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Situation et composition du roman Thérèse Desqueyroux de Mauriac

Publié le 23/01/2020

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SITUATION DANS LE TEMPS

Les romans de Mauriac n’accordent que fort peu de place aux événements historiques ; mais les quelques allusions qu’ils contiennent suffisent à fixer l’époque de leur action. Dans Le Mystère Frontenac, ou Le Nœud de Vipères, par exemple, la guerre de 1914 sert de repère. Le dernier de ces deux romans fournit également des dates précises : de mariage, de naissance, toute une chronologie des moments essentiels de la vie des personnages.

Dans Thérèse Desqueyroux, ces repères manquent. Sans doute savons-nous que l’année de son mariage, Bernard a vingt-six ans, que sa demi-sœur Anne est beaucoup plus jeune que lui, et plus jeune que Thérèse. Le drame lui-même s’inscrit dans un temps de deux années, et nous connaissons la saison, le mois, le moment du mois, parfois le moment de la journée, où les événements ont eu lieu. Mais nous en sommes réduits à deviner l’âge de Thérèse; et nous disposons de peu de renseignements pour déterminer une époque. Nous sommes au-delà de l’affaire Dreyfus, que tante Clara rappelle avec passion (p. 121); aux beaux jours de la politique radicale, de l’anticléricalisme. Dans les lycées de jeunes filles, s’élabore une morale qui ne doit plus rien à la religion; et les familles bien-pensantes, redoutant les méfaits d’une éducation laïque, envoient leur fille au couvent : Anne a été confiée aux dames du Sacré-Cœur. Thérèse se farde, elle fume, elle est déjà une femme moderne; mais ces façons de faire choquent sa belle-famille. L’automobile existe, bien sûr, et Bernard en possède une qu’il conduit lui-même; mais Monsieur Larroque a encore calèche et cocher ; entre Saint-Clair

LE POINT DE VUE DE THÉRÈSE ET LE POINT DE VUE DE MAURIAC

Dans dix des treize chapitres du roman, Thérèse est presque continuellement seule : seule pendant le temps de son voyage de B. à Argelouse (chapitres 2 à 9), seule pendant le temps de sa séquestration (chapitres 10 et 11). Cette femme « condamnée à la solitude éternelle » (p. 19), qui n’a jamais personne auprès d’elle à qui parler, ou qui veuille l’écouter, et qui prête à peine attention à ce qu’on dit, est rejetée à ses rêves, à ses'songes; « ainsi songeait Thérèse » : cette expression, par sa fréquence, est significative. Dans sa presque totalité le roman est un long soliloque.

Le point de vue sur les êtres et sur les événements est donc le point de vue de Thérèse. C’est elle qui voit, qui entend, qui sent, et qui songe. C’est dans sa conscience que nous nous introduisons. Nous n’entendons que son témoignage, avec ce qu’il comporte nécessairement d’oubli ou d’erreur. Il est des faits qui lui échappent, toute une part des êtres qui lui reste inconnue; ainsi devine-t-elle que Bernard vaut mieux que la caricature qu’elle en trace. Il en est d’autres qu’elle veut oublier, ou qu’elle choisit au contraire de retenir et de rappeler. Car son retour sur soi-même est orienté par l’intention de Thérèse, et par le caractère de la personne à qui elle va parler; ainsi sa confession est en même temps une défense, et Bernard n’est pas seulement le mari auquel on se confie, il est le juge qui va prononcer sa sentence.

Parfois Mauriac s’est contenté d’écouter son personnage, de lire sa pensée : quelques phrases, parfois un chapitre presque entier - le chapitre vi - sont à la première personne. Mais plus souvent le soliloque de Thérèse est rapporté à la troisième personne, au style indirect : « Thérèse songeait que... \", « Thérèse se souvient que... », « il semble à Thérèse que... \", « Thérèse s’efforce d’imaginer que... \". Le romancier est là, qui regarde vivre son personnage, et nous invite à l’observer avec lui; il reprend la narration à son compte. Une réflexion se glisse qui ne peut être que de lui. Un commentaire s’ébauche, dégageant une leçon générale : nous reconnaissons la voix de Mauriac, son point de vue, son jugement : « Rien n’est vraiment grave pour les êtres incapables d’aimer; parce qu’il

« et Argelouse on voit rouler la carriole de Balion ou le cabriolet de tante Clara.

Les maisons de Saint-Clair et d' Argelouse s'éclairent au pétrole : une fois la nuit tombée, les seules lumières sont celles des feux, des lanternes, des lampes, des bougies.

Nous devinons l'existence de problèmes sociaux : les " anecdotes sinistres " (p.

82) de tante Clara nous disent la dure vie des métayers, des vieillards surtout, " condamnés au travail jusqu'à la mort ..

, et des femmes; nous apprenons ce que gagne un " résinier ..

, payé -bien payé, estime le fils Deguilhem, riche propriétaire -" à l'amasse de gemme " : " Savez-vous qu'w.n résinier, aujourd'hui, se fait des journées de cent francs? " (p.

r66).

Et Thérèse n'ignore pas le conflit des classes; mais son tragique lui échappe " dans un pays où ...

le goût commun de la terre ...

crée entre tous, bourgeois et paysans, une fraternité étroite " (p.

81).

Du reste du monde, que savons-nous? Bernard ne lit que La Petite Gironde; encore s'assoupit-il sur son journal.

La guerre de 1914 menace-t-elle, ou a-t-elle eu lieu? Une seule allusion, à la chronique judiciaire celle-là, permet de fixer approximativement l'action au-delà de 1918 : Bernard se souvient que lorsqu'il était enfant, il a vu dans un journal une image coloriée " qui représentait La Séquestrée de Poitiers " (p.

162).

Or l'affaire est de 1901.

On peut en conclure que Bernard se marie, à vingt-six ans, en 1919 au plus tôt -à moins qu'on ne place ce mariage pendant la guerre, ce qui est inconcevable.

Mauriac n'a pas daté les événements de son roman, d'abord parce qu'ils sont contemporains ou proches des années où Mauriac écrit ce roman; l'auteur y peint, et le lecteur de 1927 y reconnaît, la vie d'hommes et de femmes de leur temps.

L'ignorance des grands bouleversements qui s'opèrent dans le monde est d'autre part le fait de cette société qu'il décrit, société provinciale repliée sur elle-même.

Ces pro­ priétaires attachés aux domaines dont ils vivent, s'en éloignent à èontrecœur, pressés, à chaque voyage, de revenir à leurs habitudes, Seule Thérèse, parce qu'elle veut être« une femme d'aujourd'hui " (p.

149), soupçonne qu'ailleurs, au-delà des limites de son pays, il se passe quelque chose : des esprits s'interrogent, des livres se publient qui proposent aux vieux problèmes des solutions neuves, le monde change.

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