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Sade et Restif de la Bretonne - Histoire de la littérature

Publié le 20/01/2018

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sade

Historiquement incompréhensible en dehors

du libertinage jouisseur et satirique de son siècle, le libertinage de Sade n'en est pas moins essentiellement diférent. Sade détruit l'homme; la société a censuré ses œuvres les plus audacieuses, mais, quelque interprétation qu'on puisse donner à ce réflexe défensif, on ne saurait faire l'apo¬logie de Sade en le présentant comme sainement libérateur; la valeur fondamentale de sa pensée, selon la forte parole de G. Bataille, • est d'être incompatible avec celle d'un être de raison 1 •; il est important dans la mesure où il est révoltant : essayer d'intégrer d'une manière ou d'une autre le sadisme à l'humanisme, c'est les méconnaître tous deux. Les psychiatres qui ont parfois reconnu en lui, à cause de son inventaire descriptif des perversions sexuelles, le précurseur de leurs études de psychopathologie, l'ont tenu pour malade lui-même, et les philosophes qui ont vu dans son œuvre une des tentatives les plus méthodiques et les plus cohé¬rentes pour résoudre le problème du mal n'ont jamais proposé sa doctrine à notre admiration; les surréalistes l'ont salué comme l'un des leurs avant la lettre parce qu'il s'insurgeait contre tous les interdits et revendiquait pour l'homme le droit d'être tout ce que comportait sa nature et d'assouvir ses désirs les plus fous, mais ils ont négligé ce que cette revendication avait de morbide, de stérilement solip­siste et de contradictoire : car l'individualisme total de Sade équivaut à une déshu¬manisation totale; enfin, chercher dans ses œuvres des qualités formelles est leur demander ce que l'auteur ne songeait pas à offrir : il n'est pas sensible à la beauté, il croirait affaiblir la violence de ses débauchés s'il leur prêtait le goût raffiné et la riche élégance que tel de nos contemporains, son imitateur, prête aux siens; les grâces du style seraient un moyen de persuasion ou de flatterie supposant quelque complaisance de l'écrivain pour ses lecteurs, alors que Sade veut blesser les lecteurs en leut infligeant le langage le plus direct et les raisonnements les plus choquants; il se refuse à toute image, il ne met aucune poésie dans ses des¬criptions ; s'il fait de la << littérature •, c'est dans les œuvres où son sadisme est\" masqué et dans lesquelles, loin de chercher à plaire, il tourne en dérision les procédés du roman sentimental. Ses autres œuvres, parce qu'il y est sincère, ont une espèce de beauté, non cherchée comme telle, qui réside dans la puissance de l'imagination (mais non dans son expression) et dans la vigueur nerveuse de l'argu¬mentation; on peut aussî trouver dans les invectives ordurières et les mots crus, dans la franchise de l'obscénité et la désinvolture des locutions toutes faites une violation de la beauté plus frappante que la beauté même S•

qu'il emploie à propos des plaisirs libertins : le romancier a le droit de porter atteinte à la vérité historique • quand la rupture de ce frein devient nécessaire aux plaisirs qu'(il) nous prépare ». Rompre des freins, c'est la devise du sadique 1• Restif s'appuie lui aussi sur une tradition, celle du réalisme sentimental de Marivaux de Richardson, de Rousseau, et, quand il décrit des mœurs condamnables ou qu'il excuse les entraînements de la passion, il peut compter parmi ses maîtres l'auteur de Manon Lescaut; mais il va beaucoup plus loin dans le réalisme social qu'aucun de ses prédécesseurs; il est le romancier de la paysannerie et du petit peuple des villes, que la littérature sérieuse ignorait presque complètement depuis plusieurs siècles, et il rend sensible la poésie gracieuse, dramatique ou sordide de leur existence. Il n'écrit pas de romans : il le dit, comme l'ont dit la plupart des roman¬ciers de son siècle, et avec plus de raison; il a forgé des utopies et des histoires fantastiques, mais il est plus attachant quand il fait ressortir le romanesque de la vie quotidienne, étrange et pourtant familier; ayant composé des romans << dont les bases vraies n'excluaient pas l'imagination >>, il écrivit Monsieur Nicolas, son autobiographie, par << soif de la vérité pure ». Enfin, Restif est roturier, quand Sade est aristocrate; ils s'opposent par leur attitude devant l'histoire : tous deux veulent précipiter la marche des événements, mais Restif, disciple de Fénelon et de Rousseau, rêve de phalanstères, d'organisations collectives qui garantiraient la liberté individuelle et la justice et disciplineraient les mœurs, tandis que Sade appelle le peuple à une libération totale et propose l'anarchie comme but au ren¬versement des pouvoirs établis; l'instinct populaire de l'un et les sévères habitudes patriarcales de la famille à laquelle il appartenait le rendent solidaire du corps social; l'autre, voyant anéantis par la Révolution les privilèges de sa classe, réagit par la surenchère et espère retrouver dans l'abolition de tout lien et de toute convention une liberté dont le désir est exacerbé chez lui par de longues années d'incarcération S•

Les points communs ne sont pourtant pas négligeables : ayant vécu dans une époque de sensibilité excessive et de confusion morale, puis de violence déchaînée, Sade et Restif sont tous deux égocentristes; leur immoralisme naturel, excité par l'immoralisme ambiant, prend la forme de l'érotisme, mais Restif déplore la violence des passions et punit toujours au dénouement les excès du libertinage, au lieu que Sade fait conspirer la société et la nature au triomphe du vice et à l'écrasement de la vertu. Quoique très différentes, leurs œuvres à tous deux ont un caractère démesuré, non seulement par les sujets traités et les personnages décrits, mais par les dimensions ; Restif écrit pour racheter (non sans équivoque) les fautes qu'il a commises ou cru commettre, Sade, pour compenser son impuis¬sance à réaliser intégralement et parfaitement le mal; l'un et l'autre semblent poussés par un besoin irrésistible de fabulation, Sade voulant modeler le monde sur son désir, et Restif envahissant le monde réel d'un désir non moins intense et le peuplant de souvenirs vrais ou imaginaires. L'œuvre de Restif, qui comprenait

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« qu'il emploie à propos des plaisirs libertins : le romancier a le droit de porter atteinte à la vérité historique « quand la rupture de ce frein devient nécessaire aux plaisirs qu'(il) nous prépare ».

Rompre des freins, c'est la devise du sadique 1• Restif s'appuie lui aussi sur une tradition, celle du réalisme sentimental de Marivaux de Richardson, de Rousseau, et, quand il décrit des mœurs condamnables ou qu'il excuse les entraînements de la passion, il peut compt er parmi ses maîtres l'auteur de Manon Lescaut; mais il va beaucoup plus loin dans le réalisme social qu'aucun de ses prédécesseurs ; il est le romancier de la paysannerie et du petit peuple des villes, que la littérature sérieuse ignorait presque complètement depuis plusieurs siècles, et il rend sensible la poésie gracieuse, dramatique ou sordide de leur existence.

Il n'éc rit pas de romans :ill e dit, comme l'ont dit la plupart des roman­ ciers de son siècle, et avec plus de raison ; il a fo rgé des utopies et des histoires fa nt astiques, mais il est plus attachant quand il fait ressortir le romanesque de la vie quotidienne, étrange et pourtant famili er; ayant composé des romans >, il écrivit Monsieur Nicolas, son autobiographie, par. »

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