Le Songe d'un Habitant du Mogol Livre XI, fable 4, vers 18 à 40
Publié le 27/03/2015
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Loin, en pays Mogol (c'est-à-dire dans l'Empire du Grand Mogol, en Asie centrale), un homme fait un rêve mystérieux : il voit d'abord, séjournant après sa mort dans un lieu paradisiaque, un vizir, personnage incarnant la puissance, la mondanité ; à l'inverse, il voit un ermite, figure incarnant d'ordinaire la sainteté et le renoncement aux illusions terrestres, qui après sa mort a rejoint un lieu infernal.
Un interprète déchiffre le rêve et en explique le mystère: le vizir aimait fuir l'agitation du monde et se recueillir dans la solitude ; l'ermite était en fait un courtisan, attaché aux vanités du monde. Tel est le récit de la fable.
J'inspirerais ici l'amour de la retraite;
Biens purs, présents du Ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais?
Quand pourront les neuf Soeurs, loin des cours et des villes,
M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets!
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie!
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie;
Mais voit-on que le somme en perde de son prix?
En est-il moins profond, et moins plein de délices?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,

«
(COMMENTAIRE)
E11jeu d_~ la fable : une célébration de la solitude
Le récit (v.
1 à 17) vient de proposer un songe puis son déchiffrement.
Exactement selon le principe qui régit le genre de la fable: une fiction sui
vie
d'une explication sous forme de leçon.
Plutôt que de dégager une
moralité après le récit, le conteur prolonge l'interprétation du déchiffreur
de songe («Si j'osais ajouter ...
»; «Biens purs», v.
21, en écho à «plaisir»/
«aussi pur», v.
2-3).
«Solitude» (ou retraite) a le sens concret de lieu à l'écart de l'agitation
humaine: en s'enracinant dans ce paysage fondamental, La Fontaine
développe une méditation lyrique sur les plaisirs qui en découlent (v.
18 à
40).
Il
ne fait pas entendre la voix abstraite et générale de la maxime, mais
sa voix, singulière,
nourrie par l'expérience de la Nature et aussi par la fré
quentation des livres (hommage aux poètes latins Lucrèce et Virgile).
La méditation du poète ne fait pas que redoubler en l'amplifiant l'éloge
de la solitude esquissé dans le récit.
Elle en modifie le sens en l'inscrivant
dans une destinée terrestre, et perd rapidement de vue le Ciel, le Paradis
et l'Enfer ...
Le poète et le vizir, qui partagent le même «amour de la retraite»
(v.
19), n'ont pas des destins parallèles: à la différence du vizir, qui «quel
quefois cherchait la solitude» durant sa vie terrestre (v.
16) et qui, après sa
mort, est récompensé par une félicité éternelle, le poète aspire à une féli
cité
immédiate, qui précède la mort.
0 i;_as~~r:_ati~n à un Éden terrestre
La méditation n'est pas une rêverie chimérique.
(à la différence, par
exemple, du rêve de puissance à la fin de la fable «La Laitière et le Pot au
lait», livre VII, fable 9 -voir Texte 3, p.
50).
Elle
est fondée sur une sensation singulière.
On analysera ici le vers 22.
L'invocation au lieu aimé («Solitude») est développée par une subordon
née relative qui affirme une forte certitude: «je trouve'» L'emploi du pré
sent est celui de la sensation déjà éprouvée et réactualisée: le poète
connaît, pour l'avoir fréquenté, le lieu du bonheur intime («douceur
secrète»).
La formulation poétique, vigoureuse et musicale, suggère à la fois
la
certitude du poète et la nature intime de sa expérience sensuelle
(consonnes « t/ d/ tr /cr/ t » rythmant le vers et, d'autre part, consonnes
"s »et voyelle fermée «OU,,, qui en adoucissent la musique).
76.
»
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