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« Nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité » (Nietzsche) ?

Publié le 06/08/2005

Extrait du document

nietzsche
On pourrait donc critiquer Nietzsche en arguant de la confiance de Hegel en la vérité, car c'est sur cette prise de position quant à la nature de la vérité que Nietzsche et Hegel sont en désaccord. Nous aurions alors l'art pour éprouver la vérité, pour laisser cette dernière nous être manifestée, vérité et vie n'étant plus en contradiction.     * Bataille, Lascaux, l'interdit et la transgression   « Il nous importe ici que, dans son essence, et dans la pratique, l'art exprime ce moment de transgression religieuse, qu'il l'exprime seul assez gravement et qu'il en soit la seule issue. C'est l'état de transgression qui commande le désir, l'exigence d'un monde plus profond, plus riche et prodigieux, l'exigence, en un mot, d'un monde sacré. Toujours la transgression se traduisit en formes prodigieuses : telles les formes de la poésie et de la musique, de la danse, de la tragédie ou de la peinture. Les formes de l'art n'ont d'autre origine que la fête de tous les temps, et la fête, qui est religieuse, se lie au déploiement de toutes les ressources de l'art. Nous ne pouvons imaginer un art indépendant du mouvement qui engendre la fête. Le jeu est en un point la transgression de la loi du travail : l'art, le jeu et la transgression ne se rencontrent que liés, dans un mouvement unique de négation des principes présidant à la régularité du travail. Ce fut apparemment le souci majeur des origines - comme il l'est encore des sociétés archaïques - d'accorder le travail et le jeu, l'interdit et la transgression, le temps profane et les déchaînements de la fête en une sorte d'équilibre léger, où sans cesse les contraires se composent, où le jeu lui-même prend l'apparence du travail, et où la transgression contribue à l'affirmation de l'interdit. Nous avançons avec une sorte d'assurance qu'au sens fort, la transgression n'existe qu'à partir du moment où l'art lui-même se manifeste et qu'à peu près, la naissance de l'art coïncide, à l'Âge du renne, avec un tumulte de jeu et de fête, qu'annoncent au fond des cavernes ces figures où éclate la vie, qui toujours se dépasse et qui s'accomplit dans le jeu de la mort et de la naissance.

Explication de la citation

 

La première étape du travail doit consister en une explication des termes de la citation de Nietzsche. Par l’expression « nous avons «, d’abord, la phrase de Nietzsche se présente comme un constat concernant la condition humaine en général et telle que nous l’éprouvons. Ce constat porte sur la possession d’une certaine faculté et sur l’apport de cette faculté. Cette faculté est celle de l’art. L’extrait suivant de la Naissance de la tragédie permettra de mieux comprendre ce que Nietzsche définit comme étant l’art et quelle fonction il lui attribue :

 

Nietzsche, La naissance de la tragédie

 

« L'art doit surtout et avant tout embellir la vie, nous rendre donc supportables et, si possible, agréables aux autres : cette tâche sous les yeux, il nous modère et nous tient en bride, crée des formes de civilité, lie des êtres sans éducation à des lois de convenance, de propreté, de courtoisie, leur apprend à parler et se taire au bon moment. L'art doit ensuite dissimuler ou réinterpréter toute laideur, chaque trait pénible, horrible, dégoûtant, qui ne cessera de reparaître en dépit de tous les efforts, conformément à l'origine de la nature humaine ; il doit surtout procéder ainsi au sujet des passions, des douleurs et des angoisses de l'âme, il doit, dans la laideur inévitable ou insurmontable, laisser transparaître son côté significatif. Après cette grande, cette trop grande tâche de l'art, ce qui se dit proprement de l'art, celui des oeuvres, n'est qu'un appendice. Un homme qui sent en soi une surabondance de ces vertus d'embellissement, d'occultation et de réinterprétation, cherchera finalement à se décharger encore de ce superflu dans des oeuvres d'art ; dans certaines circonstances, tout un peuple fera de même. - Mais d'ordinaire, on prend maintenant l'art par l'autre bout, on se raccroche à sa queue, et on se figure que l'art des oeuvres d'art est le vrai, que c'est à partir de lui qu'il faudra améliorer et transformer la vie - fous que nous sommes ! À commencer notre repas par le dessert et à savourer douceurs sur douceurs, quoi d'étonnant si nous nous gâtons l'estomac et même l'appétit pour la bonne chère solide et nourrissante, à laquelle l'art nous convie ! «

