Vous commenterez le texte de Marguerite Duras à partir de : « Elle descend dans les coursives » (l. 19) jusqu’à la fin.

Marguerite Duras relate son enfance et son adolescence en Indochine, une colonie française où sa mère est venue comme institutrice. Dans cet extrait, elles sont sur le bateau qui les ramène en France.

Elle descend dans les coursives! Elle cherche encore la double cabine 20 où elles ont leurs couchettes, la mère et elle.

Et puis elle s’arrête de chercher tout à coup. Elle sait que ça ne sert à rien, la mère restera introuvable.

Elle remonte sur le pont-promenade.

Sur l’autre pont l’enfant ne trouve plus sa mère non plus.

25 Et puis elle la voit, elle est plus loin cette fois-ci, elle dort encore, dans une autre chaise longue, légèrement tournée vers l’avant. l'enfant ne la réveille pas. Elle retourne encore dans les coursives. Elle attend encore. Puis elle repart encore. Elle cherche son petit frère Paulo. Et puis elle cesse de le chercher. Et puis elle repart vers les coursives. Et elle se couche là, 30 devant la double cabine dont la mère a oublié de lui donner la deuxième clé et elle se souvient. Et elle pleure.

S’endort.

Un haut-parleur avait annoncé que la terre avait disparu. Qu’on a atteint la pleine mer. L'enfant hésite et puis elle remonte sur le pont. Une 35 houle très légère est arrivée avec le vent de la mer.

Sur le bateau la nuit est arrivée. Tout est éclairé, les ponts, les salons, les coursives. Mais pas la mer, la mer est dans la nuit. Le ciel est bleu dans la nuit noire, mais le bleu du ciel ne se reflète pas dans la mer si calme soit-elle et si noire.

40 Les passagers sont de nouveau accoudés au bastingage. Ils regardent vers ce qu’ils ne voient plus. Ils ne veulent pas rater l’arrivée des premières vagues de la haute mer et avec elles celle de la fraîcheur du vent qui d’un seul coup s’abat sur la mer.

L'enfant cherche encore sa mère. Elle la retrouve cette fois encore 45 endormie dans ce sommeil d’immigrée à la recherche d’une terre d’asile. Elle la laisse dormir.

© Éditions Gallimard 1. Coursives : dans un navire, couloirs intérieurs ou extérieurs entre les cabines.

■ Situer l'extrait dans son contexte

• Considérons le contexte littéraire et historique. Marguerite Duras a raconté, dans L'Amant (1984), son adolescence indochinoise et sa rencontre avec un Chinois, qui la séduisit alors qu'elle avait quinze ans. A la suite de l'adaptation cinématographique de l'œuvre par Jean-Jacques Annaud- adaptation qui la déçoit - et de la mort du personnage réel, elle décide de revenir sur cet épisode déterminant de son existence dans L'Amant de la Chine du Nord (1991) .

• Il faut ensuite préciser la situation du passage. Le passage raconte le retour de l'auteur et de sa famille (« la mère », « son petit frère Paulo ») en France. En effet, la situation financière de la famille, évoquée dans le roman Barrage contre le Pacifique, mais aussi la liaison scandaleuse de sa fille avec un riche Chinois et la violence de son fils aîné poussent la mère de l'auteur à rentrer en France, ce qui met un terme à la relation complexe de « l'enfant » et du « Chinois de Cholen ».