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LE VISITEUR DE MINUIT - Villiers de L'Isle-Adam

Publié le 08/03/2011

Extrait du document

« En ce moment, l'heure sonna, dehors, à l'église, dans le vent nocturne. — Qui est là ? demandai-je à voix basse. La lueur s'éteignit : — j'allais m'approcher... Mais la porte s'ouvrit, largement, lentement, silencieusement. En face de moi, dans le corridor, se tenait, debout, une forme haute et noire, — un prêtre, le tricorne sur la tête. La lune l'éclairait tout entier, à l'exception de la figure : je ne voyais que le feu de ses deux prunelles qui me considéraient avec une solennelle fixité. Le souffle de l'autre monde enveloppait ce visiteur, son attitude m'oppressait l'âme. Paralysé par une frayeur qui s'enfla instantanément jusqu'au paroxysme, je contemplai le désolant personnage, en silence. Tout à coup, le prêtre éleva le bras, avec lenteur vers moi. Il me présentait une chose lourde et vague. C'était un manteau. Un grand manteau noir, un manteau de voyage. Il me le tendait, comme pour me l'offrir !... Je fermai les yeux pour ne pas voir cela. Oh ! je ne voulais pas voir cela ! Mais un oiseau de nuit, avec un cri affreux, passa entre nous, et le vent de ses ailes, m'effleurant les paupières, me les fit rouvrir. Je sentis qu'il voletait par la chambre. Alors — et avec un râle d'angoisse, car les forces me trahissaient pour crier —, je repoussai la porte de mes deux mains crispées et étendues et je donnai un violent tour de clef, frénétique et les cheveux dressés. Chose singulière, il me sembla que tout cela ne faisait aucun bruit. C'était plus que l'organisme n'en pouvait supporter. Je m'éveillai. J'étais assis sur mon séant, dans mon lit, les bras tendus devant moi ; j'étais glacé; le front trempé de sueur.« Villiers de L'Isle-Adam (1838-1889), Contes cruels (parus en 1883).

Sans dissocier la forme et le fond, vous ferez un commentaire composé de cette page. Vous pourrez étudier par exemple les procédés par lesquels l'auteur essaie, dans un récit conté à la première personne, de faire vivre à son lecteur une scène de mystère et d'angoisse. Le propre du récit fantastique est de supposer un «lecteur naïf «, c'est-à-dire un lecteur qui se soumette au texte, le lise au premier degré en quelque sorte. Vous devez donc vous garder, sous peine de contresens, de chercher ici autre chose qu'une description de phénomène fantastique. Théoriquement, un tel texte ne devrait être abordé qu'en ayant une bonne connaissance de ce que sont le fantastique et les genres annexes (étrange, merveilleux, épouvante, etc.). Vous pouvez consulter le dernier chapitre du tome 2 $ Approches littéraires entièrement consacré à ces genres.   

Le baron Xavier de la V... discute avec des amis « des coïncidences extraordinaires, stupéfiantes, mystérieuses, qui surviennent dans l'existence de quelques personnes «. Il raconte alors ce qui lui est arrivé en 1876, au solstice d'automne, à Saint-Maur, petit village de Bretagne. Il s'y était rendu pour retrouver à l'improviste un vieil ami, le savant et pauvre abbé Maucombe, jadis officier de dragons. Malgré la cordialité de l'accueil, le baron est inquiet de l'air « étranger « du presbytère, tout comme lui paraît étranger le visage de son hôte l'installant dans une chambre. Voici qu'il est minuit, on frappe à la porte, une lumière qui n'éclaire pas, espèce de tache sanglante, sort de la serrure.

« encore les « coïncidences extraordinaires, stupéfiantes, mystérieuses » qui sont la trame de L'Intersigne.Coïncidences qui se manifestent ici par la présence de trois « genres » ; l'épouvante au cœur de laquelle nous placed'emblée le résumé : « Voici qu'il est minuit...

» ; le fantastique qui sous-tend l'intérêt d'ensemble du passage avantde se résorber dans l'étrange, tant il est vrai que chacune de ces formes n'existe que par la présence des deuxautres. L'épouvante est ici caractérisée par toute une série d'éléments qui se regroupent en thèmes.

