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Grand cours: CONSCIENCE & INCONSCIENT (b de j)

Publié le 22/02/2012

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conscience

 

I) LA CONSCIENCE PSYCHOLOGIQUE

- En premier lieu, quelles sont les principales caractéristiques de la conscience et de l'être conscient ? La conscience, comme nous allons le voir, existe sous des formes très variées, depuis les plus frustes, communes aux hommes et aux animaux, jusqu'aux plus élaborées, privilège, semble-t-il, de l'homme seul. Cette remarque va d'ailleurs nous permettre d'envisager la question de la spécificité de l'homme au regard des autres êtres vivants, des animaux notamment : la conscience est-elle la marque par excellence de la supériorité de l'homme sur l'animal, de sa grandeur, de sa dignité ?

A) LES FORMES DE LA CONSCIENCE

      

- On peut accorder à la conscience l'extension la plus vaste, en la faisant descendre jusqu'à l'excitabilité, le plus bas degré de la sensibilité; on peut à l'inverse, à l'instar du philosophe Ludwig Feuerbach, en réserver la primeur aux formes les plus élaborées de la pensée, comme la réflexion et la conscience de soi, réservées à l'homme. Aussi convient-il de distinguer différentes formes et degrés de conscience.

1) La conscience sensible (texte de Bergson, méthodologie de l'explication de texte)

- La conscience sensible, appelée aussi sensation, est sans conteste la forme première, la plus simple, de la conscience. La sensation : un stimulus (olfactif, visuel, sonore, tactile, gustatif) frappe un corps doué d'un système nerveux, ce qui provoque la réaction de l'animal. La sensation est alors un rapport immédiat, intériorisé, entre un corps et le monde extérieur. Existent également des stimuli internes qu'on nomme " sensations coenesthésiques  "

- On peut considérer que l'homme partage avec les animaux, au moins ceux qui disposent d'une sensibilité développée, le sentiment d’une présence immédiate à soi et au monde, tandis que les végétaux en sont dénués. En effet, il y a des qualités ou des fonctions attribuées aux êtres vivants qui sont requises pour qu’une certaine forme ou un certain degré de conscience puissent leur être consentis.

- Ce premier degré de la conscience se caractérise par la sensibilité, la possibilité d’autodétermination, de choix, d’adaptation, la mémoire, une certaine indétermination dans le comportement. Cette conscience remplit donc une fonction biologique majeure : rôle de conservation, de défense vitale, d'adaptation. La conscience naît véritablement là où commence le comportement. Grâce à cette faculté, s’éclaire ce qui est utile à connaître : l’attention du chien s’éveille quand un bruit nouveau apparaît. Les primates supérieurs sont capables d’attribuer des états mentaux à leurs partenaires, d’être conscients des conséquences de leurs actes, d’être ouverts à l’altruisme et de pratiquer certaines formes d’intentionnalité (tromperie, manipulation).

Texte de Bergson (exercice n° 1 de méthodologie sur l'explication de texte en vue du devoir n° 1 : travail de préparation + corrigé type).

- La conscience, dit Bergson, dans L'énergie spirituelle (La conscience et la vie), c'est d'abord la mémoire, c'est-à-dire la conservation et l'accumulation du passé dans le présent. La première fonction de la mémoire est de retenir et d 'anticiper, " retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore". L'esprit s'occupe de ce qui est, en vue de ce qui va être : " Toute action est un empiétement sur l'avenir". "…la conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir ” (Bergson, op.cit.).

- Bergson ajoute que “Si conscience signifie mémoire et anticipation, c’est que la conscience est synonyme de choix”. La conscience est cette fonction qui nous permet de choisir dans la masse importante des faits, des souvenirs, des images, des émotions qui nous assaillent, en obéissant à des lois de conservation et d’adaptation. La faculté de choisir qui caractérise la conscience, même à son degré le plus fruste, désigne la faculté de "répondre à une excitation déterminée par des mouvements plus ou moins imprévus". Le rôle de la conscience est donc de décider.

- La conscience s'endort en quelque sorte lorsque nos actions cessent de devenir spontanées pour devenir automatiques : exemple de l'apprentissage d'un exercice, nous commençons par " être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu'il vient de nous, parce qu'il résulte d'une décision et implique un choix; puis, à mesure que ces mouvements s'enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous e avons diminue et disparaît" (Bergson, op.cit.).

- C'est d'ailleurs dans les moments de crise intérieure, "où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis  prendre…" que notre conscience "atteint le plus de vivacité". En somme, les "variations d'intensité de notre conscience semblent correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou…de création, que nous distribuons sur notre conduite".

