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TRAGÉDIE (Histoire de la littérature)

Publié le 08/11/2018

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histoire

Si l'Abraham sacrifiant, de Théodore de Bèze, est en 1550 la première tragédie écrite en français, c’est à Jodelle qu’il revient d’avoir fixé, deux ans plus tard, dans Cléopâtre captive, les premiers contours du genre tel qu’il va être pratiqué pendant un demi-siècle. Une structure en cinq actes, à la prosodie variée et souple, marquée par l’alternance de scènes, de récits et de plages lyriques; la présence d'un chœur, qui intervient à la fin de chaque acte et dialogue souvent avec les personnages; des sujets empruntés à l’Antiquité, à la Bible et, exceptionnellement, à l’histoire moderne; une action subordonnée à la formulation d’une leçon morale, souvent empreinte de stoïcisme, et articulée autour d'un renversement de fortune; une écriture, enfin, qui subordonne généralement l’efficacité dramatique aux exigences de la poésie : tels sont, de Jodelle à Garnier et à Montchrestien, en passant par Jean Grévin et Jean de La Taille, les caractères généraux de la tragédie de la Renaissance. A la différence, cependant, de leurs confrères anglais, ces écrivains ne parviennent pas à inscrire leur théâtre dans la vie de la société contemporaine, et, en ce sens, ils demeurent des marginaux.

 

Lorsque le public français commence vraiment à s’intéresser au théâtre sérieux, dans les dernières années du xvic siècle, c’est vers des œuvres romanesques et spectaculaires qu’il se tourne : tragi-comédie et pastorale [voir Tragi-comédie, Pastorale dramatique] entraînent alors de leur côté la tragédie, qui se voue à la représentation d’actions violentes et démesurées, dans un langage flamboyant et avec une fantaisie qui ne craint pas l'invraisemblance (Jean de Schelandre, et Alexandre Hardy qui va pourvoir, à la demande, un Hôtel de Bourgogne rénové et devenu accueillant à un public tumultueux). On aurait tort de sous-estimer l’importance de cet épisode apparemment anarchique dans l’histoire de la tragédie française : il marque d’abord l’implantation du théâtre dans les loisirs de la vie urbaine et la réconciliation de la tragédie avec l'esprit du temps; au moins autant que par ses débordements, il est remarquable par ce qu’il manifeste des goûts du public. Celui-ci impose désormais sa volonté en faisant la fortune des spectacles qui lui plaisent (ainsi l’éclatant succès de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau, en 1621) et souhaite que règne sur la scène une imagination en liberté qui, à travers des histoires d’amour ou d’héroïsme, lui donne à voir des intrigues animées. La nouvelle génération d'auteurs dramatiques qui apparaît autour de 1630 (Mairet, Scudéry, Rotrou, Corneille), tout en affinant sa conception de la tragédie, tiendra compte de ces exigences aussi attentivement que des admonestations qui commencent à s’élever pour rappeler le théâtre à la mesure et à la raison.

 

Le triomphe de la régularité (1640-1715)

 

Trois facteurs, dont l’influence se conjugue, favorisent le retour progressif à la régularité de la tragédie (mais aussi de la pastorale et de la tragi-comédie) :

 

l° Une intense activité théorique, liée à la découverte de la Poétique d’Aristote [voir Aristote], naît en Italie à partir de 1560 et rencontre une vaste audience en France quelque soixante-dix ans plus tard : Scaliger, Piccolo-mini, Castelvetro y sont lus et commentés avec ardeur, comme les héritiers légitimes de la pensée aristotélicienne. Après Chapelain, La Ménardière, Sarasin, l’abbé d’Aubignac débattent des règles de la tragédie et, avec des nuances propres à chacun, imposent des définitions rigoureuses de la vraisemblance et de la bienséance, qui fondent à leur tour la légitimité de la séparation des genres et l'exigence des trois unités d’action, de lieu et de temps.

TRAGÉDIE. A la différence de la comédie, protéiforme et susceptible de s’implanter dans les cadres sociaux et culturels les plus divers, la tragédie est un genre strictement défini, qui, tout en s’accommodant de codifications et d'expressions scéniques variées, ne trouve à s'épanouir qu’à certains moments de l’histoire, en accord avec certaines dispositions de la sensibilité collective; aussi bien n’a-t-elle atteint de vraie plénitude théâtrale que dans la Grèce du ve siècle, dans l’Angleterre élisabé-thaine et dans la France « classique », à travers des triomphes relativement brefs, quoique préparés de longue main et suivis d’une décadence assez lente pour n’être pas tout de suite remarquée.

 

L’histoire de la tragédie française s’étend, certes, sur deux siècles et demi, de la Renaissance à la Révolution, et le millier de pièces qui la jalonnent n’obéissent nullement à un jeu univoque de prescriptions et de règles, mais elles portent toutes en commun les mêmes marques distinctives qu’a décrites Aristote : il s'y agit de « l’imitation (mimesis) d’une action de caractère élevé et complète, dans un langage relevé d’assaisonnements d’une espèce particulière suivant les différentes parties, imitation qui est faite par des personnages en action, et non au moyen d’un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation (catharsis) propre à pareilles émotions ». A quoi il faut ajouter que les personnages n’y agissent pas « pour imiter les caractères, mais reçoivent leurs caractères par surcroît et en raison de leurs actions », parce que l’enjeu de la tragédie est le bonheur ou le malheur des hommes, qui ne se formule pas en termes de psychologie individuelle, mais à travers les figures exemplaires de la poésie.

 

II découle de là que le sentiment du tragique ne suffit pas à caractériser la tragédie en tant que genre théâtral,

 

puisqu’il n’implique en lui-même ni l’aveu d’un absolu ni le désir d’une libération par la créance accordée aux images de la scène. Quant au mot « tragique », il a voulu dire funeste dès son apparition, vers la fin du xive siècle, et cette notion ne saurait expliquer à elle seule le plaisir qu’un public de plus en plus large a pris ensuite aux rigueurs de la tragédie, pas plus que le désintérêt qui en a détourné progressivement les spectateurs à partir des années 1750.

 

La tragédie en liberté (1550-1640)

 

Que la tragédie française soit née de l’effort des humanistes et de leur désir de « restituer en leur ancienne dignité » les grands genres de l’Antiquité gréco-latine, voilà qui ne fait aucun doute : facilité par l’interdiction portée en 1548 contre le jeu des mystères [voir Mystère], l’essor de la tragédie s’est fait à pas lents et dans une liberté d’autant plus grande que les érudits ne disposaient, au milieu du xvie siècle, que d’un appareil théorique assez vague et de moyens techniques rudimentaires. Plutôt qu’à Aristote, édité pourtant en 1498, ils se référaient à Horace, à Donat ou à Boèce, et leur modèle privilégié était l’œuvre, plus lyrique que théâtrale, de Sénèque; de plus, en l’absence de scènes équipées, le nouveau genre était voué à être représenté, dans les collèges et les châteaux, sur des estrades provisoires, devant des publics restreints, par des écoliers et par des amateurs : les troupes professionnelles ambulantes n’apparaissent en France que dans la dernière décennie du xvie siècle, et l’Hôtel de Bourgogne, unique théâtre de Paris, demeure interdit aux genres nouveaux jusqu’en 1599.

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