On a dit que «Polyeucte » était la moins cornélienne des tragédies de Corneille. Dans quelle mesure pouvez-vous souscrire à ce jugement ?
Publié le 29/03/2014
Extrait du document

Mais ce changement extérieur et immédiatement
apparent n'est que l'indice d'un changement intérieur et qui tient au fond même du sujet. L'étude du cadre de la pièce nous le confirme. Le cadre, mieux encore, le fond naturel et nécessaire d'une tragédie cornélienne, c'est une grande intrigue d'une répercussion historique où se mêlent le romanesque et la politique. Or nous avons déjà vu que si l'élément romanesque existe dans Polyeucte, il se cantonne à l'arrière-plan ; quant à l'élément politique, il est autant dire absent. Corneille a sans doute puisé le sujet de sa pièce dans le cycle d'événements qui, du point de vue de l'histoire et de la politique, a le plus souvent et le plus heureusement inspiré sa verve, l'histoire romaine. Mais l'action se déroule dans une marche de l'Empire romain, et à une époque où l'esprit romain ne se survit même plus à Rome. Aucun personnage, pas même Sévère, ne se présente comme le représentant qualifié de Rome. A aucun moment, les destinées de Rome ne sont engagées. Plus de grandes joutes oratoires où des souverains et des ministres cristallisent en des dissertations antithétiques le machiavélisme politique de tous les temps et où, avec l'attaque et la riposte, surgissent sous nos regards les raisons de la grandeur et de la décadence d'un potentat, d'un régime, d'un empire. Le seul morceau qui, dans Polyeucte, rappelle des dissertations de cet ordre, c'est la tirade où Sévère exprime sur les chrétiens et le Christianisme l'opinion en cours chez les païens cultivés du Ill

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passion, et chacun aime et reste aimé en renonçant à l'autre d'un effort raisonné et volontaire.
Tel est bien en effet d'un bout à l'autre le sentiment de Sévère quand il renonce une
première fois à Pauline sans faire le moindre effort pour l'entraî ner à fuir avec lui, quand il se refuse à profiter de sa faveur nou
velle pour rompre le mariage de Pauline ou seulement pour humilier son rival, quand enfin il intervient personnellement pour sauver cet homme dont l'existence a opposé à son amour un second obstacle alors que le premier disparaissait.
Telle apparaît aussi Pauline dans la sincérité des confidences qu'au début de la pièce elle fait à sa suivante Stratonice, et dans la franchise de son attitude à l'égard de Sévère lorsqu'elle le retrouve après une longue séparation.
Comme il est naturel, le
style est à l'unisson des sentiments : les scènes consacrées à l'intrigue Sévère-Pauline sont les seules où les personnages s'expriment avec une certaine recherche qui donne une impres
sion de réserve décente, d'idéalisme sentimental, parfois même de
préciosité.
Le
« grand Corneille » se retrouve ici tout entier.
II.
«POLYEUCTE», LA MOINS CORNÉLIENNE
DES TRAGÉDIES DE CORNEILLE
Le style Mais le roman de Pauline et de Sévère ne figure dans la pièce qu'au second plan et partout ailleurs
la tragédie manifeste un renouvellement dans la manière de
Corneille.
Cette impression se confirme
d'abord par l'élément le plus extérieur mais aussi le plus éclatant et le plus caractéris
tique peut-être d'une tragédie cornélienne : la forme.
Le style
de Polyeucte, certes, garde les principaux traits où se révéle 1 'écrivain de race : propriété des termes, vigueur concentrée de la proposition, enchaînement puissamment logique des
propositions
en phrases, plénitude mate des rimes.
Néan
moins, dans Polyeucte, la forme cornélienne a perdu la plupart des éléments qui lui donnaient, dans les grandes tragédies anté
rieures, son extraordinaire éclat héroïque et romanesque au point de la faire tomber parfois dans l'emphase et la préciosité.
Plus ou presque plus de jeux d'antithèses, de vers frappés en médaille, de vers-sentences, de dialogues où d'un vers à l'autre surgissent 1 'attaque et la riposte ; plus de longs débats où s'affrontent des périodes se répondant point par point, comme de
véritables plaidoyers.
Du même coup, la forme de Polyeucte, dans les passages éclatants, ne se distingue du langage courant que par la fermeté de 1 'expression, elle prend à mainte occasion.
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