- Ainsi la vie, dans son évolution, a-t-elle choisi deux directions : la première direction est celle du monde animal qui va dans le sens du mouvement et de l'action et qui tend vers une action de plus en plus libre. La seconde est celle des végétaux où la mobilité est possible mais comme endormie, assoupie, inconsciente. Et plus l'on remonte la pente de la matière, plus "les choses se passent comme si un immense courant de conscience…avait traversé la matière pour l'entraîner à l'organisation et pour faire d'elle…un instrument de liberté". Et c'est bien la liberté qui est l'essence de la conscience, alors que la matière est tout entière nécessité. La vie est précisément "la liberté s'insérant dans la nécessité et la tournant à son profit".

- Bergson explique donc le phénomène de la conscience en termes de continuité et de gradation et c'est précisément pour expliciter ces degrés qu'il semble nécessaire de  distinguer l'homme de l'animal. Le texte de Bergson  montre qu'on ne peut prétendre observer le même niveau de conscience chez l'homme et chez l'animal. La conscience est théoriquement coextensive à la vie, il est cependant évident que pour certains êtres elle est endormie, et pour d'autres simplement limitée. Aussi est-il nécessaire de procéder à un certain nombre de distinctions : êtres inanimés, inertes / êtres animés, vivants; au sein des êtres vivants : êtres dont la sensibilité est limitée (végétaux) / êtres dont la sensibilité est développée (animaux); au sein des êtres dont la sensibilité est développée : êtres capables d'éprouver leur existence et celle du monde / êtres capables de connaître leur existence et celle du monde.

- Si la première frontière est clairement établie , pour les autres limites on ne peut en aucun cas être aussi catégorique : ainsi les primates tels que chimpanzés et gorilles présentent des aptitudes qui les placent de façon assez évidente dans une proximité avec l'homme qui est étonnante - mais assez logique au fond.

- Qu'est-ce qui alors caractériserait la conscience humaine ? La conscience animale, si elle est capable de choix, n’en demeure pas moins fort limitée quant à ses possibilités d’invention. L’animal est certes capable de choix et d'inventions qui marquent toute conscience. Toutefois, son invention, précise Bergson, n’est rien de plus « qu’une variation sur le thème de la routine «. Le terme de « variation « indique que la possibilité dont dispose l’animal d’inventer sa réponse est fort limitée : c’est autour d’une réponse en quelque sorte préformée que l’animal ajoute « individuellement « de légères variantes. Cette initiative préformée serait précisément celle de l’instinct qui autorise certes une marge d’indétermination, mais qui n’en continue pas moins à circonscrire rigoureusement le périmètre de la liberté animale.

- D’automatisme en automatisme, l’animal ne sort pas des bornes étroites de l’instinct et de l’espèce, même si une certaine autodétermination est rendue possible par ce même instinct.

- Si la conscience est coextensive à la vie,  l’apparition au sein de la nature de la conscience humaine introduit une rupture radicale et définitive. L’individu humain se démarque de l’animal en ce sens qu’il est seul responsable de son invention. Autrement dit, alors que chez l’animal l’espèce prime sur l’individu, l’humanité se définit précisément par cette primauté ou précellence de l’individu sur l’espèce. Dès lors, l’individu humain n’est pas déterminé par une hérédité mais met librement au point des solutions radicalement nouvelles aux problèmes qu'il rencontre.

2) La perception

- La perception est moins simple que la sensation. Seuls les animaux supérieurs et l'homme y sont sujets. On peut définir la perception comme la fonction par laquelle l’esprit organise des sensations et se forme une représentation des objets externes, c'est-à-dire se donne le vécu, s'en saisit, se le représente. La perception est la sensation associée à l'attention. Alors que la sensation est passive (mon corps est frappé par un stimulus), la perception est active et constitue en quelque sorte un jugement qui organise, interprète les mécanismes du corps.

- Ainsi distingue-t-on, en français, entre voir et regarder : pour voir (sensation), il suffit de posséder un appareil visuel qui fonctionne; pour regarder (perception), il faut le vouloir, être intéressé, attentif : on peut voir sans regarder mais il est impossible de regarder sans voir. En somme, percevoir, c'est plus que voir, c'est interpréter, comprendre, de sorte que dans la perception se mêlent attention, intelligence, voire pensée : je vois un sourire, je perçois une bienveillance; je vois un regard, je perçois un désaccord.

- Si la perception peut être considérée comme une forme de conscience plus élaborée que la simple sensation, la conscience réflexive va cependant marquer un progrès nouveau dans ce processus de libération vis-à-vis des conditions extérieures, que le psychisme a entamée avec la perception. Cette conscience réflexive, comme nous allons le voir, n'existe que chez l'être humain. Qu'est-ce qui, dès lors, définit cette conscience de soi ?

