien contre celui qui fait — du frelon contre l'abeille — du cheval hongrecontre l'étalon.

» Selon lui, l'envie, l'esprit de contradiction gratuit animent ces âmes étroites, incapables dediscerner la véritable littérature, dont ils ne jugent que l'utilité ou la moralité.

De son côté, Jean-Paul Sartre, dansSituations II, dénonce leur «complaisance pour les puissants, les riches ou les camarades, et l'asservissement à une coterie, une religion ou un parti ». Dans ces conditions, la lecture directe des oeuvres semble le seul moyen de les connaître et de juger vraiment dutalent.

S'abstenir de consulter les critiques permet de choisir soi-même ses lectures, sans préjugé moral outhéorique.

Et, comme le souligne J.

L.

Borges, l'amateur de livres gagne ainsi en plaisir ce qu'il perd en savoir : «Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seulement si les choses me touchent », dit Uranie dans La Critique de l'École des femmes ».

Dans Une saison en enfer, Arthur Rimbaud avoue qu'il aimait « la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opérasvieux, refrains niais, rythmes naïfs ».

Ces oeuvres populaires, jugées par d'autres comme secondaires, ont sansdoute autant apporté à son inspiration que les oeuvres passant pour plus sérieuses.

158 De même Montaigne raconte dans les Essais que le goût de la lecture lui vint naturellement, par la découverte individuelle des Métamorphoses d'Ovide.

C'est la « douceur du sujet » qui l'amena ensuite à dévorer Virgile ou les comédies latines et italiennes et non les conseils de son professeur, qui eut la sagesse de le laisser choisir les livressuivant son plaisir et non selon la raison.

Bien des vocations d'écrivains sont nées ainsi d'un contact direct avec lesoeuvres les plus disparates. Le vrai plaisir de la lecture vient souvent d'une rencontre avec une voix ou des thèmes qui touchent en nous desfibres intimes, en dehors des considérations proprement théoriques.

Dans ses Mémoires intérieurs, François Mauriac dit qu'à travers une oeuvre « c'est toujours quelqu'un qui parle à quelqu'un — c'est toujours quelqu'un qui parle delui-même à un autre ».

Et nos affinités avec les auteurs sont parfois aussi surprenantes que nos amitiés réelles. On peut donc se passer des critiques, et les lecteurs l'ont fait durant des siècles ou le font encore.

A la limite, lecritique, si nous l'écoutons trop, pourrait nous gêner dans cette rencontre privilégiée avec une voix. *** Rejeter en bloc les critiques serait cependant aussi ridicule que de ne lire qu'à travers eux.

La critique a, en effet,son utilité, et parfois ses plaisirs. Aimer les livres, c'est aussi dire et expliquer son enthousiasme.

Le critique sincère est donc avant tout celui quinous livre ses goûts, qui cherche à faire partager à d'autres lecteurs des plaisirs qui sans lui nous resteraient peut-être ignorés.

Sainte-Beuve, malgré ses défauts, a joué ce rôle pour Ronsard, dont on avait perdu le souvenir depuisle xville et le xixe siècle.

Baudelaire, pour faire connaître au public français la valeur d'Edgar Poe, n'a pas hésité à letraduire en français et à lui consacrer des essais littéraires, que l'on peut lire dans L'Art romantique.

De même Jean Rousset, en participant à la redécouverte de la littérature baroque, méprisée depuis le classicisme, a su faire suredu passé des oeuvres qui correspondent au goût contemporain.

A la télévision, le succès de Bernard Pivot dansApostrophes a tenu en grande partie à ses choix sincères et à son désir de faire participer les spectateurs à ses passions.

Il a ainsi fait connaître bien des auteurs à la France entière.

Il est vrai que l'originalité de son émissiontenait au fait qu'il dialoguait en direct avec les écrivains, lesquels pouvaient ainsi répondre aux critiques faites parl'animateur ou les autres invités. Le critique apporte parfois aussi une dimension nouvelle aux oeuvres, en montrant en elles des richessesou une complexité que le lecteur n'aurait pas vues sans lui.

Ainsi André Breton a fait apprécier Rimbaud ouLautréamont en décelant en eux des précurseurs dans l'expression de l'inconscient.

Tzvetan Todorov adémonté les procédés qui différencient le fantastique du merveilleux, et Jean Rousset dans Leurs yeux se rencontrèrent compare l'originalité des différentes scènes de première vue romanesques.

D'autres nous révèlent l'origine et la permanence de mythes universels ou intimes chez certains écrivains : GastonBachelard dans La Psychanalyse du feu décèle dans la littérature la force mythique et multiforme de cet. »

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