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Les compétences techniques peuvent-elles fonder l'autorité politique ?

Publié le 15/04/2004

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L'origine de notre erreur ne réside-t-elle pas dans la mécompréhension de ce que signifie réellement l' « autorité politique «, et par conséquent dans l'incapacité d'analyser ce qui pourrait être son fondement ?   - Nous avons en effet confondu l'autorité politique avec l' « art de gouverner « ou la « science politique «. Or, la qualité du prince n'est pas de maîtriser une technique quelconque, mais réside dans quelque chose de bien plus difficile à déterminer, que Machiavel appelait virtù (Le Prince), c'est-à-dire une sorte de capacité instinctive à saisir le cours des événements et à affronter la fortuna (destin, hasard). Cette sorte de « ruse « ne s'apprend pas, contrairement à un savoir technique qui peut faire l'objet d'une pédagogie.   - Affirmer que la compétence technique fonde l'autorité politique, c'est en fait se résigner à être gouverné par une technocratie médiocre ne possédant aucun projet politique digne de ce nom. Si les écoles et les concours permettent la constitution d'une classe de fonctionnaires loyaux et efficaces, l'autorité de ceux-ci n'est que de nature bureaucratique, et non pas réellement politique (cf. Max Weber, typologie du charisme dans Economie et société tome II, et Le Savant et la politique, La Découverte, 2003, pp.180-185). Nonobstant son caractère antidémocratique (critique de Bourdieu de la « reproduction des élites «), la bureaucratie doit elle-même être gouvernée par une autorité politique supérieure. Selon Weber, la qualité d'un « chef « politique réside plutôt dans son caractère passionné, c'est-à-dire dans le fait d'être animé par une « cause « qui anime ses actes politiques, tendant ceux-ci vers une fin déterminée (avoir une « vision d'avenir «).

ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION

• Politique. Sens étymologique. Polis, en grec, signifie « cité «. Politeia désigne chez Aristote la constitution d'un État. Ne pourrait-on dire alors qu'est politique (à rigoureusement parler) tout ce qui a rapport à l'État? « Politique « se dit aussi de ceux qui participent effectivement « aux affaires « de l'Etat c'est-à-dire qui « gouvernent « ou « administrent «. Ce terme s'applique également à ceux qui voudraient accéder à la « gestion « des affaires de l'État (Cf. Faire de la politique). Politique s'applique aux moyens, aux techniques à employer pour réussir en politique (Cf. Habile politique). • Il arrive que des personnes qui gouvernent disent qu'elles ne font pas « de politique «, qu'elles sont là pour « gérer « et qu'elles ne se posent que des problèmes techniques de gestion et d'administration (et en fin de compte que des problèmes de compétence). • Dans la mesure où technique renvoie simplement à moyen peut-on dire que les problèmes politiques peuvent se ramener à des problèmes techniques? N'y aurait-il aucun problème de détermination de « finalités « en politique ? • Le choix même des moyens, des techniques, ne poserait-il pas des problèmes de finalités ? • Faire quoi ? Pour qui ? Pourquoi ? Comment ? Dans le domaine politique, sont-ce nécessairement des questions « techniques « ? Ces questions peuvent-elles se ramener à des questions techniques ? • Dans la mesure où « peut fonder « renvoie à la légitimité, ne pourrait-on dire que la compétence technique ne peut être le fondement légitime de l'autorité politique (même si elle peut intervenir, « d'une certaine façon «).

« : ainsi comme il avait précédemment éliminé toute différence essentielle entre un législateur sacré comme Moise etun législateur profane, comme Thèsée ou Lycurgue, Machiavel place-t-il ici la Providence et la Fortune sur le mêmeplan.La formule ici éclaire le double projet de Machiavel dans notre passage.Il s'agit tout d'abord de récuser la notion de hasard pour restaurer les droits de l'action politique efficace.

Ainsi lit-onque l'on peut soumettre la fortune, qui n'est donc qu'une puissance imaginaire.

Elle n'est pas une puissanceimpossible à maîtriser qui s'imposerait à nous malgré nos actes et nos volontés, un destin, mais quelque chose quenous pouvons diriger.Mais d'autre part, l'idée de l'audace nécessaire à l'action politique, les notions de lutte et de violence tendent àmontrer qu'il n'y a pas de modèle précis de l'action politique, que celle-ci contient toujours une part irréductibled'aventure, de risque.Aussi Machiavel se bat-il sur deux fronts ; : contre l'idée irrationnelle de fortune ou de destin qui pousse audésespoir et contre l'illusion inverse d'une possibilité de totale maîtrise de l'action.Pour remplir son premier objectif, Machiavel compare la fortune aux fleuves en crue « qui, lorsqu'ils se courroucent,inondent les plaines, renversent les arbres et les édifices […] chacun fuit devant eux, tout le monde cède à leurfureur ».

La métaphore rend bien compte de l'idée d'une force naturelle déchaînée et irrésistible, devant laquelle ilest vain de lutter.

Mais : « il n'en reste pas moins que les hommes, quand les temps sont calmes, y peuventpourvoir par digues et par levées.