3) La conscience réflexive, une spécificité humaine (texte de Kant, p. 21 du manuel de Tl + article de James R. Anderson sur la reconnaissance de soi chez l'enfant humain et chez les singes anthropoïdes)

- Partir de l'expérience du sommeil, du coma. Demander aux élèves ce que nous révèlent ces expériences concernant la conscience.

- Si la conscience ne se réduit pas à un sentiment mais correspond à un savoir, une connaissance, il faut distinguer entre avoir le sentiment d’être au monde et être doué de conscience à proprement parler. Lorsque nous dormons, que nous avons perdu connaissance, que nous sommes dans le coma, nous avons perdu ce sentiment d’exister au monde. Nous existons sans le savoir, comme une pierre ou une table, comme n’importe quelle chose dépourvue de conscience par nature ou provisoirement. Lorsque nous nous réveillons, que nous reprenons conscience, nous retrouvons ce sentiment d’exister au monde, mais de plus, parce que nous sommes doués de conscience, nous nous savons exister au monde : nous sommes capables non plus seulement de le sentir, mais de nous le représenter, c’est-à-dire de nous le dire.

- Cette conscience fait de moi, non point une chose parmi les choses, mais un sujet. Un être qui existe et qui sait qu’il existe, un être capable de prendre conscience de lui-même et des choses qui l’entourent, de se les représenter, est un sujet.

- Question aux élèves : quelle différence peut-on établir entre vous et telle ou telle chose (donner un exemple) ?

- Sans la conscience, il n'y aurait pas d'objets, il n'y aurait que des choses. Il n'y a en effet d'ob-jet (étymologiquement : ce qui est jeté devant…une conscience) que pour et par une conscience. Une chose dont personne n’aurait conscience ne serait donc qu’une chose, mais pas un objet. Un objet n’est donc pas nécessairement extérieur à nous, pas plus qu’il n’est nécessairement quelque chose de sensible : toute chose dont je prends conscience et parce que j’en prends conscience est un objet. Nous pouvons saisir, prendre conscience de notre propre corps, de notre passé, de nos déterminations psychologiques comme autant d’objets. Il existe, dans ma vie intérieure, des événements dont je peux parler sur un mode objectif : mes sentiments, mes émotions, mes pensées peuvent donner lieu à des confidences, des confessions.

- L'expérience de la conscience n'est pas n'importe quelle expérience : ce n'est pas l'expérience d'un dehors, comme l'expérience de cette table, de cet arbre, de ces personnes. Caractéristique fondamentale de la conscience : il s'agit de l'expérience d'un "dedans", celle d'une intériorité du sujet qui se saisit lui-même, dans le monde intérieur de sa subjectivité. Ce que me permet alors d'expérimenter la conscience, c'est précisément une existence subjective, c'est-à-dire quelque chose qui n'est pas une chose parmi les choses.

- La conscience se caractérise par l’intériorité ou le sentiment interne : le plaisir, la douleur, le souvenir sont subjectifs, ils ne peuvent pas être perçus ni sentis par une personne extérieure, mais le sont seulement par le sujet qui les éprouve. La conscience de soi est ainsi la faculté que possède tout sujet pensant de se percevoir lui-même. Il s’agit d’une expérience introspective, de la découverte de moi-même non comme chose mais comme moi, comme point de vue sur les choses.  Expérience donc de sa solitude originaire et constitutive, saisie de sa finitude et de son absolue singularité. C’est la découverte d’une clôture de la conscience sur elle-même.

- D'un côté donc, l'extériorité d'une chose, de l'autre l'intériorité d'une conscience.

- Mais ce qui caractérise aussi la conscience, c'est son caractère réflexif, en ce sens qu'elle peut se retourner sur elle-même et se prendre elle-même pour objet de pensée. Cette conscience réfléchie, ou conscience au carré,  est comme un dédoublement de la conscience par lequel le sujet prend conscience ou a conscience de ce qui se trouve dans sa conscience.

- Questions aux élèves : quelle différence faites-vous entre une main et un oeil ? A quoi un miroir vous fait-il penser ? Quel rapport peut-on établir entre le miroir et la conscience ?

- Une main ne se prend pas elle-même, un estomac ne se digère pas, la pensée, la conscience, si. L'oeil également – et c'est pourquoi la conscience a souvent été figurée par le regard. Lorsque je me regarde dans un miroir, j'existe en quelque sorte deux fois, en tant que sujet regardant et en tant qu'objet regardé – ce que le français exprime bien par les eux pronoms différenciés je, me. Exemple également de la mémoire : lorsque je me souviens de mon enfance, je suis à la fois mémoire et souvenir : c'est moi qui me souviens, le " quelque chose " dont je me souviens, c'est encore moi-même. Exemples : autoportrait, Ménines de Vélasquez.

