À quoi servent les utopies ?
Publié le 17/01/2004
Extrait du document
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dépendance du Bien dont tout ordre procède, de modeler les moeurs afin qu'elles gagnent leur repos, et au besoind'inventer les récompenses grâce auxquelles obtenir l'obéissance des citoyens sans recours à la violence physique.La cohésion sociale la meilleure touche à la justice par le fait que chaque individu, chaque classe sociale y accomplitsa tâche propre, propre à contribuer à l'ordre de l'ensemble, sans débordement.
L'essence du Bien manifestée dansle monde sublunaire, finalement illustrée dans l'âme de l'homme politique formé à la connaissance de l'Un par l'ascèsequi lui apprend à se gouverner soi-même — dans l'amour et sans violence, en se préparant à son rôle —, permet àce dernier d'organiser la cité juste en une hiérarchie dans laquelle la fonction de chaque partie (besoin [chréia],échange ou classe sociale) est déterminée par les exigences de l'unité.Cette Callipolis, cette belle cité (de callos, ce qui brille, illumine), réfute toutes sortes de mélanges et de médiations.Il en résulte que les trois classes de citoyens qui la constituent se juxtaposent et accomplissent leur fonctionspécifique en représentant en même temps trois vertus de l'âme renvoyant aux trois parties (désir,volonté, raison) d'une âme qui sera un jour jugée par le tribunal des Enfers : les producteurs chargés, dans le labeuret l'obéissance, de nourrir la collectivité font preuve de tempérance ; les guerriers, ses défenseurs, s'attachent aucourage ; et les archontes (magistrats), décidant et commandant, manifestent la sagesse.Étant admis qu'une éducation politique du producteur n'est pas envisagée, les autres statuts sociaux diffèrentautant que les éducations divergent.
Celle des gardiens (de métier), associant en communauté des hommes et desfemmes, passe par la gymnastique (exercice, vitesse, vigueur et souplesse) et la musique (rythme, régularité,relation).
Elle aboutit à la formation d'une âme capable de faire abstraction de soi en vue du bien de la cité, dominéepar le courage et non le désir.
Parce que les magistrats accomplissent la fonction suprême, il convient de leurinculquer la science du gouvernement (de la mesure), la science qui donne la primauté à son possesseur parce queson âme accède alors à l'équilibre.Dialectique, nous l'avons dit, se nomme cette science grâce à laquelle l'homme d'État saisit le principe.
Elles'accompagne de la formation d'une disposition aux mathématiques (science de la série des nombres) et à seconduire soi-même en décidant (phronésis, prudence).
Alors, seulement, le royal tisserand peut-il travailler àtranscrire sur le modèle du Bien les bonnes lois opérant une harmonie entre les citoyens émiettés.
Son objet ? Qu'ilsse rendent mutuellement service afin de préserver du désordre des pulsions l'imité de la cité !
On constate que ce caractère est bien présent dans les principales utopies politiques, qui sont rédigées dans despériodes de crise, de réorganisation: L'île d'Utopie de thomas More témoigne des problèmes de réorganisation de lafin du Moyen Age et de la Renaissance,
Imaginez-vous donc en train d'écouter le récit de Raphaël Hythloday (étymologiquement : celui qui est habile àraconter des histoires), jeune voyageur portugais.
Vous voilà tout à coup touché par les moeurs et les institutionsdu peuple utopien.
Le dispositif rhétorique qui produit cet autre monde sous vos yeux consiste moins à vous fairecroire qu'un tel peuple existe qu'à susciter en vous le désir de vivre selon un tel mode de vie.
Il vous faut parconséquent suivre deux cheminements parallèles, celui de comprendre ce que peut être « la meilleure forme decommunauté politique » (sous-titre de l'ouvrage) et celui de laisser fonctionner une écriture qui vise à donner àvotre esprit un pli encore inconnu, l'amenant à se convertir d'une adhésion au présent à la possibilité d'un agir.Dans la fiction utopique de Thomas More, l'écriture elle-même devient incitative, exercant l'esprit à s'ouvrir à desdimensions insoupçonnables.
Au vrai, l'ouvrage comporte un agencement de deux livres sur le premier duquel on al'habitude de faire l'impasse.
Si le livre second, en effet, décrit particulièrment la ville d'Amaurote et, au travers d'unurbanisme géométrique, un ordre social transparent, la lecture du premier livre demeure indispensable puisque lanarration des voyages du navigateur s'y fait expérience d'assouplissement de l'esprit, mise en scène de l'opinion àrectifier, et explication du statut de la philosophie.Pour qui entend prononcer aujourd'hui ce terme, utopie, une autre conversion s'impose.
Trop d'usages dépréciatifssont destinés à discréditer les appels à penser et agir en politique.
L'utopie, littéralement lieu de nulle part, qui estaussi souvent une uchronie — d'aucun temps — se place sous le signe d'une libération de l'esprit.
Ainsi en va-t-ildes Solariens qui, vivant sous la dictature de la vertu, couplent leur cité modèle à l'idéal d'une réforme de l'ordresocial chrétien existant (Campanella, 1602).
tout comme les textes de Fourier ou de Saint-Simon témoignent largement des problèmes que pose, au XIX ièmesiècle, l'organisation d'une société industrielle qui bouleverse tous les modes de vie antérieurs..
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