nietzsche

« nous voyons représenté et reproduit sur des tableaux, à la scène ou ailleurs : animaux, paysages, situationshumaines, nous le trouvons déjà dans nos jardins, dans notre maison ou parfois dans ce que nous tenons du cercleplus ou moins étroit de nos amis et connaissances.

En outre, ce travail superflu peut passer pour un jeuprésomptueux, qui reste bien en deçà de la nature.

Car l'art est limité dans ses moyens d'expression et ne peutproduire que des illusions partielles, qui ne trompent qu'un seul sens ; en fait, quand l'art s'en tient au but formel dela stricte imitation, il ne nous donne, à la place du réel et du vivant, que la caricature de la vie.

On sait que lesTurcs, comme tous les mahométans ne tolèrent pas qu'on peigne ou reproduise l'homme ou toute autre créaturevivante.

J.

Bruce, au cours de son voyage en Abyssinie, ayant montré à un Turc un poisson peint, le plongead'abord dans l'étonnement, mais bientôt après en reçut la réponse suivante : « Si ce poisson, au Jugement Dernier,se lève contre toi et te dit : Tu m'as fait un corps, mais point d'âme vivante, comment te justifieras-tu de cetteaccusation ? » Le prophète lui aussi, comme il est dit dans la Sunna, répondit à ses deux femmes, Ommi Habiba etOmmi Selma, qui lui parlaient des peintures des temples éthiopiens : « Ces peintures accuseront leurs auteurs aujour du Jugement ».On cite aussi des exemples d'illusions parfaites fournies par des reproductions artistiques.

Les raisins peints parZeuxis ont été donnés depuis l'Antiquité comme le triomphe de l'art et comme le triomphe de l'imitation de la nature,parce que des pigeons vivants vinrent les picorer.

On pourrait rapprocher de ce vieil exemple, l'exemple plus récentdu singe de Buttner, qui dévora une planche d'une précieuse collection d'histoire naturelle, laquelle figurait unhanneton, et qui fut pardonné par son maître pour avoir ainsi démontré l'excellence de la reproduction.

Mais dansdes cas de ce genre, on devrait au moins comprendre qu'au lieu de louer des oeuvres d'art parce que même despigeons ou des singes s'y sont laissé tromper, il faudrait plutôt blâmer ceux qui croient avoir porté bien haut l'art,alors qu'ils ne savent lui donner comme fin suprême qu'une fin si médiocre.

D'une façon générale, il faut dire quel'art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature, et qu'il ressemble à un ver qui s'efforce en rampantd'imiter un éléphant.Dans ces reproductions toujours plus ou moins réussies, si on les compare aux modèles naturels, le seul but quepuisse se proposer l'homme, c'est le plaisir de créer quelque chose qui ressemble à la nature.

Et de fait, il peut seréjouir de produire lui aussi, grâce à son travail, son hableté, quelque chose qui existe déjà indépendamment de lui.Mais justement, plus la reproduction est semblable au modèle, plus sa joie et son admiration se refroidissent, simême elles ne tournent pas à l'ennui et au dégoût.

Il y a des portraits dont on a dit spirituellement qu'ils sontressemblants à vous en donner la nausée.

Kant donne un autre exemple de ce plaisir qu'on prend aux imitations :qu'un homme imite les trilles du rossignol à la perfection, comme cela arrive parfois, et nous en avons vite assez ;dès que nous découvrons que l'homme en est l'auteur, le chant nous paraît fastidieux ; à ce moment, nous n'yvoyons qu'un artifice, nous ne le tenons ni pour une oeuvre d'art, ni pour une libre production de la nature.