- Le sujet humain ne saurait exister autrement que divisé en soi entre un sujet-sujet et un sujet-objet, c'est par cette division qu'il peut accéder à l'unité de son Je. Distinction entre le moi et le Je : le Je est le sujet en tant qu'il est source d'activité, la condition de toutes les représentations; le moi est la forme que prend le Je à un moment donné de son histoire. Exemple : Je montre une de mes photographies d'enfance et je dis : " c'est moi ! ".

- La conscience de soi suppose ainsi l'écart de soi à soi, elle n'est pas originaire mais acquise, comme le montre le fameux stade du miroir étudié entre autres par Jacques Lacan.

- Lorsque l'on met un tout jeune enfant devant un miroir, il croit avoir affaire à un autre. Un peu plus tard, vers dix-huit mois, l'enfant croit toujours avoir affaire à un autre, mais il se rend compte que cet autre n'est pas comme un autre : il est habillé comme lui, fait les mêmes gestes que lui; au lieu de tendre les bras vers un potentiel compagnon, l'enfant tourne la tête et pleure parfois. Vers l'âge de deux ans, l'enfant se reconnaît dans le miroir.

- Depuis Lacan, on appelle cette étape essentielle par laquelle l'enfant assume sa propre image comme étant la sienne le stade du miroir. Ce passage du moi aliéné (alienus = étranger) – puisque d'abord nié dans une image perçue pour celle d'un autre – au moi assumé s'effectue notamment dans le langage. Lorsqu'il commence à parler de lui, le petit enfant se désigne à la troisième personne – " bébé ", " il ", " Marc " -, il imite le point de vue de l'autre sur lui et ce n'est qu'à un certain âge de son développement psychomoteur qu'il parlera de lui à la première personne en disant Je.

- Le stade du miroir met donc en oeuvre deux identifications : celle de l'image à soi et celle de l'image comme soi. Dans le jugement simple d'identité c'est moi, l'identité est affirmée en même temps que récusée : je n'ai certes aucune difficulté, lorsque je regarde de vielles photographies, à m'identifier, lorsque je tombe sur une image de moi enfant. Pourtant, ce jugement d'identité " c'est moi ", suppose une double et impossible identification : celle du morceau de papier à moi – et celle du moi de jadis au moi d'aujourd'hui.

- Le miroir n'est pas seulement ce grâce à quoi l'enfant accède à cette forme de conscience de soi qu'est la reconnaissance de soi – il représente aussi le symbole de la conscience de soi. . Le même verbe réfléchir renvoie à l'action physique du reflet et à l'opération mentale de la pensée. Réfléchir, c'est un peu user de son esprit comme d'un miroir. Dans La Belle et la Bête de Jean Cocteau, la Belle, découvrant le château enchanté de la Bête, prend le fameux miroir et entend : " Je suis le miroir, la Belle, réfléchis pour moi et je réfléchirai pour toi " (Cocteau a écrit également que " Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de nous renvoyer notre image ").

- Au total, pour s'identifier, rapporter l'image de soi à soi, il faut qu'il y ait dualité préalable, séparation entre l'être et son image. Cette scission est primaire, originaire. L'identification présuppose la scission, celle qui éloigne l'un de l'autre le réel et l'imaginaire. Cette conscience de soi n'est pas innée et définitive. Elle peut être suspendue (rêve, coma, lobotomie) ou simplement altérée (névrose, psychose).

- Etudier en parallèle le texte de Kant et les deux articles de James R. Anderson, " La reconnaissance de soi chez l'enfant humain ", la reconnaissance de soi chez les singes anthropoïdes  ".

Conclusion :

- Si la conscience nous est apparue comme étant coextensive à la vie, la conscience humaine est ce par quoi nous nous forgeons une représentation du monde et de nous-même. Elle fait de nous des sujets et se caractérise essentiellement par la réflexivité puisque la conscience peut se prendre elle-même comme objet de pensée ou de connaissance. En cela, elle est au fondement de notre dignité d'êtres humains. Cette conscience est donc d'abord mise à distance de soi et du monde, écart de soi à soi. Elle n'est pas donnée mais s'acquiert progressivement. Le stade du miroir nous a révélé qu'il ne saurait y avoir de conscience de soi sans conscience d'autrui et du monde, de sorte que la conscience n'est pas simple repli ou clôture du sujet sur lui-même.

 

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