»Autrement dit l'idée de fortune n'est qu'une illusion résultant de l'imprévoyance des hommes.

De même qu'on ne peutprévoir le moment et la force de la crue, mais qu'on sait qu'elle peut avoir lieu et donc prévoir et aménager l'avenirpour rendre cette crue inoffensive, de même les risques politiques sont prévisibles et aménageables.« Il en est de même pour la fortune, qui manifeste sa puissance là où il n'y a pas de forces organisées pour luirésister.

» La fortune, le destin, ne désignent aucune force positive, mais ne sont que l'envers de l'absenced'organisation des hommes.

Si toute la vertu, la virtuosité politique (la « virtù ») consiste pour Machiavel a « jeterde bons fondements », alors la fortune n'est que la projection illusoire de l'absence de « virtù » des hommes.

C'estdans les moments de calme politique que le dirigeant vertueux sait prévoir, anticiper et par suite conjurer lesdangers politiques.

Il s'agit donc de comprendre ses propres forces pour éliminer l'idée de fortune ou de destin « quimanifeste sa puissance là où il n'y a pas de forces organisées pour lui résister ».ainsi Machiavel conclut-il sur l'état de son pays et la prétendue « force du destin » : « Et si vous considérez l'Italie,qui est le siège de ces changements et qui leur a donné le branle, vous verrez qu'elle est une campagne sans levéeset sans aucune digue.

Que si elle se fut donné un rempart d'une force suffisante comme l'Allemagne, l'Espagne ou laFrance, ou cette crue n'aurait pas fait les grands changements qu'elle a fait, ou elle ne se serait pas produite.

»Et voici l'idée de fortune contredite : la capacité des hommes à forger leur propre avenir est soit partielle (ilspeuvent minimiser les coups du sort) soit entière (les supprimer totalement).Cependant Machiavel fait rebondir la question en se demandant s'il vaut mieux, en politique, être prudent ouimpétueux.

En effet, le raisonnement précédent peut favoriser une illusion inverse de la croyance en la fortune :celle qui voudrait que les recettes ou des modèles d'action soient possibles : « Et l'on voit aussi, de deuxcirconspects, l'un parvenir à ses fins, l'autre non, et de même deux prospérer également par deux manières de fairedifférentes, étant l'un circonspect, l'autre impétueux : ce qui ne vient de rien d'autre que du caractère des temps,qui se conforment ou non avec leurs procédés.

»On ne peut donner de modèle universel de l'action politique, qui vaudrait en tous temps et en tous lieux.

Ainsi desprocédés différents peuvent tous deux fonctionner, tandis que, appliqués à des contextes différents, le même modede comportement peut amener tout aussi bien à l'échec qu'à la réussite.Machiavel veut rappeler tout d'abord la nécessité d'insérer l'action dans son contexte historique propre puisqueréussite ou échec « ne viennent de rien d'autre que du caractère des temps, qui se conforment ou non avec leursprocédés ».Plus profondément, l'action politique dépend toujours de la saisie du « moment opportun », d'une compréhension dece qu'exige précisément le moment singulier de l'action.

autrement dit la réussite de l'action dépend de laconjonction du « style » du dirigeant avec l'exigence de l'époque.

De cette conjonction on ne peut faire la théorie, ily a une part d'opacité irréductible, des données de fait qu'on ne peut déduire.

Ainsi, si nous avons un pouvoir sur lemonde qui nous entoure, si l'action politique n'est pas vaine, elle n'est pas déductible, ce pouvoir n'est pas total, etaucune « théorie de l'histoire » ne peut rendre l'acte politique certain.C'est pourquoi Machiavel déclare que : « La fortune est femme et il est nécessaire à qui veut la soumettre de labattre et la rudoyer […] en tant que femme elle est l'amie des jeunes, parce qu'ils sont moins circonspects, plushardis, et avec plus d'audace la commandent.

»Ce qu'il met en avant, mais après avoir récusé la notion vulgaire de fortune ou de destin, c'est la part irréductibled'audace, de risque, d'aventure que contient toute action politique véritable.

La « virtù », la prévoyance etl'organisation dont tout le « Prince » fait l'apologie et démêle les conditions, ne va pas sans la saisie du « momentopportun », une part de passion. A la phrase de Machiavel répond en écho celle de Nietzsche : « Insouciant, railleur, violent , ainsi nous veut lasagesse.

Elle est femme, elle n'aimera jamais qu'un guerrier.

»En luttant sur deux fronts, Machiavel entend à la fois récuser l'irrationalité de ceux qui croient à la « fortune », audestin et à l'impuissance de l'action politique.

Mais s'il souhaite restaurer les droits des décisions efficaces et de laprévoyance, Machiavel ne cède pas à l'illusion d'une science politique ou historique, si l'audace et le risque sontnécessaires, c'est qu'aucun procédé ne nous assure du succès, que la prudence se résout en routine et enincapacité à saisir le moment opportun de l'action.A une époque où les modèles politiques sont déclarés en faillite et où les changements suscitent parfois plusd'inquiétude que d'enthousiasme ou d'imagination, le refus machiavélien de la prudence routinière et de l'inertie. »

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