Nousattendons tout autre chose des libres forces productives de l'homme ; pareille musique ne nous touche que, dans lamesure où, jaillie de la vitalité propre du rossignol, sans aucune intention, elle ressemble à l'expression de sentimentshumains.

D'ailleurs cette joie que donne l'habileté à imiter ne peut jamais être que relative et il convient mieux àl'homme de trouver de la joie dans ce qu'il tire de son propre fond.

En ce sens, l'invention technique la plusinsignifiante a une valeur bien supérieure et l'homme a lieu d'être plus fier d'avoir inventé le marteau, le clou, etc.,que de réaliser des chefs-d'oeuvre d'imitation.

S'efforcer de rivaliser avec la nature en l'imitant abstraitement, c'estun tour de force comparable à celui de l'homme qui s'était entraîné à jeter des lentilles à travers un petit orifice sansjamais le rater.

Alexandre, devant qui il exhibait son habilité, lui fit donner un boisseau de lentilles, pour prix d'untalent si inutile et si vide de sens.Étant donné que ce principe de l'imitation est tout formel, dès qu'on le prend comme fin de l'art le beau objectifdisparaît du même coup.

Car on ne s'occupe plus dans ce cas de trouver ce qu'on doit reproduire, on s'occupeseulement de le reproduire correctement.

L'objet et le contenu du beau sont considérés comme parfaitementindifférents.

Mais si on parle du beau et de laid à propos d'animaux, d'hommes, de pays, d'actions, de caractères,c'est qu'on fait intervenir un critère qui n'appartient pas en propre à l'art, puisqu'on ne lui a laissé d'autre fonctionque l'imitation abstraite.

Faute d'un critère qui permette de choisir les objets et de les répartir en beaux et en laids,on s'en remet au goût subjectif, qui ne peut édicter aucune règle et ne peut être discuté.(...)Supposons que l'art n'ait pas de principe objectif, que le beau reste sous la dépendance du goût subjectif etparticulier, nous allons voir cependant que, même du point de vue de l'art lui-même, l'imitation de la nature, quisemblait un principe universel, sous le couvert de hautes autorités, est irrecevable, du moins sous cette formegénérale tout à fait abstraite.

En effet, passons en revue les différents arts : si la peinture, la sculpturereprésentent des objets qui paraissent ressembler aux objets naturels ou dont le type est essentiellement empruntéà la nature, on accordera par contre qu'on ne peut pas dire que l'architecture, qui pourtant fait aussi partie desBeaux-Arts, ni que les créations de la poésie, dans la mesure où elles ne sont pas strictement descriptives, imitentquoi que ce soit de la nature.

Ou du moins on serait obligé, si on voulait appliquer le principe dans le dernier casd'user de grands détours, de le soumettre à bien des conditions et de ramener ce qu'on a coutume d'appeler véritéà la vraisemblance.

Mais avec la vraisemblance s'introduit de nouveau une grande difficulté, car comment déterminerce qui est vraisemblable et ce qui ne l'est pas ? sans compter qu'on ne voudrait ni ne pourrait exclure radicalementde la poésie tout ce qu'elle comporte de fabulation parfaitement arbitraire et imaginaire.

L'art doit donc se proposer une autre fin que l'imitation purement formelle de la nature ; dans tous les cas,l'imitation ne peut produire que des chefs-d'oeuvre de technique, jamais des oeuvres d'art.

» La position hégélienne critique la thèse – importante dans la philosophie antique notamment - de l'art compriscomme imitation de la nature, mais il lui attribue une fonction de révélation de la vérité et non de dépassement de lavérité.

On pourrait donc critiquer Nietzsche en arguant de la confiance de Hegel en la vérité, car c'est sur cetteprise de position quant à la nature de la vérité que Nietzsche et Hegel sont en désaccord.

Nous aurions alors l'artpour éprouver la vérité, pour laisser cette dernière nous être manifestée, vérité et vie n'étant plus en contradiction.. »

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