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Sénèque, De la brièveté de la vie

Publié le 17/04/2009

Extrait du document

« Quand tous les génies qui ont jamais brillé se réuniraient pour méditer sur cet objet, ils ne pourraient s'étonner assez de cet aveuglement de l'esprit humain. Aucun homme ne souffre qu'on s'empare de ses propriétés; et, pour le plus léger différend sur les limites, on a recours aux pierres et aux armes. Et pourtant la plupart permettent qu'on empiète sur leur vie; on les voit même en livrer d'avance à d'autres la possession pleine et entière. On ne trouve personne qui veuille partager son argent, et chacun dissipe sa vie à tous venants. Tels s'appliquent à conserver leur patrimoine, qui, vienne l'occasion de perdre leur temps, s'en montrent prodigues, alors seulement que l'avarice serait une vertu. (2) Je m'adresserai volontiers ici à quelque homme de la foule des vieillards : «Tu es arrivé, je le vois, au terme le plus reculé de la vie humaine; tu as cent ans ou plus sur la tête; eh bien, calcule l'emploi de ton temps; dis-nous combien t'en ont enlevé un créancier, une maîtresse, un accusé, un client; combien tes querelles avec ta femme, la correction de tes esclaves, tes démarches officieuses dans la ville. Ajoute les maladies que nos excès ont faites; ajoute le temps qui s'est perdu dans l'inaction, et tu verras que tu as beaucoup moins d'années que tu n'en comptes. (3) Quelle en est donc la cause ? Mortels, vous vivez comme si vous deviez toujours vivre. Il ne vous souvient jamais de la fragilité de votre existence; vous ne remarquez pas combien de temps a déjà passé; et vous le perdez comme s'il coulait d'une source intarissable, tandis que ce jour, que vous donnez à un tiers ou à quelque affaire, est peut-être le dernier de vos jours. Vos craintes sont de mortels; à vos désirs on vous dirait immortels. » Sénèque, De la brièveté de la vie

Dans le 1er §, Sénèque s’oppose donc à l’opinion commune (doxa) qui veut qu’on ne puisse voler que les biens matériels. Il dénonce ce mensonge de l’opinion en montrant qu’au-delà du monde rassurant des idées toutes faites, il est un monde plus inquiétant, mais aussi plus passionnant dans ce qu’il recèle d’inconnu et de surprise. Il n’expose pas une contradiction entre la pensée et le réel, mais une contradiction au sein de la pensée elle-même. Celle-ci admet que l’on puisse prendre les armes pour défendre ses biens, mais admet que n’importe qui puisse vous dérober votre bien le plus précieux, à savoir votre temps.    Dans le 2nd §, Sénèque nous invite à faire le bilan du gaspillage de notre existence. Pour lui, la vie heureuse n’est possible qu’à celui qui s’en donne les moyens. L’homme heureux est d’abord un homme d’effort : son bonheur est une conséquence de l’exercice de sa raison. Pour Sénèque, le temps est ce qui doit être mis à profit pour développer ses dispositions à la vertu, donc devenir meilleur, donc être heureux. Perdre son temps c’est perdre la possibilité de devenir sage, c'est-à-dire de devenir pleinement homme dans tout ce que cela signifie de noblesse et de dignité, de coïncidence avec soi-même et sa nature.  

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