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La reconnaissance d'autrui passe-t-elle nécessairement par le conflit ?

Publié le 08/02/2004

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) Quel peut-être ce conflit "originaire" ? Est-ce qu'on peut simplement le déduire du fait que chacun a des intérêts particuliers ? Mais, dans ce cas, ce qui est au fondement, c'est notre intérêt personnel, mais pas le conflit. On peut très bien imaginer que nos intérêts finissent par converger. Donc comment définir le conflit de manière plus fondamentale ? Sartre, dans L'Être et le Néant ("Les relations concrètes avec autrui"), construit cette idée de conflit en expliquant que le sujet est à la fois sujet et objet, sujet quand il regarde l'autre, mais aussi objet pour le regard de l'autre, et que c'est cette dimension qui est originairement conflictuelle (soit sujet de mon regard, soit objet pour le regard d'autrui comme dans l'expérience de la honte, mais jamais les deux à la fois : être vu par l'autre comme sujet libre et non comme objet, c'est ce qui est impossible). Les rapports avec les autres sont-ils nécessairement de l'ordre du conflit ? Se demander si les rapports avec les autres sont nécessairement de l'ordre du conflit peut surprendre. Que la circonstance soit possible, cela s'admet. Qu'elle soit nécessaire, cela semble excessif: la vie avec les autres n'est pas un perpétuel affrontement.

« relation à autrui se révèle nécessairement conflictuelle, les rapports avec les autres ne sauraient se réduire à cetteseule modalité. Nécessité du conflit dans la relation à autrui. Autrui : un glissement de sens marque l'histoire de ce mot. • Usuellement, il s'emploie de manière restrictive, dans des phrases telles que: "on ne doit pas nuire à autrui".

Ici lestatut d'autrui n'est pas celui d'un sujet au sens plein du terme. • Aujourd'hui autrui est parvenu à la dignité de sujet, désignant bel et bien l'autre que moi, « le moi qui n'est pas moi» (Sartre).

Ainsi la présence d'autrui ne saurait se confondre avec celle d'un simple objet : « originellement, l'Autreest le Non-moi-non-objet » dit Sartre.

Comme tel, il s'oppose donc d'emblée à moi, il m'exclut, il est ma négation. • L'expérience de la « honte » décrite par Sartre précise en quoi le conflit est nécessaire, inévitable : si je ne suismoi que par autrui, ma relation fondamentale à autrui par le regard est vécue comme destituante et aliénante, carles yeux qui se posent sur moi me réduisent à l'état d'objet. Sur la question d'autrui, Sartre souligne que seul Hegel s'est vraiment intéressé à l'Autre, en tant qu'il est celui par lequel ma conscience devient conscience de soi.

Son mérite est d'avoir montréque, dans mon être essentiel, je dépends d'autrui.

Autrement dit, loin que l'on doive opposer monêtre pour moi-même à mon être pour autrui, « l'être-pour-autrui apparaît comme une condition nécessaire de mon être pour moi-même » : « L'intuition géniale de Hegel est de me faire dépendre de l'autre en mon être.

Je suis, dit-il, un être pour soi qui n'est pour soi que par un autre. » Mais Hegel n'a réussi que sur le plan de la connaissance : « Le grand ressort de la lutte des consciences, c'est l'effort de chacune pour transformer sa certitude de soi en vérité. » Il reste donc à passer au niveau de l'existence effective et concrète d'autrui.

Aussi Sartre récupère-t-il le sens hégélien de la dialectique du maître et de l'esclave, mais en l'appliquant à des rapports concretsd'existence : regard, amour, désir, sexualité, caresse.

L'autre différence, c'est que si, pour Hegel , le conflit n'est qu'un moment, Sartre semble y voir le fondement constitutif de la relation à autrui. On connaît la formule fameuse : « L'enfer, c'est les autres ».

Ce thème est développé sur un plan plus philosophique dans « L'être & le néant ».

Parodiant la sentence biblique et reprenant l'idée hégélienne selon laquelle « chaque conscience poursuit la mort de l'autre ».

Sartre y affirme : « S'il y a un Autre, quel qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu'il agisseautrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j'ai un dehors, une nature ; ma chuteoriginelle, c'est l'existence de l'autre… » J'existe d'abord, je suis jeté dans le monde, et ensuite seulement je me définis peu à peu, par meschoix et par mes actes.

Je deviens « ceci ou cela ».

Mais cette définition reste toujours ouverte.

Je suis donc fondamentalement libre « projet », invention perpétuelle de mon avenir.

Et je suis celui qui ne peut pas être objet pour moi-même, celui qui ne peut même pas concevoir pour soi l'existence sous forme d'objet : « Ceci non à cause d'un manque de recul ou d'une prévention intellectuelle ou d'une limite imposée à ma connaissance, mais parce que l'objectivité réclame une négation explicite : l'objet, c'est ce que je me faisne pas être… » Or je suis, moi, celui que je me fais être.

Et c'est précisément parce que je ne suis que pure subjectivité et liberté, que le simple surgissementd'autrui est une violence fondamentale.

Peu importe qu'il m'aime, me haïsse ou soit indifférent à mon égard.

Il est là, je le vois et je découvre que jene suis plus centre du monde, sujet absolu.

Il me voit, et avec son regard s'opère une métamorphose dans mon être profond : je me vois parce qu'ilme voit, je m'appréhende comme objet devant une transcendance et une liberté. Si chaque conscience est une liberté qui rêve d'être absolu, elle ne peut que chercher à transformer la liberté del'autre en chose passive.

Sartre illustre d'abord ce conflit à travers l'expérience du regard.

Qu'est-ce qui, en effet, me dévoile l'existence d'autrui, sinon le regard ? Si je regarde autrui, ce dernier me regarde aussi.

C'est la raisonpour laquelle Sartre envisage les deux moments. Dans un premier moment, je vois autrui.

Imaginons : « Je suis dans un jardin public.

Non loin de moi, voici une pelouse et, le long de cette pelouse, des chaises. » Situation paisible.

Le décor est neutre, la trame est inexistante : « Un homme passe près des chaises.

Je vois cet homme… » Finie la quiétude ! Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne le saisis pas seulement comme un objet, mais aussi et en même temps comme unhomme.

Si je pouvais penser qu'il n'est rien d'autre qu'un objet, un automate, par exemple, je le saisirais « comme étant « à côté » des chaises, à 2,20 m de la pelouse, comme exerçant une certaine pression sur le sol, etc. ».

Autrement dit ce ne serait pour moi qu'un objet comme les autres, qui s'ajouterait aux autres : « Cela signifie que je pourrais le faire disparaître sans que les relations des autres objets entre eux soient notablement modifiées.

En un mot, aucune relation neuve n'apparaîtrait par lui entre ces choses de mon univers… » Le saisir comme homme, qu'est-ce que cela signifie, sinon saisir une « relation non additive » des objets à lui, une nouvelle organisation des choses de mon univers autour de cet objet privilégié ? Autrement dit, avec l'apparitiond'autrui dans mon champ de vision, une spatialité se déploie qui n'est pas ma spatialité, un autre centre du mondeapparaît et du même coup un autre sens du monde.

Les relations que j'appréhendais entre les objets de mon univers. »

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