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Situation et composition du roman - THÉRÈSE DESQUEYROUX de MAURIAC

Publié le 02/03/2020

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sa liberté et la laisse seule à la terrasse d’un café parisien, quelle vie s’ouvre devant elle? Si Thérèse est bien réellement libre maintenant, et libre de devenir elle-même, que fera-t-elle de .cette liberté, quelle Thérèse va-t-elle être? Mais si cette liberté est illusoire, quels risques ne va-t-elle pas courir et comment ne se perdrait-elle pas? Le roman s’achève sans rien résoudre, au moment où nous voudrions qu’il commence. Il appelle au moins une suite; et cela est si vrai que Mauriac, préoccupé du destin de son héroïne, est sans cesse revenu à elle dans les années qui suivirent la publication du roman. Ainsi est né tout un cycle consacré à ce personnage. Dans un chapitre d’un roman publié en 1930 : Ce qui était perdu, dans deux nouvelles de 1933 : Thérèse chez le docteur et Thérèse à P hôtel, dans un roman qui lui est à nouveau consacré : La Fin de la Nuit, publié en 1935, nous rencontrons Thérèse quelques années, dix ans, quinze ans après l’instruction; nous la suivons, quelques instants ou quelques semaines, dans sa vie de désordres et de souffrances, nous la voyons revenir et mourir à Argelouse.

Thérèse Desqueyroux pourrait paraître un roman inachevé. Il contient en fait la totalité de ce qu’il veut peindre : l’affrontement sans issue de deux êtres qui se sont liés sans amour. Il est significatif que la construction du roman détache, aux chapitres 9 et 13, ces deux scènes où Bernard se révèle par deux fois incapable d’une parole de tendresse ou de compassion, incapable du pardon qui pourrait sauver Thérèse.

Il est plus juste de dire qu’il est le roman de l’inachevé. Que l’on songe à U Étranger de Camus : Meursault a tué, il est jugé : nous sommes dans le monde des actes définitifs, des gestes qui tuent et des sentences qui condamnent. On apprécie alors par contraste à quel point Thérèse Desqueyroux est le roman des gestes vains, des actes et des pensées non définitifs, mais toujours révocables, susceptibles d’amendement et de pardon. A chaque fois, tout reste possible : que la haine cède à la tendresse, que Thérèse revienne à Bernard ou qu’elle parvienne à Dieu. Ce « hasard » où marche Thérèse au moment où nous la perdons de vue, tout nous porte à penser qu’il pourrait se faire Grâce : << Sur ce trottoir où je t’abandonne, j’ai l’espérance que tu n’es pas seule » (p. 6).

On s’étonne pourtant de ne trouver aucun souvenir de la guerre. Elle a éclaté quand les héros du roman avaient plus de vingt ans : comment Bernard n’aurait-il pas été mobilisé? Or tout se passe comme s’il n’y avait pas eu de guerre du tout. Bernard semble avoir toujours librement disposé de son temps : « Jusqu’à son mariage, il fit une part égale au travail et au plaisir » (p. 31); jusqu’à son mariage rien n’est venu troubler l’organisation méthodique de ses études, de ses voyages et de ses chasses.

On peut donc penser que ce refus d’insérer l’action romanesque dans le déroulement d’événements historiques précis, que ce parti pris d’annuler l’histoire, ont une autre raison encore. Ils traduisent sans doute la volonté de peindre, sans s’arrêter aux particularités d’une époque, une vérité humaine qui est de tous les temps. Ce couple que nous observons dans une chambre impersonnelle d’un hôtel, ce n’est . plus Bernard et Thérèse : mais le couple éternel. Il dort, « Adam désarmé et nu, d’un sommeil profond et comme éternel »>; auprès de lui, accoudée sur l’oreiller, « la femme » (p. 60) - Ève ou Dalila? - le regarde dormir. Nous ne savons pas son âge \\ mais c’est parce qu’elle n’en a pas : « Je n’ai pas d’âge » (p. 183), constate-t-elle en s’apercevant dans une glace.

SITUATION GÉOGRAPHIQUE

Bernard a visité l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas ; il a, pour leur voyage de noces, emmené Thérèse aux lacs italiens. Mais de ces voyages, pas une image ne nous est rapportée, sinon celle de Bernard parcourant les musées, Baedeker 1 2 en main, « satisfait d’avoir vu dans le moins de temps possible ce qui était à voir » (p. 46) : pressé de faire ce que doit faire un touriste consciencieux, parce qu’il est pressé de rentrer. La vraie vie, pour les la Trave, pour les Desqueyroux, pour les Lar roque, ne saurait se concevoir hors de la « petite

1. D’une indication de La Fin de la Nuit - Thérèse a quarante-cinq ans quinze ans après l’instruction de son procès - nous déduisons qu’elle a vingt-huit ans à son mariage, et qu’elle est de deux ans plus âgée que Bernard.

2. Célèbre guide touristique.

« et Argelouse.

on voit rouler la carriole de Balion ou le cabriolet de tante Clara.

Les maisons de Saint-Clair et d' Argelouse s'éclairent au pétrole : une fois la nuit tombée, les seules lumières sont celles des feux, des lanternes, des lampes, des bougies.

Nous devinons i'existence de problèmes sociaux : les " anecdotes sinistres " (p.

82) de tante Clara nous disent la dure vie des métayers, des vieillards surtout, " condamnés au travail jusqu'à la mort '" et des femmes; nous apprenons ce que gagne un " résinier ", payé -bien payé, estime le fils Deguilhem, riche propriétaire -" à l'amasse de gemme " : " Save:z;-vous qu'un résinier, aujourd'hui, se fait des journées de cent francs? " (p.

166).

Et Thérèse n'ignore pas le conflit des classes; mais son tragique lui échappe " dans un pays où ...

le goût commun de la terre ...

crée entre tous, bourgeois et paysans, une fraternité étroite "(p.

81).

Du reste du monde, que savons-nous? Bernard ne lit que La Petite Gironde; encore s'assoupit-il sur son journal.

La guerre de 1914 menace-t-elle, ou a-t-elle eu lieu? Une seule allusion, à la chronique judiciaire celle-là, permet de fixer approximativement l'action au-delà de 1918 : Bernard se souvient que lorsqu'il était enfant, il a vu dans un journal une image coloriée " qui représentait La Séquestrée de Poitiers " (p.

162).

Or l'affaire est de 1901.

On peut en conclure que Bernard se marie, à vingt-six ans, en 1919 au plus tôt -à moins qu'on ne place ce mariage pendant la guerre, ce qui est inconcevable.

Mauriac n'a pas daté les événements de son roman, d'abord parce qu'ils sont contemporains ou proches des années où Mauriac écrit ce roman; l'auteur y peint, et le lecteur de 1927 y reconnaît, la vie d'hommes et de femmes de leur temps.

L'ignorance des grands boulèversements qui s'opèrent dans le monde est d'autre part le fait de cette société qu'il décrit, société provinciale repliée sur elle-même.

Ces pro­ priétaires attachés aux domaines dont ils vivent, s'en éloignent à contrecœur, pressés, à chaque voyage, de revenir à leurs habitudes, Seule Thérèse, parce qu'elle veut être« une femme d'aujourd'hui " (p.

149), soupçonne qu'ailleurs, au-delà des limites de son pays, il se passe quelque chose : des esprits · s'interrogent, des livres se publient qui proposent aux vieux problèmes des solutions neuves, le monde change.

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