Le premier,omniprésent, est celui de la nuit ; se dégagent quelques constantes telles que l'heure, minuit, ou l'oiseau de nuit.Toutefois, plus intéressante est l'opposition ténèbres/clarté.

En effet au paradigme nocturne, répondentsuccessivement une lumière, une lueur, la lune ; mais une lumière qui n'éclaire pas, une lueur qui s'éteint...

Ainsidonc plus que de lumière c'est d'éclairage dont il est question, un éclairage partiel puisqu'il fuse par le trou d'uneserrure ou qu'il dévoile le corps d'un homme mais non son visage.

Ce qui entretient un certain suspens, lui-mêmeren-forcé par plusieurs adverbes comme « largement », « silencieusement », mais surtout « lentement ». Et que suscite le suspense sinon la peur ? Ce sentiment de peur, fortement connoté, s'amplifie à tel point que ce quin'était qu'une frayeur et donc une peur passagère se transforme en angoisse, véritable malaise.

Jusqu'ici lesévénements rapportés, même s'ils nous apparaissent inquiétants, insolites s'expliquent tant par des superstitionsque par des lois psychologiques.

Pourtant ce qui ne peut se justifier, alors que la nuit décuple les sons, véritablefantasmagorie sonore, c'est que le « violent tour de clef », le « cri affreux »; ou le « râle d'angoisse » ne fassentaucun bruit. Nous touchons ici au surnaturel, le récit bascule dans le fantastique. « Chose singulière » nous pénétrons avec « ce visiteur » dans « l'autre monde » ; car ainsi que l'affirme Todorov,dans Introduction à la littérature fantastique, le texte nous oblige à considérer le monde des personnages comme unmonde de personnes vivantes et implique l'intégration du lecteur à cet univers. L'hésitation, trait distinctif du genre, sera donc celle du lecteur, la nôtre, représentée dans cet extrait par celle dunarrateur.

Car enfin ce dernier hésite : « Qui est là ? » s'interroge-t-il et plus loin son attitude trahit son indécision :« J'allais m'approcher »...

Indécision que nous partageons puisque nous nous demandons si tout ce qui lui arrive estvrai.

Est-ce bien là la réalité ou s'agit-il d'une illusion, d'une chimère? De plus le discours fantastique qui est tenu ravive notre incertitude.

Les modalisations du narrateur : le « comme »de « il me le tendait comme pour me l'offrir » ou encore le « il me sembla ».

Mais aussi l'exagération : « Paralysé parune frayeur qui s'enfla instantanément jusqu'au paroxysme.

» La gradation, les adjectifs les plus puissants setrouvant vers la fin du passage, « violent » ou « frénétique ». Peut-être également la non-détermination, la non-définition des objets, des personnages : le manteau est une «chose lourde et vague », le prêtre n'est autre qu' « une forme haute », « ce visiteur ». Toutes les conditions de fantastique sont réalisées, affirmées; Nous sommes en plein surnaturel. Certes, mais le genre fantastique est selon Todorov « un genre toujours évanescent » qui « ne dure que le tempsd'une hésitation ».

Plus qu'un genre autonome, il semble se situer à la limite de deux autres : le surnaturel expliqué,l'étrange et le surnaturel accepté, le merveilleux. Le visiteur de minuit n'échappe pas à cette loi : « C'était plus que l'organisme n'en pouvait supporter.

Je m'éveillai.

» A ce moment, une explication rationnelle est donnée.

Nous quittons le fantastique pour l'étrange, « tout cela »n'était qu'un rêve ou peut-être devrions-nous dire un cauchemar! Plongé dans l'univers onirique tout reçoit sinon un sens, une explication, y compris le silence, élément hybride, lepropre du rêve étant d'être silencieux.

« La littérature n'est que le développement de certaines propriétés du langage » prétendait Valéry.

Et de fait, si lemot sert à désigner, ou à communiquer, il peut aussi se substituer à la réalité pour engendrer un univers qui s'imposeà nous, nous charme ou nous oppresse, nous force à réagir en agissant sur nous.

Tels sont le fantastique et sesformes connexes dont use ici Villiers : qu'importe ce que nous croyons ! le texte s'impose à nous et, nous incluantpar le regard du narrateur, nous oblige à subir sa loi, à vivre cette angoisse, cette hésitation. Peut-être le rêve n'est-il rien d'autre que la littérature!. »

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